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КРГПТАДІA
VOL. XI.
Tiré à 175 exemplaires numérotés à la main
№..........
KPYIITÂ АІА
RECUEIL DE DOCUMENTS POUR SERVIR
À L'ÉTUDE
DES TRADITIONS POPULAIRES
VOL. XL
PARIS
H. WELTER, ÉDITEUR
4, BUE BEBNAKD-PALIS8T, 4
1907.
Tout droite réservée.
HARVARD
UNIVERSITY
LIBRARY
MAY M leeti
Contes picards
(Suite.)
103. Chez le marchand de toile.
Un homme de la campagne se rendit un jour
à la ville voisine. Il entra chez un marchand de
toile poor y acheter de quoi faire une blouse.
Trouvant trop élevé le prix qu'on lui deman-
dait, il marchanda pendant plus d'une heure
pour arriver à gagner quelques sous, mais ce
fut sans beaucoup de succès.
— Voyons, monsieur, disait-il à chaque in-
stant au marchand, vous me lâcherez bien
quelque chose.
— Je ne puis pas ; je vous ai fait mon plus
juste prix. D'ailleurs, vous m'arrachez le
cœur à marchander comme vous le faites
depuis que vous êtes ici.
— Voyons, monsieur, ne soyez pas si serré ;
lâchez-moi quelque chose, je vous en prie; je
ne suis point riche.
— Hé bien, oui, je vais me desserrer, dit
le marchand impatienté en écartant ses jambes.
Kqvtcx. XI. 1
2 CONTES PICARDS
Frappant sur l'une de ses cuisses et lâchant
un pet formidable sur le nez de son client, il
lui dit:
— Tenez, voilà tout ce que je peux von»
lâcher.
104. Paie ton choix.
Une marchande de fromages revenait de la
ville où elle avait fait provision de marchan-
dises; elle portait à chaque bras un panier
lourdement chargé. Un de ses compatriotes
la rejoignit en chemin; ils firent route en-
semble, tout en causant de choses et d'autres.
A certain moment, la femme, qui n'avait point
l'habitude de se contraindre, laissa échapper
de son fondement un bruit retentissant qui se
répercuta par les échos d'alentour; son com-
pagnon, que cette inconvenance avait scan-
dalisé, s'écria:
— Ce n'est pas bien, ça, la mère. Vous
n'êtes guère convenable.
— Ah! ce n'est pas à ton goût?
— Non, tant s'en faut.
— Attends, mon petit.
Ce disant, la grosse mère posa ses deux
paniers sur le bas-côté du chemin et se re-
CONTES PICARDS
З
troussa jusque dans le milieu du dos; montrant
son derrière à l'homme, elle lui dit:
— Si tu ne trouves pas ce pet à ta con-
venance, tiens, voici l'entrée du magasin,
entre et fais ton choix.
105. La harengère.
Une marchande de poissons parcourait un
jour les rues de la ville, portant à chaque
bras un énorme panier rempli de maquereaux,
de vives, de rougets. En l'entendant annoncer
sa marchandise d'une voix sonore, un cuisinier
de bonne maison sortit et l'appela; il examina
le contenu des deux paniers et fit un choix
de six maquereaux. Le marché fat long à se
conclure, car les deux parties mettaient de
l'entêtement à débattre le prix. Pendant les
pourparlers, la marchande fut prise d'un
besoin impérieux que, sans façon, elle se mit
à satisfaire aussitôt; écartant les jambes de
chaque côté du ruisseau, elle céda sans con-
trainte aux lois de la nature tout en con-
tinuant de discuter sur la valeur de sa mar-
chandise. Après qu'elle eut fini de pisser, elle
lança par derrière un bruit retentissant, qui
scandalisa le cuisinier.
1*
4
CONTES PICABDS
— Dites donc, la mère, fit-il en recalant de
deux раз et se bouchant le nez, voue pourriez
bien être un peu plus convenable avec vos
clients. Vous n'êtes qu'une grosse salope.
— Eh bien, quoi, tu es bien délicat, mon
petit, répartit la luronne en serrant ses lèvres.
Que fais-tu toi-même quand tu as fini de
pisser?
La question était ardue, aussi l'interpellé
ne répondit point.
— Eh bien, mon gars, tu secoues la der-
nière goutte, n'est-ce pas? C'est ce que je
ne puis faire ; voilà pourquoi je la ... souffle.
10e. Ta sortiras.
Un paysan se rendit un jour à Amiens. En
déambulant dans les rues, il parlait tout haut
et gesticulait avec un long gourdin qui lui
servait de canne. U arriva ainsi sur la place
principale où il s'arrêta; il enfonça son bâton
entre deux pavés et se mit à élargir le trou
par le haut à la façon des pêcheurs à la ligne
qui veulent faire sortir des vers pour les cap-
turer. Retirant sa trique du trou, il s'appuya
des deux mains sur l'autre extrémité et fit
CONTES PICARDS
5
mine de considérer la cavité qu'il venait de
produire. Tout à coup, il s'écria avec force
en levant son bâton en l'air :
— Tu sortiras! oui, tu sortiras, je le veux;
tu sortiras!
A cette vue, les passants s'arrêtèrent, et,
bientôt, une foule de badauds fit cercle autour
de cet original; c'est ce qu'il attendait. П
recommença à crier de toutes ses forces:
— Tu sortiras! Oui, tu sortiras!
Jetant un regard circulaire sur ses audi-
teurs, il leur dit:
— Oui, messieurs, il sortira ; il le faut. Oui,
il sortira, je le veux.
Les assistants, tout yeux et tout oreilles,
se demandaient ce que cela pouvait bien
signifier. L'homme s'écria de nouveau:
— Tu sortiras!... Voyons, m'entends-tu,
paresseux? ... Tu te trouves donc bien où
tu es? ... Il faut pourtant que tu sortes.
Oui, tu sortiras.
Regardant autour de lui, le paysan se baissa
et dit encore une fois:
— Oui, messieurs, il sortira... Il va sortir.
En cet instant, le silence était si complet
autour de l'étranger que l'on aurait entendu
le vol d'une mouche. L'homme en profita pour
produire son effet; écartant avec son bâton
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CONTES PICARDS
ceux qui se trouvaient trop près de lui, il
leva la jambe et lança un ... pet retentissant
qui fit trembler les vitres des magasins du
voisinage.
— Je vous avais bien dit qu'il sortirait,
s'écria le mystificateur triomphant. Il est
réellement sorti, messieurs, ajouta-t-il en
s'esquivant, mais pas assez vite pour ne point
entendre les réflexions goguenardes des as-
sistants.
— Si ce pet veut rattraper son premier
frère, dit l'un des auditeurs, il a le temps
de courir.
— Б peut bien aller à pied, ce pet, dit un
autre ; il y a assez longtemps qu'il était porté
par un baudet.
— Si l'on pleure ainsi à l'enterrement de
cet homme, dit un troisième, il y aura assuré-
ment plus de cochons que de chrétiens.
— S'il tombe quelque chose à la suite de
ce vent, dit un quatrième, ce ne sera que de
la ... merde.
107. Chez l'apothicaire.
Un laboureur s'était rendu un jour au bourg
voisin pour y vendre un sac de blé; il en
profita pour s'acquitter de quelques commissions
CONTES PICARDS 7
dont Tavait chargé sa ménagère, étant entré
chez nn apothicaire pour acheter un paquet
de poudre vermifuge, il salua très poliment
les personnes présentes en faisant de profondes
génuflexions et en se courbant presque jusqu'à
terre. Or, en gesticulant de la sorte, il
s'oublia au point de laisser échapper un bruit
qui fut bientôt suivi d'une odeur qui n'était
point celle de la rose. Le paysan, regardant
autour de lui, aperçut au pied d'une chaise
un petit caniche couché à terre, la tête entre
ses deux pattes; il lui allongea un coup de
pied en disant:
— Tu ne te gênes pas; va donc puer
ailleurs.
L'apothicaire et les personnes présentes se
regardèrent ahuris d'un tel aplomb.
— Vous n'avez pas réussi, mon brave, dit
le marchand de médicaments; c'est un chien
«n carton qui sert de jouet à mon dernier-né;
il ne saurait donc être rendu responsable de
votre incongruité... Tenez, voilà ce que
vous m'avez demandé; donnez-moi vos deux
sous et débarrassez-nous le plancher. C'est
assez d'avoir pété ici; allez chier ailleurs.
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CONTES PICABDS
108. Jeune fille qui empoisonne son
bon ami.
La теіііе de Pâques, une jeune paysanne se
présenta au confessionnal. Tout en déroulant
la série de ses péchés, elle s'accusa d'avoir
empoisonné son bon ami; puis, sans donner
plus de détails sur ce point, elle continua sa
confession. Le prêtre ne fut pas peu surpris
de l'aveu d'un tel crime fait avec tant de
désinvolture et d'inconscience. Arrêtant enfin
sa pénitente, il la pria de revenir sur l'aveu
très grave qu'elle venait de faire et lui de-
manda de raconter tout au long ce qui s'était
passé entre elle et son futur.
— Je vais tout vous dire, mon père, mais
il n'y a pas eu de ma faute, et si Jules ne
m'avait pas fait pleurer de rire...
— Voyons, voyons, mon enfant, dites toute
la vérité au bon Dieu; vous savez qu'il sait
tout et qu'il voit tout, puisqu'il est partout...
— Est-ce qu'il sent tout aussi? demanda la
pénitente d'un air ingénu.
— Mais, certainement, ma fille.
—- Ah! bonne Sainte Vierge, il aura été
empoisonné aussi! Quel malheur!
— Que voulez-vous dire? Expliquez-vous
donc.
CONTES PICAEDS
— Un soir, pendant le carême, j'étais assise sur
les genoux de mon bon ami ; il me raconta une-
farce tellement plaisante faite par lui la veille,
et il mit tant de gaieté dans son récit qu'il
me fit pleurer à force de rire. À un moment,
tout en pissant dans ma chemise, j'ai lâchée
une vesse étouffée tellement épaisse qu'on
aurait pu la couper avec un couteau. Jules
m'a traitée de salope et m'a dit que je l'avais
empoisonné. Depuis, je ne l'ai plus revu ...
Voilà tout ce qui s'est passé ... Par ma faute,
par ma faute, par ma très grande faute...
Le curé, rassuré, donna l'absolution à la
pénitente et lui dit:
— Allez en paix, ma chère enfant, et
ne ... vessez plus.
109. Dans la diligence.
C'était un samedi à Amiens, au mois de-
décembre. Huit marchands de vaches et un
cultivateur venus pour le marché étaient
montés dans une diligence à dix places pour
retourner chez eux. Au moment du départ,
une voyageuse se présenta; à la vue du per-
sonnel peu choisi, la dame fit la moue; elle
reconnut le cultivateur, qui était son fermier;.
10
CONTES PICABDS
celui-ci l'engagea vivement et le plus poliment
du monde à monter, disant qu'il y avait en-
core une place pour elle à côté de lui. La
dame monta, car la neige commençait à tom-
ber à gros flocons. Le lourd véhicule s'ébranla
et l'on partit.
Les marchands de vaches sortirent succes-
sivement leur pipe et se mirent à fumer
comme des cheminées de forge; ils n'avaient
eu d'autre objectif que de se soustraire à
l'odeur parfumée qui s'exhalait de la belle
voyageuse; cette odeur, si différente de celle
qu'ils respiraient en tout temps, leur occa-
sionnait des bondissements de cœur. La dame,
à son tour, se trouva bientôt incommodée; la
voyant suffoquée, son fermier s'empressa de
demander la permission d'ouvrir les vasistas;
tous les voyageurs refusèrent en grognant,
prétextant que le froid était trop vif.
— Attendez, madame, vous allez voir quel-
que chose, dit le cultivateur à l'oreille de sa
propriétaire; il venait de lui passer une idée
lumineuse; ces butors, ajouta-t-il, vont ouvrir
eux-mêmes sans que je renouvelle ma demande.
L'homme, levant la cuisse du côté de sa
voisine lâcha un pet tellement bruyant qu'on
l'aurait cru fils du cul d'un cheval ; une odeur
insoutenable, épaisse à couper au couteau,
CONTES PICAEDS
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suivit ce bruit sonore et emplit l'intérieur de
la diligence. N'y pouvant tenir, les marchands
de vaches s'empressèrent d'ouvrir les vasistas.
Il était temps : la dame, pâmée, allait tourner
de l'œil.
— Voyez-vous, lui dit son fermier d'un air
entendu, que mon moyen a produit l'effet
attendu. Je vous le recommande à l'occasion.
110. Picard et Normand.
Deux voyageurs qui ne se connaissaient ni
d'Eve ni d'Adam, un Picard et un Normand,
arrivèrent en même temps dans une auberge
où ils se proposaient de passer la nuit. Comme
il ne restait plus qu'un lit de libre, tous les
autres étant occupés, l'aubergiste leur proposa
de les mettre coucher ensemble, ce qu'ils ac-
ceptèrent faute mieux, mais ils se proposèrent
in pełło de se débarrasser l'un de l'autre.
Au repas du soir, on leur servit entre autres
mets des haricots; le Picard en redemanda à
plusieurs reprises, et, avant de se lever de
table, il absorba deux ou trois verres d'ani-
sette. Après qu'ils eurent soupe, les deux
voyageurs se couchèrent. A voix basse, le
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CONTES PICARDS
Picard fit une confidence à son compagnon;
il l'informa qu'il était atteint d'une infirmité
fort gênante pour ceux avec lesquels il se
trouvait obligé de passer la nuit.
— Si vous êtes réveillé par certains bruits,
ajouta-t-il, n'en soyez point effrayé : je ne faia
que péter.
Le Normand, finaud comme ceux de sa
province, fit mine de couper dans le pont;
une idée jaillit aussitôt dans son cerveau.
Feignant d'avoir oublié quelque chose, il se
leva et se rendit à tâtons dans la cuisine,
où il décrocha le soufflet qu'il avait remarqué
dans un coin de la cheminée.
— Confidence pour confidence, dit-il à son
compagnon après qu'il se fut recouché. Je-
suis moi-même sujet à des... fuites de nature
semblable, mais avec cette différence qu'elle»
frappent le nez plutôt que les oreilles: je fais
des vesees froides.
D'un commun accord, il fut arrêté que, de
part et d'autre, on mettrait une sourdine à
l'échappement des gaz. Mais, le Picard, qui
avait hâte de se débarrasser de son compagnon,
se livra sans retenue à l'exercice qui carac-
térisait l'infirmité dont il venait de se dire
atteint. A chacune de ses décharges, le Nor-
mand répondit coup pour coup. Voici comment
CONTES PICABDS
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il s'y prenait. Ayant placé le soufflet entre
ses jambes, il le faisait jouer sur son тоівіп
4e lit; celui-ci, au bout d'un instant, ne
pouvant plus y tenir, se jeta à bas du lit,
disant:
— Oh! la la! quels vents glacés! Je crois
que cet homme a l'hiver dans le corps.
Et c'est ainsi que le Normand demeura
seul occupant du lit.
110 a. Variante.
Deux individus inconnus l'un à l'autre furent
invités à une noce. Après les divertissements,
en les fit coucher dans le même lit; l'un d'eux,
qui avait voulu être seul, ne put s'empêcher
de faire la moue. Une idée lui vint aussitôt;
il laissa coucher son compagnon, et, s'étant
procuré un soufflet, il se déshabilla ensuite,
puis il prit place dans le lit.
— Mon camarade, dit-il à l'autre, je dois
voue prévenir que vous allez être incommodé
pendant toute la nuit: je ne fais que vesser
quand je suie au lit; il m'est impossible de
retenir mes vents.
A l'instant même, il fit fonctionner le souf-
flet qu'il avait placé entre ses jambes.
— Tiens, se dit l'autre, il vesse froid, notre
homme. Je vais essayer de me garantir.
14
CONTES PICABDS
À cet effet, il tira sur les couvertures, etr
dans ce mouvement, il sentit le canon du
soufflet; il fut tout de suite édifié.
— Ah! mon gaillard, pensa-t-il, tu veux
ruser. Attends un peu, nous allons jouer au
plus malin; nous verrons lequel de nous deux
déguerpira le premier.
L'homme au soufflet continua ses exercices;
tout à coup, il sentit un liquide tiède qui
coulait dans son dos; son camarade pissait à
son derrière.
— Que faites-vous donc là, espèce de ma-
lappris? dit le premier en colère.
— Laissez faire, répondit l'autre en con-
tinuant; vous allez être guéri de votre
infirmité. N'avez-vous pas entendu dire
bien des fois que petite pluie abat grand
vent?
Une fois de plus, ce proverbe eut raison.
110 b. Variante.
Un riche fermier maria sa fille. Le jour
des noces, un invité sur lequel on ne comptait
pas arriva fort tard. Quand vint l'heure du
coucher, tous les lits étant pris, on ne sut
où placer le retardataire. La fermière dit à>
son mari:
CONTES PICAEDS
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— Il me vient nne idée. Ton cousin Jean
occupe un lit à lui seul ; il est de bonne com-
position, obligeant et gai compère; il acceptera
de le partager avec mon cousin François.
Le fermier alla trouver Jean; il lui fit part
de son embarras et lui dit ce qu'il attendait
de sa complaisance. L'autre fit la grimace,
mais il n'osa point refuser. François prit
donc place à côté de Jean, qu'il ne connaissait
point et dont il n'était pas connu. Maie, céli-
bataires endurcis tous les deux, ils ruminaient
chacun de leur côté quel tour ils pourraient
bien jouer pour se débarrasser l'un de l'autre.
Au bout d'un instant, Us firent semblant de
dormir profondément. Tout à coup, Jean
lâcha un bruit formidable, aussitôt suivi d'une
odeur à couper au couteau.
— Ah! se dit l'autre en se pinçant les
narines, il faut éviter que cela ne se re-
nouvelle.
Et il agit en conséquence sans perdre de
temps. Jean, sentant quelque chose d'humide
et de chaud à son derrière y jeta la main.
— Dites donc, espèce de saligaud, s'écria-t-il
courroucé, il me semble que vous pissez à
mon cul?
— C'est vrai, répondit l'autre avec un
grand flegme. Comme le vent faisait rage,
16
CONTES PICARDS
j'ai fait ce qu'il faut pour détourner l'orage;
vous n'ignorez pas le commun proverbe : Petite
pluie abat grand vent.
111. Naïveté.
Deux jeunes marjés attendaient avec une
égale impatience le moment de se mettre au
lit pour leur première nuit de noce. Sans
perdre de temps aux bagatelles de la porte,
le mari se mit en fonctions. Comme il n'était
point novice à ce métier, il reconnut à l'ai-
eance avec laquelle il pénétra dans sa femme
que celle-ci n'avait plus sa virginité. De dé-
pit, il lâcha une vesse à couper au couteau.
— Que ça pue ici! s'écria la mariée. Qu'est-
ce que l'on peut bien sentir?
— Ne te tourmente pas, ce n'est rien; c'est
tout simplement mon pucelage qui fout le
camp, répondit l'homme en se moquant de sa
femme.
— Il est fort heureux, répliqua-t-elle, que
je n'aie point gardé le mien jusqu'aujourd'hui;
si je l'avais encore eu, noue n'aurions pas
pu y tenir: nous aurions été empoisonnés
tous les deux.
CONTES PICAEDS
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111a. Variante.
On raconte aussi que deux jeunes époux
Tenaient d'entrer dans le lit nuptial la pre-
mière nuit de leurs noces. Le mari suait des
pieds et l'odeur qui s'en dégageait était si
repoussante qu'il avait été réformé pour le
service militaire. La femme, se pinçant les
narines, s'écria:
— Dieu de Dieu! comme ça pue ici.
Sens-tu?
— Oui.
— Qu'est-ce que ce pourrait bien être?
— C'est mon pucelage.
— Ah! quelle chance j'ai de n'avoir plus
le mien!
— Comment, tu l'as perdu?
— Oui, et c'est fort heureux, nous aurions
été asphyxiés.
112. Dure d'oreilles.
Une bonne dévote était atteinte de surdité.
Un dimanche, à la messe, pendant le sermon,
elle crut vesser et lâcha un pet.
— Dieu vous bénisse! dit tout haut un
loustic.
Kqvtcx. XL 2
18
CONTES PICARDS
Toute l'assistance éclata de rire. Le pré-
dicateur dut descendre de la chaire.
— M. le Curé n'avait pas grand'chose à
nous dire aujourd'hui, dit la bonne vieille à
sa voisine; il n'aura sans doute pas eu le
temps de préparer son sermon.
A quelque temps de là, cette même femme
se trouvait à la veillée chez l'un de ses voi-
sins, où il y avait nombreuse compagnie; tout
à coup, l'un de ceux qui était assis à côté
d'elle dit à haute voix:
— Vous allez voir que Fanchon n'est pas
aussi sourde qu'elle veut le faire croire.
Au même moment, le salaud fit un pet à
réveiller les morts. Fanchon ne broncha point,
mais elle se boucha le nez presque aussitôt,
et, se tournant à demi vers le péteur, elle
lui dit:
— Tu n'as pas beaucoup de respect pour
la compagnie.
— Ne vous l'avais-je pas dit? s'écria l'autre
triomphant.
Elle offrit un dimanche le pain bénit à
l'église; au moment où elle assistait à la
cérémonie de la bénédiction en tenant un
cierge à la main, elle s'oublia, et, croyant
vesser, elle péta. Le clergé et les enfants de
chœur éclatèrent de rire. Pensant que l'on
CONTES PICARDS
19
se moquait du pain de fort modeste volume
qu'elle offrait, elle se tourna vers le curé
et dit:
— Je regrette bien de ne l'avoir pas fait
plus gros, mais je n'avais pas plus de farine.
113. Je pisse et je ne pisse pas.
Un bon vieux paysan souffrait de l'estomac;
il éprouvait des douleurs intolérables; il
n'était pas de remède de bonne femme qu'il
n'employât pour obtenir du soulagement. On
lui conseilla un jour d'appliquer sur sa poi-
trine une peau de chat. Il le fit sans retard.
Le lendemain soir, se trouvant mieux, il se
rendit à une "tripée" donnée par l'un de ses
voisins, qui venait de tuer son porc. Il
mangea bien et but mieux. A certain mo-
ment, il sortit dans la cour pour satisfaire
un petit besoin ; n'entendant rien choir à terre,
il se dit:
— Tiens, c'est étrange. Que se passe-t-il
donc? Je pisse et je ne pisse pas. Pourtant,
je sens bien que je pisse tout de même. Je
n'y comprends rien. Qu'est-ce que cela veut
dire?
2*
20
CONTES PICARDS
Б boutonna vivement sa culotte, — trop
vivement même — et rentra dans la maison,
inquiet de ce qui venait de se passer. A sa
vue, tous les convives éclatèrent de rire. Par
l'ouverture mal boutonnée de sa culotte sor-
tait l'extrémité de la queue de la peau de chat
que l'on avait négligé de couper. Baissant
les yeux, l'homme reconnut la cause de l'hi-
larité générale. Б raconta ce qui venait de
se passer.
— Voici mon erreur, dit-il eu terminant;
c'est la queue du chat que j'ai sorti de ma
culotte croyant mettre la mienne à l'air; j'ai
pissé dans mon caleçon; je sens maintenant
que je l'ai copieusement arrosé ainsi que mes
bas; mon urine est tombée dans mes galoches.
114. Un petit trou.
Un paysan déambulait un jour dans les rues
d'Amiens. Quand il arriva sur la place Péri-
gord, il fut remarqué par un groupe de dés-
œuvrés, dont la principale occupation consistait
à dévisager les passants et à s'en gausser.
L'un d'eux examina le campagnard des pieds
à la tête; son pantalon trop court lui permit
CONTES PICARDS
de remarquer qu'il était jambes nues ; il résolut
de se payer la tête du rustique personnage,
à l'air niais et à la tournure gauche, em-
pruntée.
— Eh bien, mon brave, vous venez faire un
petit tour à la ville? lui dit-il sur un ton
engageant.
— Ah! oui, monsieur.
— Vous paraissez fatigué; il est vrai que
vos galoches sont lourdes; vous devez user
beaucoup de bas avec de telles chaussures.
Tenez, à ce propos, je veux me montrer
généreux envers vous, parce que vous me
faites l'effet d'être un brave homme. Je vais
vous donner mon adresse, et, quand vos bas
seront usés, vous viendrez me trouver, je vous
en offrirai de bon cœur une autre paire.
Les compagnons du loustic jetèrent les yeux
sur les jambes du paysan et se mirent à rire
aux éclats ; mais celui-ci, qui ne perdait point
le nord, repartit sur un ton goguenard:
— Je vous remercie bien, monsieur, de votre
offre généreuse, mais je dois vous dire que
mes bas sont d'une étoffe inusable; j'ai une
culotte de même qualité, et, depuis plus de
soixante ans que je la porte, il n'y a encore
qu'un petit trou; voulez-vous le voir, mon-
CONTES PICARDS
sieur? dit le campagnard en montrant du doigt
le trou de son cul.
A cette réplique qu'il n'attendait point, le
railleur s'esquiva sous les quolibets de ses
camarades et sous le gros rire du paysan.
114 a. Variante.
Un bon curé, qui avait l'habitude de se
promener dans les champs pendant la belle
saison pour lire son bréviaire, fit un jour la
rencontre d'un groupe de femmes et de jeunes
filles qui se rendaient aux champs. Son atten-
tion fut attirée, bien malgré lui, par les
jambes nues d'une jeune fille court-vêtue; il
lui dit:
— Je te félicite, mon enfant...
— Pourquoi, monsieur le curé? lui demanda-
t-elle tout aussitôt.
— Laisse-moi achever. Je vois que tu as
là une paire de bas inusable.
— C'est ce qui vous surprendra peut-être,
monsieur le curé, quand je vous aurai dit que
j'ai le caleçon pareil; il y a vingt ans que je
le porte et il n'y a encore que deux trous
au cul.
Le curé baissa la tête et continua son
chemin, pendant que ses paroissiennes riaient
CONTES PICABDS
23
à gorge déployée. L'une d'elles l'interpella
aussitôt, lui criant:
— Moi aussi, monsieur le curé, j'ai un
caleçon semblable à celui de ma compagne;
il est également troué en deux endroits, mais
j'y fais faire un point de temps en temps par
notre voisin.
115. L'enfant gâté.
Un gamin était outrageusement écouté par
ses parents, qui supportaient tous ses caprices ;
aussi devint-il volontaire, impérieux, et, à la
moindre contrariété, il se roulait sur le sol
en proie à de violentes attaques de nerfs. Le
médecin avait recommandé de ne jamais rien
refuser à l'enfant, laissant espérer que ces
accès disparaîtraient plus tard.
Un jour, ce petit diable eut une scène avec
la servante; il tempêtait, poussait des cris
perçants, renversait les meubles, brisait ce
qui lui tombait sous la main. La mère, qui
se trouvait dans sa chambre, entendit ce va-
carme; elle accourut et adressa de vifs re-
proches à la bonne, lui rappelant qu'elle devait
se soumettre à toutes les volontés de son fils;
elle demanda:
24
C0NTB8 PICABDS
— Que veut-il?
— Ce que je ne puis lui accorder.
— Mais encore?
— Ah ! si madame le savait, elle ne consen-
tirait point à ce que je le lui donne.
— Dites-le-moi; je tiens à savoir de quoi
il s'agit.
— Je n'ose pas; c'est trop inconvenant. Je
préfère me taire.
— Je n'entends pas que vous me le cachiez.
La bonne ne répondit pas; elle demeurait
debout, ne sachant quelle contenance prendre
et prête à pleurer. Sa maîtresse la réprimanda
plus vivement encore, la menaçant de la ren-
voyer sur le champ.
— Obéissez ou faites votre malle.
Poussée à bout, la pauvre fille avoua que
l'enfant exigeait qu'elle lui montrât son
derrière.
— Ce n'est que cela? La belle affaire!
Faites-le-lui voir et ce sera fini.
Mais la bonne ne semblait point disposée à
satisfaire le caprice bizarre du petit volontaire ;
elle résista d'abord aux objurgations de la
mère, mais elle finit par céder. Relevant ses
jupons et sa chemise, elle tourna son derrière
vers le gamin, lui disant:
— Tiens, regarde.
CONTES PICABDS 25-
Mais l'enfant poussa de nouveaux cris plus-
perçants et se mit à trépigner avec plus de
colère que jamais.
— N'as-tu donc pas vu ce que tu demandais,
mon chéri? dit la mère.
— Non, non, ce n'est pas cela, na. Hierr
elle a montré à papa l'autre côté, qui est bien
plus beau, et même que papa a fait joujou,
avec pendant longtemps.
lie. Avec un peu de sauce.
Une femme d'un certain âge avait été in-
vitée à un repas de baptême ; elle était sourde
comme un pot, et, pour ce motif comme pour
sa mauvaise langue, on ne recherchait guère
sa société; aussi se plaisait-on, toutes les fois
qu'on le pouvait, à la mystifier ou à lui jouer
de vilains tours. Bien que n'ayant plus de
dents, elle fit honneur à tous les plats que
Гоп se passait autour de la table. Quand
vint le tour d'un rôti de porc cuit à point et
fort appétissant, son voisin, après s'être servi,
tendit le plat à la bonne femme, et faisant
mine de la servir, il lui dit à haute voix sans,
qu'elle entendît un seul mot:
26
CONTES PICARDS
— Veux-tu lécher mon cul?
— Volontiers, voisin, avec un peu de sauce,
répondit-elle en avançant son assiette et en
passant sa langue sur ses lèvres.
Tous les convives éclatèrent de rire sans
que celle qui en était l'objet se doutât que
Гоп riait de sa réponse.
117. L'œil-de-bœuf.
Une jeune fille était recherchée par deux
jeunes gens qui lui plaisaient également, l'un
parce qu'il était riche, l'autre parce qu'il était
beau garçon; du reste, elle était d'humeur et
de complexion à satisfaire les désirs amoureux
de deux maris. Le premier de ses soupirants
était un peu nigaud ; bien qu'ayant été admis
«depuis longtemps à faire sa cour, c'est à peine
«'il osait embrasser sa fiancée à de rares inter-
valles. Quant au second, il ne pouvait voir
la jeune fille qu'à la dérobée, pendant de
courts instants, mais il savait les mettre à
profit ; il se montrait si ardent, si entreprenant,
qu'il finit par obtenir les dernières faveurs.
Comme la chambre de la jeune fille donnait
sur la rue, il lui arrivait souvent le soir de
CONTES PICARDS
27
passer par la fenêtre pour aller coucher avec
son amante.
Cet état de choses durait depuis quelque
temps déjà, et le fiancé ne se doutait de rien.
Or, un jour, ce dernier dit à la jeune fille:
— Après que je t'ai quittée, il me prend
souvent des envies furieuses de t'embrasser
avant que de me coucher; ne pourrais-tu pas
m'accorder cette satisfaction de temps en
temps ?
— C'est bien facile. Tu n'auras qu'à venir
frapper un coup léger au carreau de l'œil-de-
bœuf qui est percé dans le pignon de notre
maison ; il donne justement dans ma chambre,
à la tête de mon lit ; j'irai ouvrir et tu pourras
m'embrasser. Tu viendras demain soir.
Le nigaud partit enchanté. Il ne manqua
pas au rendez-vous le jour suivant. Il frappa
doucement, mais la jeune fille ne répondit
point tout de suite; elle venait de recevoir
son amant dans son lit ; celui-ci, qui préludait
à un premier assaut, demanda quel était ce
signal; son amante le mit au courant de ce
qui s'était passé la veille avec son fiancé.
— Laisse-moi faire, lui dit-il aussitôt en
riant, et ne bouge pas; tu répondras simple-
ment.
Le benêt frappa une seconde fois.
28
CONTES PICARDS
— Qui là? demanda la jeune délurée.
— C'est moi. Tu as donc oublié ta pro-
messe d'hier?
— Non; j'étais endormie. Attends, je me-
lève.
Mais ce fut son amant qui se leva ; il ouvrit
l'œil-de-bœuf, et, comme l'obscurité était pro-
fonde, il plaça son derrière tout nu dan»
l'ouverture du châssis.
— Vite, embrasse-moi et va-t-en, lui dit la>
jeune fille de son lit.
— Oh! que je suis content! comme c'est
bon ! s'écria le niais en avançant la figure sur
le postérieur de son heureux rival, qu'il em-
brassa à pleine bouche en faisant claquer ses-
lèvres.
Se retirant ensuite, il demanda étonné:
— Est-ce que tu as filé ce soir?
— Pourquoi cette question?
— Il me semble que j'ai senti de l'étoupe
autour de ta bouche.
118. Contre le mal de dents.
Un soir d'hiver, il y avait nombreuse société
autour du feu dans une ferme. Parmi les
jeunes gens qui assistaient à la veillée, se
29
trouvait un jeune freluquet qui ne visait qu'à
faire de l'esprit, mais il réussissait rarement.
Ayant remarqué que l'une des jeunes filles
présentes s'était passé un mouchoir autour de
la tête parce qu'elle souffrait d'un mal de dent,
il lui dit en faisant la bouche en cœur:
— Mademoiselle, si vous voulez que je vous
ambrasse à l'endroit où vous souffrez, votre
mal disparaîtra comme par enchantement.
Sans donner à l'interpellée le temps de ré-
pondre, la fillette du fermier, petite espiègle
d'une dizaine d'années, s'adressa tout de suite
au guérisseur et lui dit:
— Puisque vous avez la faculté de guérir
«eux qui souffrent en les embrassant à l'endroit
où ils ont du mal, voue pourriez bien dé-
barrasser ma grand'mère de ses hémorroïdes,
qui ne lui laissent ni trêve ni repos.
119. Heureuse réplique.
Les gens d'un gros village picard, le Candas,
ont été surnommés les Ahuris. Or, un jour,
deux étrangers traversèrent cette commune;
l'un d'eux dit à son compagnon:
— Nous sommes dans le pays des Ahuris.
зо
CONTES PICARDS
Une bonne vieille femme, assise sur le pas
de sa porte, occupée à ravauder de vieilles
hardes, ayant entendu ce propos, releva la
tête, et, remontant ses lunettes sur son front,
elle dit aux étrangers:
— Oui, c'est vrai, vous êtes dans le pays
des Ahuris, messieurs; mais il en passe beau-
coup plus qu'il n'en reste.
Les étrangers continuèrent leur chemin sans
relever le trait qui venait de leur être lancé.
Avant qu'ils n'eussent tourné le coin de la
rue, la vieille les appela, leur demandant en
criant de toutes ses forces pour faire sortir
ses voisins dans la rue et avoir ainsi un plus
grand nombre de témoins à la gouaillerie
qu'elle allait lancer:
— Savez-vous, mes bons messieurs, pourquoi
on nous appelle les Ahuris?
— Non, ma brave femme, répondit l'un d'eux ;
apprenez-le-nous donc, je vous en prie, nous
en saurons alors autant que vous.
— Eh bien, c'est parce que personne dana
notre village n'a jamais pu voir son trou de
cul. Vous qui paraissez être si malins, avez-
vous vu le vôtre?
Les deux étrangers, absolument estomaqués,,
courent encore.
CONTES PICARDS 31
120. Méprise.
Un brave cultivateur, marié à la femme la
plus revêche, la plus acariâtre que l'on pût
rencontrer sous la calotte des cieux, était à
chaque instant l'objet des criailleries, des
plaintes et des jérémiades de sa peu douce
moitié. Son intérieur était un véritable enfer,
aussi n'y demeurait-il que le moins longtemps
possible. A la suite de scènes violentes, il ne
manquait jamais d'aller noyer son chagrin au
cabaret. Or, un jour qu'il avait fait une ri-
bote de première classe, il revint chez lui
très tard dans la soirée. Pour ne rencontrer
personne, il prit au plus court en passant par
son jardin; mais son ivresse était telle qu'en
butant sur une souche au passage de la haie
il s'étendit à terre au milieu d'un plant de
citrouilles; ne pouvant se relever, il s'endor-
mit aussitôt d'un profond sommeil. Au bout
de deux ou trois heures, il se réveilla à.
demi, sa joue contre une citrouille ; se croyant
dans son lit, il dit à haute voix pensant
s'adresser à sa femme:
— Tu pourrais bien mettre ton cul ailleurs
que sur mon oreiller.
32
CONTES PICARDS
121. Four faire avancer un âne rétif.
Un paysan s'était rendu à la ville avec son
âne; en tournant un coin de rue, celui-ci se
trouva en présence d'un ruisseau qu'il refusa
de traverser ; il s'arrêta net et son maître eut
beau le frapper, il ne voulut ni avancer ni
reculer. En un clin d'oeil, les badauds s'at-
troupèrent en cet endroit et les lazzis de
pleuvoir. Un élève en pharmacie quitta ses
bocaux pour se joindre aux curieux et s'assurer
si l'on avait besoin de ses services. Quand il
se fut rendu compte de ce qui motivait ce
rassemblement, une idée lui passa par la tête,
qu'il mit sans retard à exécution; il courut à
son officine et en revint avec deux paquets
de poivre de Cayenne, qu'il remit au maître
de l'âne en lui disant:
— Mon brave homme, vous serez encore ici
ce soir si vous ne suivez pas le conseil que
je vais vous donner. Tenez, voici deux paquets
d'une poudre qui a la propriété de faire avancer
les bêtes rétives. Vous n'avez qu'à lever la
queue de votre baudet et à lui appliquer sur
le trou du cul la poudre que je viens de vous
remettre ; il partira aussitôt comme une flèche.
Le campagnard se confondit en remerciements
et usa du moyen qui lui était recommandé.
CONTES PICARDS
83
L'effet annoncé s'en produisit à l'instant; sous
Ja douleur qu'il ressentit, l'animal se mit à
ruer furieusement et détala à toute vitesse.
Son maître s'élança derrière lui, mais, bien-
tôt hors d'haleine, et désespérant de l'atteindre,
il s'arrêta essoufflé, s'arraehant les cheveux.
— Imbécile que je suis, se dit-il tout à coup,
puisqu'un paquet de cette poudre merveilleuse
a eu le pouvoir de faire courir mon âne, je
n'ai qu'à employer le second paquet sur moi-
même.
Avisant dans le voisinage une porte cochère
qui était ouverte, il se réfugia dans un coin,
fit tomber sa culotte et s'accroupit pour
s'appliquer à l'anus la poudre du second
paquet que lui avait remis l'aide-pharmacien.
A peine avait-il commencé cette belle opéra-
tion qu'il éprouva comme une violente cuisson
à son fondement; le malheureux poussait des
hurlements affreux; sans prendre le soin de
remonter sa culotte, il alla tremper son der-
rière dans le ruisseau, croyant ainsi trouver
un remède à sa souffrance.
En rentrant chez lui le soir, il trouva son âne
à l'écurie.
121 a. Variante.
Un individu avait fait élever une barrière
à claire-voie en bois pour clore sa cour. Ayant
Kqvtit. XI. 3
34
CONTES PICARDS
trouvé que la peinture coûtait trop cher, il
prit le parti de goudronner sa barrière.
S'étant procuré du goudron, il le renversa
dans un chaudron, qu'il plaça sur un bon feu
de bois. Au moment où il se livrait à cette-
opération, un marchand de salades des plus-
naïfs vint à passer; il s'arrêta et demanda à
l'homme :
— Pourquoi donc faites-vous ainsi chauffer
votre goudron?
— Hé, mais, c'est pour que cela aille
plus vite.
— S'il en est ainsi, reprit le marchand de
légumes, vous pourriez bien en appliquer au*
tant sur mon cheval, qui va trop doucement
et semble n'avoir point la force de lever son
derrière.
— Rien n'est plus facile, répliqua l'autre.
Trempant son pinceau dans le goudron en
ebullition, le farceur se dirigea aussitôt vers
la haridelle et, lui levant la queue, il lui bar-
bouilla l'anus d'une épaisse couche de goudron.
En proie à une cuisante douleur, la rossinante
détala avec une vitesse dont on ne l'aurait
point cru capable. Son maître s'élança der-
rière elle sans pouvoir la rejoindre.
— Attendez! attendez donc! lui cria
l'homme au goudron; baissez votre culotte;
CONTES PICARDS
85
je vous ferai la même opération et au même
endroit qu'à votre cheval, vous pourrez ainsi
le rattraper aisément.
122. Le chauve et rédenté.
Deux vieux ouvriers agricoles se moquaient
un jour, à l'heure du déjeuner, de leurs in-
firmités réciproques; l'un était chauve, l'autre
n'avait plus de dents; ce dernier disait à
l'autre :
— Quand tu te présenteras à la porte du
paradis, saint Pierre refusera de te laisser
entrer en te disant qu'on n'entre pas chez lui
avec le cul en avant.
— Je n'ai plus de cheveux, c'est vrai, mais
je suis encore mieux loti que toi; ta bouche
est toute dépavée; tu peux faire un mariage
avec ton nez et ton menton; je puis te
faire baiser mon cul sans crainte, tu ne le
mordras pas.
123. Bourse volée.
Une paysanne s'était rendue au marché du
bourg voisin pour y vendre les produits de sa
basse-cour. Avec l'argent qu'elle reçut de
3*
36
CONTES PICARDS
son beurre, de ses œufs et de sa volaille, elle
devait acheter différente articles de ménage
d'une extrême urgence. Quand elle eut fait
ses emplettes et qu'elle voulut en solder le
montant, elle s'aperçut que sa bourse lui avait
été soustraite. Elle se livra à toutes les
recherches possibles, mais ce fat en vain:
son argent demeura perdu; force lui fut de
rentrer chez elle sans un sou.
En arrivant à la maison, elle dut raconter
sa mésaventure à son mari.
— Où avais-tu mis ta bourse? lui de-
manda-t-il.
— Comme à l'habitude, répondit-elle, dans
la poche de mon jupon, là, par-derrière.
Et la pauvre femme poussait des gémisse-
ments à fendre Гате, dans le but évident
d'esquiver les trop violents reproches de son
seigneur et maître; celui-ci, touché d'une telle
émotion, se borna à cette simple question,
qu'il dut renouveler deux ou trois fois parce
que la réponse tardait à se faire:
— Mais, ma pauvre femme, tu n'as donc
pas senti une main à ton cul?
— Oui, je me suis bien aperçue qu'on me
maniait le cul, mais j'étais loin de me douter
que c'était pour cela ...
C0NTE8 PICABDS
124. Signalements.
Le garde champêtre de certain village s'était
fait une réputation toute particulière par la
singularité des signalements qu'il prenait des
délinquants.
Un étranger avait séjourné quelque temps
dans une auberge; un dimanche, il se livra à
de copieuses libations et se fit remarquer par
des excentricités telles que les témoins de ses
extravagances résolurent d'y mettre un terme
en requérant la police. Le garde arriva donc
à l'auberge, mais, à la vue de l'agent de la
force publique, le soulard s'éclipsa et se ré-
fugia dans sa chambre, où il se barricada.
Le garde sortit dans la cour, se posta en face
de la fenêtre de l'appartement où l'homme
s'était enfermé ; il le somma à haute et intel-
ligible voix d'ouvrir sa porte sans retard. Pour
toute réponse, l'ivrogne ouvrit précipitamment
la fenêtre, et, faisant tomber sa culotte et
levant sa chemise, il posa son derrière à nu
sur l'appui de la fenêtre. A cette vue,
le garde, qui était myope, sortit son cale-
pin de sa poche et, s'armant de son crayon,
il libella ainsi le signalement du délin-
quant à l'effet de rédiger ensuite un procès-
verbal :
38
CONTES PICARDS
— Jones rebondies, nez aqnilin, moustaches
touffues...
Le même garde surprit un jour un inconnu
chassant sans permis; il verbalisa contre lui
et le désigna en ces termes:
— Yeux bleus, nez allongé, bouche com-
mune ...
Un loustic, présent à cette scène, s'écria à
ce mot:
— On peut chier dedans alors.
125. L'épreuve.
Un père avait une fille unique d'une grande
beauté qu'il songeait à marier; comme on
savait qu'il la doterait richement, les pré-
tendants ne manquaient point. Le père en
distingua trois, qu'il résolut de soumettre à
une épreuve. Pour cela, il les invita à une
réunion qui eut lieu chez lui un soir et à la-
quelle devaient assister aussi les membres de
sa famille; il leur laissa entendre qu'à l'issue
de cette soirée, sa fille déciderait de son choix.
Les trois amoureux furent exacts au rendez-
vous. Le père avait fait placer dans son salon
trois fauteuils garnis chacun d'un coussin
moelleux; ces sièges étaient destinés aux trois
CONTES PICAEDS
89
soupirants; ils avaient été disposés de telle
sorte que, de sa place, la jeune fille ne devait
perdre aucun des. mouvements de ses adorateurs.
Quand le premier entra dans le salon, il fit
les salutations d'usage et adressa à la jeune
ülle un compliment fort bien tourné, puis il
chercha un siège; le père lui désigna de la
main Tun des trois fauteuils ; le jeune homme,
voyant un coussin, l'enleva délicatement, le
posa sur le fauteuil voisin et s'assit sur le
siège dégarni. Le second soupirant fit ensuite
son entrée, et, après qu'il eut salué la société
avec beaucoup de distinction et adressé de
fort galants propos à la jeune fille, il retira
les deux coussins du second fauteuil pour les
poser sur le troisième et s'assit à côté de son
rival. Au même instant, le troisième pré-
tendant fit son entrée dans le salon; il se
présenta avec une grande aisance, mais ses
salutations forent brèves. Il ne restait
d'inoccupé que le fauteuil aux trois coussins;
les prenant successivement, le nouveau venu
les tourna, les retourna, les battit l'un après
l'autre^ les remit en place et s'assit sur le
moelleux duvet, semblant heureux d'occuper
un siège si doux.
Dès lors, le choix de la jeune fille fut fait;
elle avait observé attentivement la manière
40 CONTES PICARDS
d'agir des trois jeunes gens ; le dernier l'avait
conquise. Quand les invités eurent quitté le
salon, elle désigna à son père l'élu de son
cœur. Un mois plus tard, l'heureux concurrent
la conduisait à l'autel. Pendant les divertis-
sements qui suivirent le repas de noce, l'une
des cousines de la mariée, qui avait assisté à
la soirée décisive, interrogea fort adroitement
la jeune mariée.
— Pourrais-tu me dire, ma chère cousine,
ce qui t'a fait préférer ton mari aux denx
autres candidats ? Ces derniers me semblaient
aussi dignes de solliciter ta main, — non pas
que je blâme ta décision, car ton mari est
parfait; mais comment as-tu pu résoudre ce
difficile problème?
— C'est bien simple, ma chère; l'épreuve a
porté seulement sur les coussins.
— J'ai remarqué que ton mari s'est assis
sur les trois coussins. Je ne vois là rien
d'extraordinaire.
— C'est une erreur; pour moi, ce détail
présentait, au contraire, un intérêt capital.
— Je ne comprends pas. Explique-toi.
— Donne-m'en le temps.
— Je t'écoute.
— Quand j'ai vu mon mari diposer méticu-
leusement les coussins et s'asseoir dessus avee
C0NTE8 PICARDS
41
une grande satisfaction, je me suis dit: "Voilà,
mon affaire; si ce garçon a soin de son cul,
il aura les mêmes attentions pour le mien.'*
Comprends-tu maintenant les raisons qui m'ont
guidé dans le choix que j'ai fait? ajouta la
mariée avec un air victorieux.
126. Des gens bien éduquès.
I gny o ieu enne fois enne féme qu'ai s'est
en allée à le ville; par derrière, і venoi un
curè. D'un cœup, al lache un gros pet.
— Sorte, bienheureux! qu'ai dit en part elle.
Un momen après, a' nen foi un deuxième.
— Sorte, délabré, qu'ai dit.
En se retornant, al о vu éche curè.
— Édepuis quant jou qu'os êtes lo, monsieur
le curè?
— Depuis le tans que délabré il est sorti,,
la mére.
Éche curè il о continue sen quemin. Un
molet pu loin, il о vu un galibier qu'i gœuloit
des pémes.
— Tes pémes і sont-ti boines, men quiot?
— Aussi boines éque du bren.
42
CONTES PICARDS
— Éje m'en vos le dire à ten pére, quiot
mal apprins.
En passant an droit dé le moison dé che
pére, qu'il étoit chavetier de sen métier, éche
curé i li o raconté che que sen fin і venoit
de H dire.
— Quoi qu'os volez, monsieur le curé?
Ch'est le vrai rétoire dé se mére, si sale éque
sen con.
Un molet pu loin, che curé il o rejoint le
féme dé che chavetier; i li o parlé dé le ré-
ponse éde sen fiu et pi de chelle dé s'n
homme.
—- Quoi foire à ho, monsieur le curé? M'n
homme il est si béte éque sen cul.
Éche curé il o continué sen quemin en se
disant :
— Tel abre, tel fruit.
(Kryptadia, П, 149-160.)
127. Le ooq du clocher.
Un étranger traversant un jour un village
remarqua un groupe d'ouvriers réunis à l'heure
du goûter sur la place publique en face de
l'église. Voulant s'égayer à leurs dépens, il
s'arrêta et posa cette question:
CONTES PICARDS
43
— Savez-vous pourquoi Гоп a mis un coq
au lieu d'une poule au-dessus du clocher?
— Non, dirent-ils en chœur.
— C'est parce qu'une poule, en pondant,
casserait son œuf.
En se frottant les mains de ce que sa farce
avait si bien réussi, l'étranger posa une se-
conde question qu'il amena en ces termes:
— Б ne faudra tout de même pas avoir peur
pour grimper en haut de votre clocher, car la
:flèche est très élevée.
— Pourquoi, monsieur?
— Pour descendre le coq.
— Dans quel but? demanda-t-on.
— Pour le faire pisser.
Et l'homme continua sa route en riant aux
éclats. Mais l'un des paysans du groupe le
rappela, lui criant:
— On vous a oublié, monsieur, quand on
l'a descendu.
— Pourquoi donc, mon ami? demanda
l'étranger sans défiance.
— Pour vous faire baiser son cul.
L'homme tourna le dos, mais il ne rit plus.
44
CONTES PICARDS
128. L'enfant de chœur.
Depuis quelque temps, un enfant de chœur
apprenait à servir la messe à un de ses frères
de deux ans plus jeune. Ör, un jour, le pre-
mier, qui avait mangé la veille beaucoup de
prunes à peine mûres, se trouva atteint d'une
diarrhée qui l'obligeait à mettre fréquemment
culotte basse. La messe commença; tout alla
bien au début; arrivé au Pater, le prêtre
marmotta cette prière à mi-voix; arrivé à la
fin, il éleva la voix à ces mots : in tentationem;
comme l'enfant de chœur ne lui avait point
répondu, il répéta ces deux mots; mais le se-
cond des gamins, qui, en ce moment se trou-
vait seul à genoux au pied de l'autel, garda
encore le silence, parce qu'il ignorait ce qu'il
devait répondre; étonné, le prêtre dit à mi-
voix sans se retourner:
— Mais réponde donc.
Le gamin, tout saisi, répliqua en trem-
blant :
— Je ne sais pas ce qu'il faut dire.
— Où est donc ton frère?
— Il est parti chier dehors; il a la cou-
rante.
CONTES PICAEDS
45
129. Un rêve.
C'était un soir, à la veillée. 11 y avait
nombreuse réunion dans une maison particu-
lière. Un des assistants, qui voulait faire le
beau parleur, en avait pris un autre comme
tête de Turc; il tirait sur lui à boulet rouge,
le criblait de traits plus ou moins lourds qui
provoquaient un rire général. Quand l'auteur
•de ces plates plaisanteries cessa son jeu, qui
pouvait devenir dangereux parce qu'il dé-
passait souvent les limites permises, il céda
«on tour de parole, aussi bien était-il arrivé
au bout de son rouleau. Sa victime, qui ne
«'était jamais départie de son flegme, résolut
alors de se venger du railleur.
— J'ai fait un rêve singulier cette nuit, dit
le souffre-douleur. J'ai rêvé que j'avais dans
le ventre un moulin à vent qui tournait à
toute vitesse ...
— Ce n'est pas étonnant, interrompit le plai-
santin, tu manges assez de haricots pour cela.
— Non, non, tu n'y es pas, mon camarade;
-c'était toi qui le faisais tourner.
— Ah bah! Et de quelle façon?
— Tu soufflais de toutes tes forces au trou
4e mon cul.
46
CONTES PICARDS
130. Un pari gagné.
Un ivrogne fieffé rentrait fort souvent soûl
au grand désespoir de sa femme qui, pour le
punir, ne lui adressait point la parole durant
plusieurs jours. Ce détail était connu dans-
tout le village. Or, un dimanche, l'homme se
soûla outrageusement. Ses compagnons de
noce se moquèrent de lui et lui dirent que,
pendant plusieurs jours, sa femme allait le
bouder et redevenir muette. Et les quolibets-
de l'assaillir sans trêve. Le soûlard, vexé,
s'écria :
— Je parie une tournée à boire aussitôt
que je l'aurai gagnée que je ferai retrouver
la parole à ma femme cinq minutes au plus
tard après que je serai rentré à la maison.
— Je tiens ton pari, dit l'un de ses ca-
marades.
Et ils se frappèrent la paume de la main
droite.
— Vous me suivrez tous, ajouta l'ivrogne,,
et vous regarderez et écouterez sans bruit à
la fenêtre.
Б fut fait ainsi. L'homme, battant des
entrechats, arriva chez lui et se laissa choir
sur une chaise. Sa femme, le regardant de
côté, fronça le sourcil et ne dit mot. C'est
CONTES PICAEDS
47
en vain que son mari l'interpella; elle ne ré-
pondit à aucune de ses questions. L'homme,
voulant gagner son pari, se dit qu'il ne fallait
pas laisser écouler les cinq minutes. Depuis
un moment, il éprouvait des nausées suivies
de haut-le-cœur; enfin, Tune d'elles fut si vio-
lente que le bambocheur évacua tout le con-
tenu de son estomac au milieu de l'apparte-
ment; une odeur infecte se dégagea de la
boisson et des aliments que venait d'expectorer
le soûlard. Agitant le poing en gestes dés-
ordonnés, il s'écria:
— Je le vendrai! Oui, je le vendrai! И
faut que je le vende, femme. Oui, je vais
le vendre.
— Que veux-tu vendre, vieil ivrogne? de-
manda la femme.
— Le trou de mon cul puisque je chie par
ma bouche.
— Va donc le vendre et débarrasse-moi le
plancher au plus vite.
— Tout de suite, dit l'homme en se
levant.
U sortit et dit à ses compagnons qui avaient
assisté du dehors à la scène:
— J'ai gagné. Allons boire la tournée.
4B
GONT£S PICARDS
131. Série de défis.
Quatre francs buveurs restèrent un jour
Attablés au cabaret plus longtemps que de
raison. Avant de se séparer, l'un d'eux pro-
posa à ses compagnons de faire payer l'écot
par celui des quatre qui, en rentrant, dés-
obéirait à sa femme. Cette idée ne pouvait
germer que dans la cervelle d'un ivrogne. La
proposition fut acceptée, et, tout zigzaguant,
ils quittèrent le cabaret.
En rentrant chez lui, l'un d'eux croyant que
ea porte était ouverte, parce que c'était une
porte vitrée, passa au travers en brisant les
carreaux.
— C'est ça! dit la femme, brise tout.
Sans se le faire répéter, l'homme fit voler
en morceaux tout ce qui lui tombait sous la
main, plats, assiettes, verres, etc.
Le second ivrogne rentra chez lui sans faire
d'incartade; comme il ne desserrait pas les
dents, et pour cause, sa femme attendait le
moment convenable pour lui faire une scène,
ce qui ne tarda pas. L'homme fit un rot
formidable; ce bruit précurseur d'un orage
tout particulier fit dire à la femme:
— Ne te gêne pas; puisque tu y es, fais
tout dans la maison.
CONTES PICARDS
49
Aussitôt, un second rot fut suivi d'un „renard"
de fortes dimensions qui s'étala sur le pavé.
Le troisième ivrogne se mit à pisser dans
le coin du feu, puis il lâcha un pet à faire
trembler les vitres.
— Vas-y carrément, chie dans la maison,
lm dit sa femme.
C'est ce qui fut fait sans retard.
Le quatrième ivrogne, qui ne tenait plus
debout, s'abattit de son long en passant le
seuil de sa porte; il pleurait à chaudes larmes
et s'arrachait les eheveux.
— Maudit buveur, lui dit sa femme en co-
lère, tords-toi le cou.
— Pas si bête, répondit l'autre, je ne pour-
rais plus boire.
Un instant après, il retourna au cabaret et
y régla l'écot, puisqu'il avait perdu.
132. Le nouveau marié.
Une pauvre veuve était restée seule avec
son fils; elle résolut de le marier, mais il
était tellement simple d'esprit qu'aucune jeune
fille ne se souciait de s'associer avec un mari
si nigaud. Pourtant, l'une d'elles finit par con-
sentir, faute de mieux, à devenir sa femme.
K^vnx. XI. 4
50
CONTES PICARDS
Jusque-là, le benêt n'avait vu de différence
entre mari et femme que dans les vêtements.
Ses camarades, en apprenant son prochain
mariage, lui parlèrent vaguement des devoir»
qu'il aurait à remplir. Dès que la cérémonie
fut terminée, le nouvel époux prit sa mère
en particulier et lui demanda comment il de-
vait se comporter dès qu'il serait au lit avec
sa femme; elle lui dit:
— Quand tu seras couché avec ta femme,,
tu chercheras sur elle après un trou qu'elle
a vers le milieu du corps; aussitôt que tu
l'auras trouvé, tu chercheras sur toi quelque
chose qui avance et tu l'enfonceras dans le
trou de ta femme.
Ainsi renseigné, le marié alla rejoindre sa
femme, qui venait de se mettre au lit; celle-
ci attendit vainement quelque chose qui ne
vint pas ; de dépit, elle tourna le dos au benêt
Ce dernier se rappela le conseil que lui avait
donné sa mère; il passa sa main droite sur
sa femme et découvrit certaine cavité au
bas de son dos; se passant alors sa main
gauche sur lui-même en commençant par
son front, il sentit son nez; il ne descendit
point plus bas, et il se mit aussitôt en de-
voir de l'introduire dans le trou du cul de
sa femme. _
CONTES PICABDS
51
133. Le pondeur d'œufs.
Un paysan avait pris l'habitude de se rendre
tous les matins, dès son lever, à l'extrémité
de son jardin pour y faire son cas au pied de
la haie. Son voisin résolut de s'en amuser;
il l'attendit un matin de l'autre côté de la
haie et reçut sur une pelle qu'il avait avancée
au moment opportun la déjection alvine, qu'il
échangea contre un œuf. Le chieur, se re-
tournant dès qu'il se fut boutonné, ne fut pas
peu surpris de voir un œuf; il s'empressa de
le ramasser et le porta à sa femme, laquelle
se montra aussi fort étonnée; elle le cassa,
puis le goba et déclara qu'il avait toutes les
qualités d'un œuf de poule et qu'il ne sentait
nullement la merde. Le lendemain, le même
fait se reproduisit, et encore le surlendemain.
Mais, le jour suivant, comme il gelait très
fort, la femme craignit que l'œuf ne se cassât
en tombant par terre; elle proposa à son
mari de faire son cas sur ses genoux. Il y
consentit. Elle s'assit sur une chaise basse
et fit un creux en appuyant avec le
poing sur son tablier. Le mari se mit en
fonctions.
— Tiens, dit-elle en aspirant fortement, c'est
mou et ça pue.
4*
52
CONTKS PICABDS
— J'ai sans doute attendu trop longtemps,
répliqua le mari; c'est de l'omelette; l'odeur
vient de ce que le beurre était peut-être rance.
188 a. Variante.
On raconte aussi qu'au lieu d'un œuf, le
voisin substitua des vers de terre, dont il
augmentait chaque jour la quantité. L'antre,
effrayé, en fit part à sa femme; celle-ci lui fit
prendre tant de semen-contra que le malheureux
mourut.
134. Pour se compter.
Il arriva un jour que six paysans picards
d'un même village, appelés par leurs affaires
à Amiens, se rejoignirent, à la sortie de leur
pays; ils firent route de conserve; le chemin
leur parut si court qu'ils décidèrent de revenir
ensemble. Avant que d'entrer dans la ville,
ils s'arrêtèrent quelques instants pour prendre
diverses précautions. Afin d'être certains qu'ils
seraient tous présents au retour, ils essayèrent
de se compter.
— Moi, c'est moi, dit l'un d'eux: un, deux,
trois, quatre, cinq.
— Tu te trompes, dit un autre; moi et toi
font un, deux, trois, quatre, cinq.
CONTES PICARDS
58
— Nous sommes plus que cela, dit un troi-
sième; puisque vous ne savez pas compter, je
ne vois qu'un moyen.
Désignant du doigt une... offrande à l'agri-
culture qu'il venait de déposer au pied d'une
haie près de laquelle ils se trouvaient réunis,
il dit:
— Chacun de nous va enfoncer son nez dans
ceci, et, de la sorte, nous saurons combien nous
sommes. Au retoar, nous retrouverons nos
trous et nous ne repartirons que quand noue
serons tous réunis ici.
Qui fut dit fut fait; ils s'étendirent à plat
ventre sur le sol et marquèrent l'empreinte
de leur nez dans le ... flux alvin. Leurs
affaires terminées, ils revinrent successive-
ment au lieu du rendez-vous; ils constatèrent
qu'ils étaient bien de retour en appliquant
leur nez dans le trou qu'ils avaient fait pré-
cédemment. Mais l'un de ces trous demeurant
vide, les cinq benêts constatèrent qu'un des
leurs manquait à l'appel; ils attendirent un
certain temps, puis ils se mirent à la re-
cherche du manquant, qu'ils trouvèrent enfin
au fond d'un puits à marne.
Us se félicitèrent du moyen employé par
eux pour découvrir les manquants.
54
CONTES PICARDS
135. Trop d'empressement.
C'était la fête du village. Un jeune farceur
résolut de mystifier un étranger qui se trou-
vait sur la place publique et lui paraissait
être une proie facile. S'approcbant de lui, il
lui demanda le plus poliment du monde:
— Vous qui avez une montre, monsieur,
pourriez-vous me dire l'heure?
— Volontiers, mon ami, répondit l'autre en
exhibant sa toquante; il est trois heures moins
un quart.
— Je vous remercie bien, monsieur.
— Ce n'est pas la peine, mon garçon. Mais
pourquoi cette question?
— Veuillez retenir, je vous prie, qu'à trois
heures justes vous devrez venir me baiser le
trou du cul, répondit le loustic.
Et celui-ci s'esquiva au plus vite en ricanant.
Après réflexion, l'étranger, qui ne trouva
point cette plaisanterie de son goût, s'élança
sur les pas de son mystificateur avec une
précipitation et une imprévoyance telles qu'il
fit choir sa voisine ; le mari de celle-ci, furieux
de voir sa femme gigoter sur le sol et montrer
aux assistants ce qu'elle avait toujours pris
tant de soin de cacher, son mari, dis-je, ayant
saisi par le bras l'auteur involontaire de
CONTES PICARDS
56
cette maladresse lui dit moitié figue moitié
raisin :
— Vous ne saviez point faire attention,
espèce d'andouille?
— Vous m'excuserez, monsieur, c'est parce
que je veux rejoindre le garnement que vous
voyez au bout de la rue qui ne cesse de me
tirer la langue.
— Pourquoi donc courez-vouB après lui?
— Ce morveux ne m'a-t-il pas arrêté pour
me signifier d'avoir à aller lui baiser le cul
à trois heures justes?
— Eh bien, mais, dit l'autre en regardant
sa montre, il n'est que trois heures moins un
quart; vous avez donc encore bien le temps.
Ce n'était pas la peine de courir avec une
telle hâte ni de bousculer les gens: vous arri-
verez encore à l'heure pour cette besogne; c'est
mettre un trop grand empressement.
136. Rivière sans eau ni poisson.
Parmi les nombreux cours d'eau qui sillon-
nent la basse ville à Amiens, il en est un qui
a passé de tout temps pour être fort in-
salubre; son état d'infection a souvent occa-
66
CONTES PICABDS
sionné dee maladies; aussi dit-on couramment
dans le peuple amiénoie:
— Dans la rivière du Don, il n'y a ni
poisson ni eau ; il n'y a que de la ... merde.
Et cela est vrai.
Un Bordelais et un Marseillais étant un
jour entrés dans un café du voisinage lièrent
conversation avec un habitant du quartier
qui prenait rfne consommation à la même
table. L'entretien tomba sur la pêche du
poisson; l'enfant des bords de la Garonne dit
à ses interlocuteurs en faisant sonner les n:
— Dans la rivière qui passe à mon pays,
mon bon, il y a autant de poissons que d'eau.
Le Marseillais, renchérissant sur cette cra-
que, repartit aussitôt:
— Dans mon pays, mon cher, c'est bien
mieux; il y passe une rivière où il y a plus
de poissons que d'eau.
Leur compagnon les écoutait sans sourciller,
d'un air flegmatique, et ne disait mot. Piqués
de ce qu'il ne manifestait point d'étonnement
de leurs galéjades, ils lui dirent:
— Et toi, Picard, vois-tu autant de poissons
dans la rivière de ton pays?
Le finaud répliqua sur un ton narquois:
— Il passe dans ma rue une rivière où iL
n'y a ni poisson ni eau.
CONTES PICARDS
6T
— Et, qu'y a-t-il donc, cadédis?
— Il n'y a que de la ... merde.
Les deux Méridionaux purent en juger eux-
mêmes quelques instants après lorsque leur
interlocuteur les conduisit dans la rue da
Don; ils se sauvèrent bien vite en se bou-
chant le nez. C'est que les riverains ont
établi leurs commodités au-dessus du lit de ce-
cours d'eau.
137. Les deux frères.
Deux frères se rendirent un dimanche au
village voisin, où ils devaient être reçus pour-
la première fois par les parents de deux jeunes
filles en vue d'un double mariage plus ou moins
prochain. Le cadet était quelque peu arriéré,
simple d'esprit, et n'avait aucune idée de
l'usage du monde; en chemin, son aîné lui
fit la leçon pour qu'il se tînt d'une manière
convenable.
— Nous serons très probablement invités à
souper, ajouta-t-il; surtout, ne mange pas.
goulûment comme tu le fais chez nous; tu
mangeras modérément pour rester sur ton
appétit. D'ailleurs, tu feras bien attention à.
ceci: quand je poserai mon pied sur le tien,.
58
CONTES PICAEDS
c'est que j'aurai jugé que tu as mangé assez ;
tu t'arrêteras aussitôt; on te priera de con-
tinuer, mais tu n'en feras rien. Moi-même,
je cesserai.
— C'est entendu, répondit l'autre; je
t'obéirai.
Le soir venu, les deux „amoureux" furent
en effet invités à souper avec la famille. La
mère des jeunes filles apporta sur la table un
pot-au-feu en terre (coud), dans lequel elle
avait fait de la bouillie; les convives ayant
reçu chacun une cuillère de fer se placèrent
autour de la table et furent invités à „piquer"
4Ш pot.
Tout se passa bien au début. Le maître de
la maison enfonça le premier sa cuillère, puis
ce fut sa femme, puis les deux filles et enfin
les deux invités. Aucune confusion ne se pro-
duisit, et le frère cadet mangea proprement;
mais, à peine eut-il avalé sa cinquième cuil-
lerée qu'il crut sentir son frère lui marcher
sur le pied. Suivant leur convention, il devait
«cesser de manger: c'est ce qu'il fit, bien à
contre-cœur, il est vrai. Il posa sa cuillère
sur la table et se renversa sur sa chaise.
— Mangez, mangez donc, lui dirent ses
Jiôtes; c'est de bon cœur; ne soyez pas gêné.
— Merci, dit-il; je n'ai plus faim.
CONTES PICARDS
69
Et, en disant ces mots, il regardait son
frère comme pour lni reprocher de lui avoir
marché sur le pied au moment où il mangeait
cette bonne bouillie avec le plus d'appétit.
Le frère aîné voyant que son cadet cessait
•de manger posa aussi sa cuillère sur la table
en déclarant qu'il n'avait plus faim.
La mère des deux jeunes filles se montra
quelque peu froissée.
— Est-ce parce que vous ne trouvez pas
ma bouillie à votre goût? demanda-t-elle d'un
air pincé.
— Au contraire, nous l'avons trouvée très
bonne, répondirent les deux frères; seulement,
"nous avons bien mangé avant que de partir
et nous n'avons guère d'appétit.
Les parents et leurs filles continnèrent de
„piquertt au pot et se bourrèrent jusqu'à la
luette ; mais ils n'arrivèrent pas à tout manger.
La mère, en portant le pot dans le bas de la
commode, dit:
— Ce reste servira pour notre déjeuner
demain matin.
Quelques instants après, les deux frères se
disposaient à retourner chez eux lorsqu'un
violent coup de tonnerre, suivi de plusieurs
•autres, annonça un orage très prochain. En
effet, une pluie diluvienne s'abattit bientôt.
CONTES PICÀBDS
Quand le ciel se fut rasséréné, le père des-
jeunes filles dit à ses hôtes:
— U est trop tard maintenant pour que
vous retourniez chez vous. Vous coucherez ici
et vous repartirez demain à l'heure que vous-
voudrez. Nous avons un troisième lit dana
notre chambre; vous l'occuperez.
Après quelque hésitation, sincère ou feinte,
les deux jeunes gens acceptèrent cette pro-
position.
Tout le monde se coucha en même temps,.
— sans lumière, bien entendu.
Les deux frères laissèrent endormir leurs hôtes.
— J'ai faim, dit à voix basse le cadet à
son aîné. Pourquoi m'as-tu laissé manger
si peu?
— Ce n'est pas moi qui ai donné le signal
convenu entre nous. Je n'y avais rien com-
pris, quand, en me levant de table, j'ai aperçu,
le chien de la maison, qui, certainement, a dû
poser sa patte sur ton pied.
Il ajouta:
— Moi aussi, j'ai faim.
— Si tu veux, dit l'autre, j'irai manger un
peu de bouillie ; je sais où a été rangé le pot.
— Va; tu m'en apporteras d'abord.
Le cadet se leva en chemise et se dirigea,
à tâtons jusqu'à la commode de la cuisine; iL
GOKTBS PICARDS
61
-ouvrit la porte, s'empara du pot-au-feu et vint
l'apporter au lit de sou frère.
— Tiens, dit-il tout bas, mange.
Pas de réponse.
— Dors-tu donc déjà?
Nouveau silence. Perdant patience, le cadet
-enfonça la main droite dans la bouillie et en
ramena une poignée qu'il présenta à ce qu'il
•croyait être la bouche de son frère ; au même
moment, il sentit un souffle.
— Ce n'est point la peine de souffler; la
bouillie n'est plus chaude.
Ne recevant pas encore de réponse, le cadet,
•que ce mutisme agaçait, se mit en colère et
Jança sur la flgure de son frère la poignée de
bouillie qu'il tenait à la main. Il retourna
dans la cuisine et se mit à manger de la
bouillie à pleine main.
Un instant après, l'une des deux sœurs, se
réveillant, ne fut pas peu surprise de sentir
«a chemise mouillée ; elle porta la main à son
derrière et fut édifiée tout de suite. Se levant
immédiatement, elle alla trouver sa mère à
son lit et lui dit à l'oreille:
— Ma mère, savez-vous ce qui vient de se
passer? J'ai chié dans ma chemise.
— Je n'en suis pas étonnée; tu as mangé
goulûment comme à ton habitude. Va dans
62
CONTES PICARDS
la cour, grande salope, tu te laveras au cuvier
où vont boire les vaches.
Voici ce qui s'était passé. Le frère cadet,
en apportant le pot-au-feu, s'était trompé de
lit; il avait été le porter au lit des deux
sœurs; celles-ci, en raison de la chaleur ac-
cablante, avaient rejeté la couverture et le
drap sur leurs pieds ; celle qui couchait au bord
du lit avait le cul à l'air, et, au moment où
le jeune homme lui présentait une poignée de
bouillie, elle avait lâché un souffle sur la na-
ture duquel l'autre avait été trompé: elle
avait fait une vesse.
Pendant que la jeune fille se débarbouillait
consciencieusement le derrière au grand envier
de la cour, le mangeur de bouillie s'empiffrait
tant qu'il le pouvait. Pour aller plus vite,
l'idée lui vint d'enfoncer les deux mains à la.
fois dans le pot-au-feu; mais, lorsqu'il voulut
les retirer, il souleva le pot en même temps
sans pouvoir retirer ses mains. Que faire?
Voyant la porte de la cour toute grande
ouverte, il sortit en tenant le pot au bout de
ses deux poings. Apercevant quelque chose
de blanc, il supposa que c'était une pierre; il
s'avança sans bruit, puisqu'il était nu-pieds,,
et, quand il fut arrivé auprès de la pierre, il
leva les deux bras et asséna un coup tellement
CONTES PICARDS
6»
violent que le pot-an-feu se brisa en mille
morceaux: ses deux mains étaient redevenues
libres.
Mais un cri perçant avait répondu au choc
du pot-au-feu. Ce que le malheureux avait
pris pour une pierre c'était le cul de la jeune
fille. Celle-ci, accroupie au envier, nettoyait
sa merde, qui, entre parenthèse, ne sentait
point, à la grande satisfaction de la chieuse-
Au cri de la jeune fille, ses parents se
levèrent; ils allumèrent une lanterne et se
portèrent à son secours. Ce furent des plaintes
et des gémissements sans fin. L'auteur de ce
beau coup avait pu s'esquiver sans être vu ;
il alla retrouver son frère et le mit en deux
mots au courant de ce qui venait de se passer-
Ils s'habillèrent en grande hâte et déguerpi-
rent sans tambour ni trompette. Ils n'osèrent
plus revenir dans cette maison, pensant bien
que les jeunes filles ne leur seraient jamais
données en mariage.
138. La blague a tabao.
Un cordonnier-savetier quelque peu simple
se rendit un jour avec sa femme au marché
du bourg voisin pour y faire quelques em-
CONTES PICARDS
plettes. Au retour, le ménage cheminait
paisiblement en causant. Au bout d'un ins-
tant, le mari dit:
— Si je bourrais une pipe, qu'en dirais-tu,
femme? C'est si bon de fumer en plein air.
— Tiens, c'est une idée, répondit la femme.
Moi, il m'en Tient une autre ; j'aime bien chier
•dans les champs. Il n'y a personne sur le
«chemin, ajouta-t-elle après avoir jeté un re-
gard circulaire; je vais me poser au pied de
la meule qui se trouve là-bas.
Qui fut dit fut fait. La femme releva ses
vêtements et s'accroupit, tandis que le cor-
donnier sortait sa blague, bourrait sa pipe et
battait le briquet pour allumer le tabac et
^s'asseyait sur le rebord du chemin, son brûle-
gueule entre les dents ; il tirait philosophique-
ment la fumée quand il s'entendit appeler par
4a femme; celle-ci, son opération terminée,
s'était relevée et avait jeté d'instinct un coup
-d'oeil furtif sur le produit qu'elle venait de
déposer; surprise de ne rien voir sur le sol,
elle dit à son mari:
— Vois-tu quelque chose, toi? Moi, j'ai
beau me crever les yeux, je n'aperçois rien
-de rien.
— Est-ce que c'était mou ou dur ce que
tu as fait?
65
— J'ai poussé tant que j'ai eu de force
parce que j'ai le corps serré; ça devait être
dur comme un morceau de corde.
— Je ne vois rien non plus.
— J'ai pourtant chié et je n'ai pas chié;
e'est singulier.
Ш cherchèrent tous les deux; les jupons
furent relevés, mais on ne trouva rien.
— C'est étrange, dit le cordonnier ; si tu as •
fait comme un bout de boudin, il ne serait pas
entré, des fois, dans l'autre trou? demanda-t-il
le plus sérieusement du monde.
— Es-tu fou? ... Je l'aurais bien senti...
Cependant, la femme, ébranlée par cette
question grotesque, fut assez naïve pour relever
jusqu'au-dessus de la ceinture ses jupons et
sa chemise afin de s'assurer que le produit ne
se trouvait pas à l'endroit indiqué. Bien
entendu, elle ne vit rien. Le ménage reprit
sa route et ni l'un ni l'autre ne desserra les
dents, tant ce fait bizarre préoccupait chacun
de ces personnages à l'esprit obtus.
Le lendemain, l'homme chercha après sa
blague à tabac; ne la trouvant pas, il s'adressa
à sa femme, qui l'envoya dans un réduit ob-
scur où elle avait l'habitude d'accrocher leurs
vêtements du dimanche. Il chercha dans les
poches de sa culotte, dans celles de son gilet,
Kçvnx. XI. 5
66
CONTES PICARDS
dans celles de sa blouse, sa blague ne s'y
trouvait point. En désespoir de cause, il
passa ses deux mains sur le tas d'habits qui
se trouvaient contre le mur; tout à coup, il
sentit avec joie un objet qui lui parut avoir
la forme et la consistance de sa blague; il se
mit à fouiller à tâtons, tourna, retourna les
vêtements et finit par extraire l'objet cherché,
qu'il apporta triomphalement à sa femme.
Mais, à la lumière du jour, ils s'aperçurent
tous les deux que c'était ... la crotte de la
femme, qui était tombée dans la doublure du
jupon.
139. Un amateur d'antiquités.
Une vieille dame qui avait nagé autrefois dans
l'opulence était devenue besoigneuse; par son
inconduite et à la suite d'entreprises mal-
heureuses, son mari avait gaspillé sa fortune et
entamé celle de sa femme. Celle-ci, devenue
veuve, dut travailler pour gagner sa vie;
comme elle était excellente musicienne, elle
donna des leçons de piano. Invitée par l'une
de ses élèves à aller passer quelques jours à
la campagne, elle accepta cette invitation.
A la suite d'un dîner offert par la maîtresse
de la maison, la vieille dame lia conversation
67
avec un riche campagnard qui lui avait été
donné comme voisin de table; elle s'aperçut
tout de suite que ce personnage était aussi
sot que prétentieux. Après le dîner, les in-
vités passèrent dans le jardin; tandis que la
maîtresse de piano répondait à une question
que lui avait posée son interlocuteur, celui-ci
examinait la vieille dame des pieds à la tête
et semblait tellement absorbé par cette occu-
pation qu'il ne paraissait point écouter ce
que lui disait la dame ; celle-ci, qui s'en aper-
çut, en parut agacée; elle lui dit, vexée:
— Qu'avez-vous donc à me regarder ainsi
avec tant de fixité ? Je ne suis cependant pas
une jeune personne dont les charmes puissent
avoir sur vous quelque attrait.
— C'est vrai, répondit-il sottement; c'est
votre robe que je considère ; il y a longtemps
qu'on ne fait plus d'étoffes de ce genre; je
dois vous avouer que je le regrette parce que
j'ai un faible pour ces fleurs et ces ramages
de bon goût.
— En effet, cette étoffe ne date point d'hier.
C'est ma robe de mariée que j'ai fait teindre
et que je mets dans les grandes circonstances.
Mais, monsieur, puisque vous aimez les anti-
quités, j'ai sur moi quelque chose qui a vingt
ans de plus: c'est mon trou du cul. Voulez-
5*
68
CONTES PICARDS
vous le voir? Dites-le, je retrousserai mes
jupes et ma chemise.
L'autre s'esquiva vivement sans se retourner
pour ne pas voir un tableau qui ne devait
offrir rien d'appétissant.
140. Une épreuve.
Un bon paysan, quelque peu crédule, nommé
Nicolas, avait toute confiance dans la fidélité
de sa femme; il était persuadé qu'elle l'aimait
trop bien pour le tromper avec d'autres;
malgré les plaisanteries de ses amis et con-
naissances à ce sujet, il demeurait ferme dans
sa croyance. Un jour, son voisin, appelé
Tranquille, vint le trouver à sa grange pour
tailler une bavette; la conversation tomba
sur la confiance que les maris ont en leur
femme.
— Ta femme ressemble aux autres, dit Tran-
quille; elle se moque de toi.
— Je n'en crois rien ; elle m'aime trop bien.
—- Veux-tu la preuve de ce que j'avance?
— Tu ne parviendras jamais à ébranler la
confiance que j'ai dans Rosalie.
— Tente une épreuve.
CONTES PICÀBDS 69
— Pour ne pas te contrarier, je veux bien
te donner satisfaction. Que faut-il faire?
— Eh bien, couche-toi sur ces gerbées; tu
feras le mort et tu verras bien.
Nicolas se soumit à cette fantaisie; il
s'étendit de tout son long sur les bottes,
ferma les yeux et ne bougea plus. Tranquille
poussa de grands cris et appela:
— Eosalie! Rosalie! ton mari est mortî
Mon Dieu, quel malheur. Viens vite, Ro-
salie !
Celle-ci arriva au bout d'un instant sans se
presser; quand elle se trouva en présence de
Nicolas, elle dit fort paisiblement:
— Tiens, c'est vrai tout de même ; je pensais
que tu voulais m'eifrayer. Que veux-tu faire
à cela? C'était son tour sans doute. Que
lui est-il donc arrivé?
— Rien du tout. Nous causions tranquille-
ment, quand, tout à coup, il s'est laissé choir
sans même dire ouf!
— Enfin, il avait fait son temps, puis-
qu'il est mort et bien mort. Qu'allons-nous
faire?
— Il nous faut le porter dans son lit pour
l'ensevelir; si tu veux, je te donnerai un coup
de main.
— Je ne demande pas mieux.
70
Pendant que Rosalie se préparait sans trop
de hâte à soulever son défunt mari, le facé-
tieux Tranquille lui dit:
— Cet accident est bien ennuyeux pour
toi, ma pauvre voisine; déjà veuve à ton
âge! Ce sera pénible pour toi d'être privée
désormais de certain jeu qui plaît tant aux
femmes ...
— C'est vrai, mais ce ne sera que mo-
mentané.
— Je l'espère bien pour toi; tu ne demeu-
reras point veuve; tu trouveras facilement à
te remaiier.
— Pour sûr, si Patient me demandait, ce
serait vite fait ; il y a longtemps que je pense
à lui, je te le confie.
— Est-ce possible? Une femme comme toi
se marier avec Patient? C'est chose à laquelle
personne n'osera croire.
— Pourquoi donc?
— Tu ne connais donc pas l'infirmité dont
il est affligé?
— Laquelle?
— Il a la vilaine habitude de pisser au lit.
— Mon Dieu, qu'est-ce que cela? Ce cochon-
là chiait bien dans notre lit, dit la peu sensible
Rosalie en allongeant sur le derrière de son
feu mari un maître coup de pied.
CONTES PICABDS 71
Malencontreuse idée. Le soi-disant mort
ressuscita subitement, et, saisissant son fléau,
il allait infailliblement assommer Rosalie sans
l'intervention de Tranquille, qui riait à se
tenir les côtes de la déconvenue de son voisin.
141. Le suisse.
Après qu'il eut exercé les fonctions de suisse
pendant plus de vingt ans dans l'église de son
village, un paysan dut donner sa démission
dans les circonstances suivantes. Voici comment
on raconte la chose d'après le récit du héros.
„П arriva qu'un jour de fête l'enfant du
médecin vint à l'église avec sa mère; pendant
la messe, il s'avança dans l'allée de la nef, et,
sans que sa maman s'en aperçût, il s'accroupit
et... chia dans l'église. En faisant ma ronde,
j'aperçus le corps du délit. Je m'enquis de
l'auteur et j'appris que le petit garçon du
médecin avait commis le méfait.
— Madame, dis-je à voix basse à la mère,
veuillez, je vous prie, faire disparaître ceci.
— Je n'en ferai rien, répliqua-t-elle sèche-
ment; enlevez-le vous-même.
„Ne voulant point troubler l'office, continuait
l'ancien suisse, je ne répondis pas à la femme
CONTES PICABDS
du médecin; mais, après la messe, je fis part
à M. le Garé, dans la sacristie, de ce qui
venait de se passer. M. le Curé fit appeler
aussitôt la mère du délinquant, et une dis-
cussion s'éleva entre elle et moi.
— C'est à vous, suisse, d'enlever la chose*
— Non, madame, c'est à vous.
— Ce n'est pas à moi, mais bien à vous.
— Pardon, madame, c'est vous qui devez
enlever l'étron."
En cet endroit, l'ancien suisse allongeait ce
prétendu dialogue jusqu'à ce que l'un de ses
auditeurs, impatienté, donnât raison à l'ex-
suisse en disant;
— C'était à la mère d'enlever le cas de son
enfant.
— Eh bien, s'empressait de conclure l'ex-
suisse, il y a un juge de paix (pets) au chef-
lieu de notre canton; toi, tu es un juge de ...
merde.
142* Un essaim d'abeilles.
Un porcher se trouvait un jour dans les
champs avec le troupeau confié à sa garde.
Pris de coliques pendant sa faction, il n'eut
que le temps de courir au pied d'une meule
CONTES PICARDS 78
qui se trouvait à peu de distance pour mettre
culotte basse. Tandis qu'il satisfaisait aux
lois de la nature, il entendit bruire autour de
lui; il leva les yeux et remarqua un essaim
d'abeilles qui s'approchait de la meule. Tout
à coup, sans qu'il s'en doutât, la reine se
posa sur sa tête ; au même instant, les abeilles
s'abattirent autour d'elle. La reine descendit
le long du dos du porcher, et, lorsqu'elle fut
arrivée en bas, elle aperçut une ouverture par
laquelle elle pénétra ; elle fut suivie de toutes
ses sujettes. Le pauvre porcher, qui n'osait
faire le moindre mouvement, dans la crainte
d'être piqué, sentit bientôt son ventre qui
gonflait; il s'attendait à le voir éclater d'un
instant à l'autre, aussi se tenait-il dans une
immobilité complète, attendant que l'on vînt
à son secours. A son mal, il ne voyait point
d'autre remède.
Cependant, le propriétaire des abeilles
s'était mis à leur poursuite. Lorsqu'il arriva
près de la meule au pied de laquelle le porcher
demeurait accroupi, il lui demanda s'il avait
vu son essaim; examinant aussitôt le patient,
il lui dit d'un air étonné:
— Te voilà dans une singulière position et
dans un triste état, mon pauvre camarade.
Qu'as-tu donc?
74
— Ne m'en parle pas. Jamais pareille
•chose ne s'est produite. C'est ton essaim
qui se trouve tout entier dans mon ventre.
— Fais-le sortir, sinon tu vas mourir.
Ce disant, le propriétaire des abeilles, qui
voulait recouvrer son bien, appliqua l'une de
ses mains sur la bouche du porcher, et, à l'aide
de ses genoux, il appuya sur son dos et pesa
sur lui de tout le poids de son corps pour
expulser les mouches de la ruche singulière
où elles avaient élu domicile ; il parvint à les
faire sortir jusqu'à la dernière et même encore
autre chose avec, que le porcher n'avait pas
pu évacuer avant leur entrée; ce dernier, à
cette vue, s'écria:
— Tu as été trop vite, mon compère; tes
•abeilles faisaient déjà du miel.
— Ce sera ton profit, répondit l'autre;
mange-le.
143. J'ai chié et je n'ai pas chié.
Un bon vieux paysan avait été invité par
son gendre à un repas de famille qui avait
lieu le soir. En chemin, le bonhomme éprouva
un besoin impérieux, qu'il s'empressa de satis-
faire en s'arrêtant au pied d'une meule de blé
CONTES PICARDS
75
qui se trouvait dans les champs à proximité
-de la route.
Dès qu'il eut satisfait aux lois de la nature,
il se releva et, en boutonnant sa culotte, il
jeta un regard sur l'orphelin, qu'il croyait
avoir déposé à terre. Étonné de ne rien
apercevoir du produit qu'il pensait avoir ex-
pulsé, il se disait entre les dents:
— C'est étonnant, j'ai chié et cependant je
n'ai pas chié. Je ne m'explique point cela.
Pourtant, il n'y a pas à dire, j'ai chié et
même bien chié, malgré cela, je n'ai pas chié,
puisqu'il n'y a rien.
Désespérant de résoudre un tel problème,
l'homme se remit en marche. Quand il entra
-chez sa fille, on n'attendait plus que lui pour
se mettre à table. On le fit asseoir à la place
d'honneur, le dos au feu. En servant les con-
vives, l'hôtesse, sentant une odeur nauséabonde
qui se dégageait lorsqu'elle passait derrière
son père, aspirait fortement pour se rendre
-compte de la nature du peu agréable parfum
qui frappait son nerf olfactif. Elle interpella
•enfin son père et lui dit:
— Papa, vous avez dû marcher dans quel-
que chose en venant ici, assurément; cela
porte bonheur, dit-on, mais ça ne sent
pas bon.
76
CONTES PICARDS
Le vieillard se leva de son siège et se livra
à l'inspection de ses chaussures; n'ayant rien
vu d'anormal, il se rassit, mais la mauvaise
odeur persistant à se répandre dans la pièce,
la maîtresse de la maison eut l'idée de relever
les pans de la longue lévite que son père avait
revêtue pour cette circonstance; elle flaira
chacune de ces basques et s'écria:
— Je vous en prie, papa, regardez donc
dans votre poche.
L'homme palpa son habit et répondit:
— C'est ma blague à tabac qui se trouve là-
— Je vous en prie, assurez-vous-en.
U introduisit sa main dans sa poche et en
ramena une ... crotte.
— J'ai enfin trouvé le mot de l'énigme,
s'écria-t-il tout joyeux et en agitant au bout
du bras ce qu'il venait de sortir de sa
poche.
Il raconta avec force détails ce qui s'était
passé en chemin, et termina ainsi:
— Je me disais, j'ai chié et je n'ai pas
chié; c'est parce que le produit de ma
digestion était tombé dans la poche de mou
habit.
CONTES PICARDS
77
144. Le pantalon de nankin.
Une bonne vieille femme ayant un jour lavé
le pantalon de nankin de son mari le mit
sécher sur la haie de son jardin. Deux loustics
Tinrent à passer; l'un d'eux dit à son cama-
rade:
— Il me vient une idée. Prends ce panta-
lon, ouvre l'une des poches, je chierai dedans.
C'est ce qui fut fait; le pantalon ayant été
replacé sur la haie, les deux farceurs s'éloi-
gnèrent en riant aux éclats.
Vers le soir, la ménagère vint reprendre le
pantalon; rentrée chez elle, elle ne se donna
point la peine de le repasser; elle se borna,
suivant son habitude, à le tendre fortement
sur les genoux, puis elle le plia soigneusement
et le rangea dans son armoire.
Le dimanche suivant, dans l'après-midi, le
mari de cette bonne femme arrivait sur la
place publique avec son pantalon de nankin,
pour assister en curieux aux divertissements
de la jeunesse. A sa vue, les deux loustics
qui l'avaient mystifié, mirent au courant de
cette farce un grand nombre de leurs amis.
Ceux-ci se rendirent isolément auprès du nou-
veau venu, et, aspirant fortement du nez, ils
lui dirent:
78
CONTES PICARDS
— On sent mauvais ici; n'auriez-vous pa&
marché dans de la merde, par hasard?
L'homme regardait ses chaussures et ne
voyait rien. Ce manège se reproduisit mainte»
fois. Enfin, l'un des complices dit aux autres і
— Il faut arriver à lui faire mettre sa
main dans sa poche; il découvrira ainsi le pot
aux roses. Pour cela, que l'un de nous lui
demande une pipe de tabac.
Quoique peu généreux, l'homme ne se fit
point trop tirer l'oreille. Machinalement, il
introduisit sa main dans la poche de son
pantalon; préoccupé par un coup douteux du
jeu de boules, il ramena sans y jeter les yeux
ce qu'il croyait être sa blague à tabac, d'au-
tant que l'objet qu'il tenait à la main en
avait la forme. À cette vue, les assistants
partirent d'un immense éclat de rire et se
moquèrent de l'homme à qui mieux mieux.
Le mystifié, regardant ce qu'il tenait à la main,
le lança furieusement sur la tête de celui qui,,
précisément, lui avait joué ce mauvais tour;
comme il riait aux éclats, la crotte s'en-
gouffra tout entière dans sa bouche à la
grande joie des spectateurs.
CONTES PICARDS
146. Les pommes.
H y avait jadis à Pernois un maître d'école
dont la joyeuse existence se passa à mystifier
les uns et les autres. L'évêque d'Amiens, qui
possédait dans ce village une maison de cam-
pagne, où il allait se reposer de ses fatigues,
fut plusieurs fois la victime des facéties de ce
farceur impénitent. Un jour, le jardinier de
l'évêché fit présent d'une petite quenouille au
pédagogue; ce dernier, rentré chez lui, s'em-
pressa de planter le jeune pommier dans son
jardin à bonne exposition. A l'automne sui-
vant, il récolta deux fruits appétissants, qu'il
mit parer dans son grenier. A quelque temps*
de là, jugeant que ces deux pommes étaient
arrivées au degré de maturité voulu, le maître
d'école les porta à l'évêque pour lui en faire
cadeau, dans l'espoir qu'il en serait largement
récompensé.
C'était à la fin du mois d'octobre; la
température était chaude; aussi, le magister,
qui avait six lieues à faire à pied, dut se re-
poser à plusieurs reprises. П avait fourni les
deux tiers de sa course, quand il sentit son
estomac crier famine. Dans la besace qu'il
portait sur son épaule, il avait introduit d'un
côté les deux pommes qu'il allait offrir à
80 CONTES PICARDS
l'évêque, et, de l'autre côté, un morceau de
pain. Étant arrivé en face d'un pommier
couvert de fruits bien mûrs, il cueillit les
plus beaux, qu'il mangea avec son pain.
Ainsi restauré, il reprit sa route ; mais, arrivé
en vue d'Amiens, il éptouva de violentes
coliques. La fermentation des pommes dans
le tube digestif avait produit des troubles in-
testinaux. Il se dirigea vivement vers une
meule de blé pour y trouver un abri pro-
tecteur; il déposa sa besace sur le sol et mit
culotte basse. A peine avait-il offert son
offrande à l'agriculture, qu'il aperçut un
ouvrier des champs venant dans sa direction.
Pour n'être point surpris dans ses fonctions,
le maître d'école se releva promptement et se
boutonna; mais, dans sa précipitation, il poussa
du pied sa besace; l'ouverture étant béante,
les deux pommes s'échappèrent et l'une d'elles
roula jusqu'au produit qui venait d'être dé-
posé à terre et où elle s'enduisit de telle
façon que tout autre que le magister de Per-
nois l'eût laissée dans sa glu. Avec le plus
grand calme, notre homme enleva le fruit,
qu'il passa avec plus ou moins de soin dans
une touffe d'herbe et le remit dans sa be-
sace avec l'autre pomme. Ainsi soulagé, il
poursuivit sa route et arriva à l'évêché.
61
— Moneeigaeur, dit-M à l'évêque lorqu'il
ésxt admis auprès de lui, je viens vous faire
prêtent de deux fruits pour lesquels j'ai pris
tous les soins du monde; ils proviennent d'un
pommier qui m'a été offert par votre jardinier
l'an passé.
Le prélat se confondit en remerciements
pour cette attention délicate, et il invita le
maître d'école à prendre un siège. La con-
versation s'engagea entre l'évêque et le ma-
gister; tandis que ce dernier racontait les
nouvelles de son village, son interlocuteur
s'empara de l'une des deux pommes déposées
sur la table et réellement fort appétissantes;
il la porta à sa bouche et mordit dans ce
fruit à belles dents.
— Elle est vraiment très bonne, dit-il au
maître d'école ; mangez donc celle-ci, ajouta-t-il
en lui présentant l'autre fruit.
Le magister ne se le fit point répéter; il
tendit la main, et, sortant son couteau de sa
poche, il pela soigneusement la pomme.
L'évêque, humilié de voir le pédagogue prendre
une précaution à laquelle il n'avait point
songé, lui en manifesta son étonnement. Le
maître d'école raconta alors l'incident du pied
de la meule, et il ajouta:
Kqvtit. XI. 6
82
CONTES PICARDS
— Comme je ne sais plus quel est celui de
ces deux fruits qui s'est embernaté, par me-
sure de prudence, je pèle celui que vous
m'avez offert.
146. Quiproquo.
Un médecin, qui s'appelait Laconchy, fut
réveillé un soir tardivement par un violent
coup de sonnette. Croyant qu'on venait le
chercher pour un de ses clients, il se leva
aussitôt et ouvrit la fenêtre de sa chambre.
Il aperçut sur son perron un paysan en blouse
et en sabots qui, au bruit, leva la tête et
demanda très poliment:
— Est-ce Laconchy?
— Oui. Que voulez-vous?
— C'est bien Laconchy?
— Oui, encore une fois, c'est Laconchy.
— C'est ce que je voulais savoir. Je vais
vous obéir tout de suite.
Et, laissant tomber sa culotte, l'homme se
baissa pour se mettre en devoir de satisfaire
à la nature sur le perron du docteur. A cette
vue, ce dernier descendit vivement pour venir
chasser ce malappris.
CONTES PICARDS 83
— De quoi vous plaignez-vous? lui demanda
le paysan en se relevant. Ne m'avez-vous
pas dit que c'est là qu'on chie?
147. Un ronfleur.
Un paysan, surpris par le mauvais temps et
par la nuit, dut s'arrêter dans une auberge
pour demander à souper et un gîte, ce qu'on
lui accorda. Un instant après arriva un autre
voyageur qui demanda également l'hospitalité.
L'aubergiste le fit coucher dans un second lit
de la même chambre. Le paysan donnait à
poings fermés, ronflant comme un tuyau
dorgue. L'arrivant ne put fermer l'œil;
impatienté, il se leva sans que son voisin
l'entendît; il découvrit le dos de celui-ci et
déposa dans son lit le produit de sa digestion.
A son réveil, le ronfleur ne fut pas peu sur-
pris de voir et de sentir ce qu'il crut avoir
fait en dormant et sans s'en douter. Mais, ce
qui le stupéfia, ce furent les noyaux de cerises
qu'il y découvrit; or, il y avait près d'un an
qu'il n'avait point mangé de ces fruits. U se crut
gravement malade et se fit préparer du thé en
attendant le médecin, qu'il envoya chercher.
6*
CONTES PICARDS
148. L'ami et les deux frères.
Un jeune homme se rendit un dimanche au
village voisin sur l'invitation qui lui en avait
été faite par deux frères, ses camarades,
également célibataires. La journée se passa
gaiement en divertissements variés; ils chan-
tèrent au cabaret et dansèrent au bal.
À l'heure de la retraite, les deux frères em-
menèrent chez eux leur camarade, et, tous les
trois se mirent à table pour souper; ils man-
gèrent bien et burent mieux. Quand le repas
fut terminé, l'hôte des deux frères se prépara
à quitter ceux-ci; mais, en ouvrant la porte,
il remarqua que le ciel était menaçant; de
gros nuages noirs et une chaleur accablante
présageaient un orage à bref délai. Ses deux
camarades insistèrent vivement pour qu'il
restât à coucher.
— Nous n'avons qu'un lit, lui dirent-ils,
mais il est assez large pour que nous soyons
cependant à l'aise même à trois.
Il demeura donc, se proposant de repartir
le lendemain de très bonne heure. Les deux
frères le firent coucher entre eux au milieu
du lit. Les trois jeunes gens ne tardèrent
pas à s'endormir profondément. Dans la nuit,
l'un des deux frères se réveilla; sentant sa
CONTES PICARDS
85
chemise mouillée à son derrière, il y porta la
main ; il en connut ainsi la raison ; interpellant
son hôte, il lui dit sur un ton bourru:
— Tu pisses à mon cul, grand salaud!
— Ne te plains pas, répondit l'autre; c'est
encore toi le mieux partagé : je chie sur les fesses
de ton frère.
149. Pour gagner un pari.
A l'époque de la moisson, un faucheur
coupait un champ de blé à proximité du vil-
lage: il y mettait toute l'ardeur possible
parce que c'était un dimanche et qu'il voulait
assister à la messe; il estimait qu'il en avait
au plus pour une heure de travail. L'un de
ses camarades de cabaret vint à passer; il
interpella ainsi le faucheur:
— Tu n'espères pas avoir fini pour l'heure
de la messe?
— Je pense bien, au contraire, que tout mon
blé sera à terre au premier coup de cloche.
— Parions un verre que tu n'auras point
terminé.
— Allons le boire tout de suite, dit le
faucheur, et, a la sortie de l'église, tu en
paieras un second parce que tu auras perdu.
86
— J'accepte, car c'est toi qui les paieras
tous les deux.
Les deux hommes .se dirigèrent vers le
cabaret le plus proche et s'y firent servir
deux grands verres d'eau-de-vie. Mais le pro-
moteur du pari eut recours à un procédé peu
délicat pour gagner la gageure; tandis que
son adversaire allumait sa pipe au coin du feu
dans la cuisine, il jeta clans son verre une
pincée de séné. Sans se douter de ce qui
venait de se passer, le moissonneur revint
dans la salle, et, suivant son habitude, il vida
son verre d'un seul trait; il retourna à son
travail sans plus tarder. A peine eut-il donné
quelques coups de faux qu'il éprouva des gar-
gouillements dans le ventre; il dut bientôt
s'arrêter de faucher pour courir au pied d'une
meule, où il mit culotte basse et déposa sur
la terre une offrande à la nature. A peine
était-il de retour à son champ que, sans avoir
eu le temps de reprendre sa faux, il dut re-
tourner en hâte au pied de son abri protec-
teur. Ce manège se répéta quatre ou cinq
fois; c'est alors que, frappé d'un trait de
lumière, il soupçonna son camarade de lui
avoir joué un mauvais tour.
— Ma foi, se dit le faucheur en revenant
à son champ, il ne se trouve âme qui vive
CONTES PICARDS
87
dans le voisinage; je vais pouvoir me mettre
à Taise sans encombre.
Que fit-il? Il enleva ses vêtements et ne
garda que sa chemise; il reprit sa faux et se
remit à la besogne dans ce costume fort som-
maire: il voulait à toute force gagner son
pari. Dès lors, il ne s'arrêta plus; il chiait
tout en fauchant, faisant d'une pierre deux
coups, puiequ'en même temps, il fumait sa
pièce de terre pour l'année suivante.
150. Une remarque.
A la suite d'un repas de famille, l'un des
convives, qui avait bien mangé et mieux bu,
se mit au lit avec des pesanteurs d'estomac
et un fort mal de tête. Au dessert, on avait
raconté à table des histoires de brigands, qui
lui avaient fait dresser les cheveux; aussi;
pour toutes ces raisons, son sommeil fut-il
troublé. Il eut un cauchemar; il rêva qu'il
se trouvait en chemise au milieu d'un bois,
la nuit; tout à coup, il aperçut à peu de
distance un individu à la mine patibulaire,
portant un fusil en bandoulière; à sa ceinture
étaient suspendus un poignard, un pistolet et
8»
COMTES P1CABD0
ш serpe; à la mai» gauche, й tenait vm
petit sac qui paraissait très lourd et qui
rendait un son métallique ; dans la main droite,
ił portait une bêche. U s'arrêta à gaelçue»
pas du rêveur et jeta m regard circulaire,
semblant inspecter les lieux; il déposa swr le
sol son fusil et son sac ; s'armant de sa bêche,
il creusa un trou au pied d'un gros chêne, et,
quand il jugea que la cavité était assez pro-
fonde, il y plaça le sac qu'il recouvrit de
terre; en s'éloignant, il dit à haute voix:
— Je reviendrai demain soir reprendre ce
sac, qui renferme une fortune avec laquelle je
pourrai vivre désormais en rentier.
Il disparut sans se douter qu'il avait eu un
témoin; ce dernier, qui tremblait de peur,
attendit quelque temps avant de sortir de la
cachette d'où il avait tout vu et entendu sana
laisser soupçonner sa présence. À la suite de
cette peur, il éprouva de violentes eoliqeea*
il se leva et s'avança jusqu'au pied du gros
chêne; l'idée lui vint de marquer la place,
mais, comme il n'avait point de couteau
puisqu'il était sans culotte et sans gilet, il se
gratta la tête, croyant sans doute en faire
jaillir une idée, car son intention était de
venir enlever le sac dès que le jour aurait
paru. H en était là de ses réflexions quand
voie colique płat viotentt que let autres le it
se tordre et l'obligea à s'accroupir pour satis-
faire aux droits de la nature; il déposa donc
av-éeeeus de la fosse ou reposait le trésor
se» offrande à l'agriculture: c'était une re-
marque! Dès qu'il se fut soulagé d'une façon
très copieuse, il retourna chez lui et se remit
au lit. Maie, hélas! à son réveil, il aperçut
avec horreur que la remarque qu'il croyait
avoir déposée dans le bois se trouvait au
milieu de son lit !
161. Comme du miel.
Un pauvre petit cultivateur, quelque peu
simple d'esprit, avait une vache malade qu'il
craignait de perdre. En se rendant aux
champs, il passa devant un vieux calvaire
situé à l'extrémité du village au milieu d'un
bouquet d'arbres, tétant agenouillé sur la
première marche, il récita dévotement un
Pùter et dit:
— Tu sais que ma vache est malade; si tu
la guérie, je mettrai deux sous dans ta
petite boîte.
En rentrant chez lui, à midi, sa vache
était morte. Il repassa l'après-midi en face
CONTES PICARDS
du calvaire, et, jetant un regard irrité vers
le Christ, il Tinterpella ainsi:
— Tu n'as pas exaucé ma prière, non seule-
ment je ne dois rien mettre dans ta petite
boîte, mais je vais ^administrer une raclée
comme jamais tu n'en as reçue.
Ce disant, le benêt se mit à frapper à tour
de bras sur le Christ avec le manche de sa
fourche. Il frappa tant et si fort que sa
victime, qui n'en pouvait mais, s'ouvrit par
derrière, tant le bois était pourri. L'homme
vit alors couler sur la croix une matière
jaunâtre et gluante, dont il reçut une écla-
boussure sur la lèvre.
— Tiens, se dit-il, c'est sucré comme
du miel.
Et il se mit en devoir de recueillir dans
son mouchoir de poche tout ce qui dégouttait
du Christ. Le soir, en rentrant chez lui, il
remit à sa femme son mouchoir de poche et
son contenu, et raconta ce qui lui était
arrivé, disant que le bon Dieu du chemin
d'en haut chiait de la merde aussi sucrée
que le miel.
Ce que ne savait point le nigaud c'est que
le Christ qu'il avait maltraité tombait de
vétusté et qu'un creux s'était produit à
91
l'intérieur; un essaim de mouches à miel y
avait élu domicile et l'avait transformé en
ruche.
152. L'araignée.
Une ménagère avait résolu de faire de la
bouillie pour régaler son mari et son fils, qui
s'en montraient friands; dès qu'elle fut à
point, la femme la versa dans une soupière
qu'elle tenait sur ses genoux. C'est de cette
table toute particulière que le père et le fils,
armés chacun d'une cuillère, s'approchèrent
un instant après. Les trois convives piquèrent
à qui mieux mieux dans la soupière. Pendant
qu'ils mangeaient ainsi goulûment sans
s'adresser la parole afin de ne point perdre
une bouchée, une araignée qui se balançait
au plafond, attirée sans doute par l'odeur de
la bouillie, voulut peut-être en prendre sa
part; elle s'en approcha si près qu'elle roula
dans la cuillère du fils, où elle s'englua; le
gourmand avala le tout. La mère, qui avait
vu ce qui venait de se passer, s'écria toute
.saisie :
— Ah! mon pauvre enfant, tu as une
araignée dans l'estomac. Il faut t'en dé-
CONTBS PICARDS
barrasser tont de suite. Enfonce tes doigt*
dans ta bouche jusqu'à ton gosier; tu la
rendras. Prends garde, c'est un insecte
venimeux.
C'est en vain que le fils s'excita à vomir;
il ne put y parvenir, quoi qu'il fît. Sa mère
se lamenta, disant qu'il mourrait empoi-
sonné.
Pour économiser une visite de médecin, on
appela le maréchal, à qui l'on fit le récit de
ce qui venait de se passer.
— Je ne vois qu'un moyen, dit le demi-
vétérinaire, c'est de faire beire de l'eau chaude
à votre fils pour qu'il puisse rendre ses ali-
ments.
Ce conseil fut suivi. Le patient absorba un
pot d'eau chaude, mais ce fut peine inutile.
Le maréchal voyant gonfler le ventre du
patient s'écria:
— Votre fils est perdu; il va passer.
Tandis que la mère pleurait toutes lea
larmes de son corps, le père, qui gardait son
flegme, consola sa femme en lui disant:
— Ne pleure pas. Je vais faire sortir bien
vite l'araignée. J'ai remarqué que cette bestiole
est friande de mouches. Si nous lui en mettions
à sa portée, elle sortirait immédiatement de
son gîte.
ООКТБ8 PICAEDS
93
— Ta as là one idée excellente, à laqueüe
je n'avais point songé, repartit le maréchal.
Oui, tu as raison; attrapons-en quelques-nnes
et nous tenterons ce moyen.
Les deux hommes se rendirent dans le
fournil et revinrent un instant après à la suite
d'une chasse aux mouches très fructueuse.
— Cette fois, dirent-ils, nous tenons
l'araignée.
Us déshabillèrent vivement le patient, qu'ils
étendirent sur son lit; ils placèrent ensuite
autour de sa bouche une certaine quantité de
mouches et attendirent. Au bout d'un instant,
comme l'effet espéré ne se produisait pas, le
maréchal dit:
— Il est trop tard; nous ne l'aurons plus
de ce côté; elle est descendue dans le ventre
de votre fils.
— Nous l'aurons quand même, répliqua le
père, qui ne perdait jamais le nord. U faut
nous y prendre d'une autre manière. Retour-
nons notre malade et plaçons les mouches à
son ... derrière.
C'est ce qui fut fait : cette proposition était
trop ingénieuse pour qu'on ne la mît point à
exécution. Les mouches ayant été placées
comme des sentinelles autour de l'ouverture,
chacun des assistants, retenant sa respiration,
94
CONTES PICARDS
observait et écoutait dans la plus complète
immobilité.
Tout à coup, le maréchal dit à mi-voix:
— J'entends quelque chose.
Poussé par la curiosité, il s'avança plus près
du derrière du patient ; son long nez, surmonté
de ses besicles, n'en était peut-être pas à deux
pouces. En cet instant, le malade, se tordant,
lança un pet formidable suivi d'un jet abon-
dant, qui remplit la chambre d'une épaisse
buée : c'était l'araignée qui, sentant les mouches
à l'orifice, s'était précipitée au dehors entraînant
avec elle toute la bouillie que le gourmand
avait avalée. Celui-ci était sauvé. Il se leva
aussitôt, et, regardant la figure du maréchal,
il dit d'un air goguenard:
— Ma mère, voyez donc un peu s'il reste
encore de l'eau chaude pour laver la figure du
maréchal.
153. Un ooquetier avisé.
Un coquetier partit un jour de grand matin
pour se rendre au marché, où il portait trois
paniers d'oeufs. Il s'endormit dans sa voiture ;
son cheval fit sans doute de même, et, en
descendant une côte rapide, il s'abattit. Les
CONTES PICARDS
95
paniers d'œufs et l'homme turent projetés sur
la route à une plus ou moins grande distance.
Au même instant, le coquetier constata l'étendue
de son désastre: il se vit au milieu d'une
immense omelette. Il se releva, et, s'étant
assuré qu'il n'avait rien de cassé ni de démis,
il se porta au secours de son cheval; lui
aussi était indemne. Le marchand ramassa
les paniers; mais tous les œufs qu'ils ren-
fermaient ayant été brisés, que faire? Il se
demandait comment il pourrait s'y prendre
pour rentrer au moins dans son argent. Après
s'être rageusement gratté la tête, une idée
lui vint; il recueillit les jaunes d'œufs, qu'il
déposa dans l'un de ses paniers, puis, remon-
tant dans sa voiture, il continua son chemin.
Il arriva bientôt dans un gros village, qu'il
savait être habité par des nigauds pour la
plupart; il se mit à crier à tue-tête:
— Vernis pour dames ! Vernis pour
dames !
Or, il vint à passer en face d'une maison
de certaine apparence; la dame se trouvait
dans sa chambre debout devant une glace,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
Elle envoya aussitôt sa bonne vers le mar-
chand dans le but d'être renseignée sur la
nature et les propriétés de sa marchandise.
COMTES P1CABOS
— ł£oa vernie, dit-il, {ait disparaître to
xides de celles qui l'envient; il leur donne
an teint irais et les rajeunit.
— Ce serait bien ce qu'il faudrait à madame,
dit la bonne ; elle passe des journées eatàèves
à sa toilette, et n'arrive plus jamais à plaire
à monsieur; il lui reproche toujours d'être
vieille et laide. Combien lui denaandeciez^vous
pour la vernir?
— Cent francs.
— Et pour moi, que prendriez-vous ? Je ne
suis pas riche.
— Pour vous, ce sera gratis, mais à une
condition. Quand j'aurai verni votre patronne,
vous me laisserez coucher avec vous et je vous
vernirai ensuite sans qu'il vous en coûte un
centime. Cela vous va-t-il?
— Très bien. Nous sommes d'accord.
La servante alla retrouver sa dame et lui
dit que le marchand ne demandait que cent
francs pour faire disparaître ses rides, lui
redonner son teint, la rajeunir en un mot;
elle se garda bien de lui faire connaître le
reste. Sa patronne compta cent francs et
donna l'ordre de faire venir le vemisseur.
Celui-ci ne se fit pas attendre; Д arriva avec
son panier et fit mettre la dame toute nue;
il la barbouilla consciencieusement avec ses
CONTES PICAEDS
97
jaunes d'œufs des pieds à la tête; il la fit
exposer ensuite au soleil, dans la cour, contre
un mur, lui disant qu'elle devait rester im-
mobile jusqu'à ce que le vernis fat entière-
ment sec.
Cette besogne terminée, le coquetier rentra
dans la maison pour caresser la bonne; il lui
livra trois assauts successifs, puis il la vernit
et l'envoya rejoindre sa patronne dans la
cour. Immédiatement, il quitta la maison,
emportant les cent francs qu'il avait reçus
et qui compensaient bien au delà la perte
qu'il éprouvait de ses œufs cassés.
Le maître de la maison, rentrant chez lui
deux heures plus tard, ne fut pas peu surpris
d'apercevoir par une fenêtre sa femme et sa
servante toutes nues dans la cour; il s'approcha
d'elles et remarqua l'enduit jaunâtre dont
elles étaient recouvertes.
— Que veut dire ceci? s'écria-t-il en fron-
çant les sourcils.
— Voilà, répondit sa femme. Tu me dis à
chaque instant que je suis laide et toute
ridée. Je me suis fait vernir, comme tu le
vois, et ainsi je serai rajeunie; tu ne me
feras plus de reproches.
— Et cette belle opération t'a coûté cher?
— Cent francs.
Kgvnx* XI. 7
98
CONTES PICAEDS
— Tu es cent fois bête, vieille coquette.
Cédant à la colère, son mari la fessa vigou-
reusement, ainsi que la servante. Il sortit
aussitôt et s'informa dans le village de la
direction prise par l'homme au vernis; on le
lui dit. et il s'élança sur ses traces; mais le
coquetier avait une grande avance sur lui»
En chemin, ce dernier avait aperçu dans le
jardin d'une maison isolée au milieu de la
prairie un poirier couvert de fruits bien ten-
tants; il arrêta son cheval et monta sur
l'arbre pour y cueillir les plus belles poiresr
qu'il se mit à manger. La propriétaire de la
maison étant venue dans son jardin aperçut
le voleur, qu'elle se mit à injurier en le som-
mant de descendre tout de suite.
— Taisez-vous, vieille édentée, lui cria-t-ily
et laissez-moi encore manger quelques-uns de
ces beaux fruits, vous n'y perdrez rien, je
vous l'assure.
— Vous me les paierez?
— Bien au delà de ce qu'ils valent. J'ai là
un vernis que je vends fort cher et qui rend
aux vieilles femmes leur beauté disparue; je
vous enduirai de ce vernis pour rien et vous
redeviendrez comme à trente ans.
— S'il en est ainsi, j'accepte. Mangez à
votre faim.
CONTES PICAKDS
99
Quand le coquetier descendit de l'arbre, il
fit les préparatifs de l'opération du vernissage.
Avisant un tas de gerbées qui se trouvait sur
le bord du chemin en face de la maison, il
prit trois bottes de paille qu'il étendit sur le
sol et y fit coucher la vieille femme; il plaça
sur elle trois autres gerbées de manière à
cacher complètement la femme. Tournant
alors la tête du côté du chemin, le coquetier
aperçut un voyageur qui marchait à grands
pas; il supposa que ce devait être le mari de
la femme qu'il venait de mystifier, lequel se
mettait à sa poursuite; il ne se trompait
point. Tout de suite, le vernisseur introduisit
le bras dans le tas de paille et releva les
jupons de la vieille femme au-dessus de son
derrière; il lui dit à mi-voix:
— Ne bougez pas et ne parlez point, sinon,
tout serait manqué. Je vais commencer
l'opération de ce côté, qui est assurément le
plus endommagé de votre personne.
Le voyageur étant arrivé près du coquetier
salua ce dernier et lui demanda s'il n'avait
pas vu passer un marchand de vernis pour
dame.
— Oui; il ne doit pas encore se trouver à
une grande distance.
— Le reconnaîtriez-vous ?
7*
100
CONTES PICAEDS
— Parfaitement.
— Dans ce cas, voudriez-vous bien venir
avec moi pour me le faire connaître? Je suis
à sa recherche.
— Cela ne m'est point possible en ce mo-
ment. J'ai dans ce tas de paille une outre
pleine d'huile qui vient de se trouer. J'ai
envoyé mon petit garçon au village voisin
pour me rapporter un bouchon; en attendant,
je tiens le trou bouché avec mon doigt pour
que l'huile ne s'échappe pas.
— Je vous remplacerai volontiers, dit l'homme
en s'agenouillant sur la paille. Tenez, mon
brave, ajouta-t-il en remettant dix francs au
coquetier, montez dans votre voiture et rat-
trapez au plus vite l'homme que je cherche;
vous me le ramènerez ici; je saurai récom-
penser votre peine.
Le coquetier prenant la main du naïf lui
fit introduire le doigt dans le trou du cul de
la vieille femme; il monta vivement dans sa
voiture et partit au galop de sa rossinante.
H ne revint pas.
Au bout d'un moment, la femme, voulant
péter, remua le derrière; l'homme s'imagina
que l'outre se déplaçait; il enfonça plus pro-
fondément son doigt. La vieille, impatientée,
CONTES PICARDS
101
interpella celni qu'elle croyait être son ver-
nissenr:
— Vous allez me faire éclater si vous ne
retirez pas votre doigt, dit-elle. Laissez-moi
péter, ou tout au moins faire une vesse.
Enrayé d'entendre parler une outre, l'homme
se releva vivement et s'enfuit en se recom-
mandant à tous les saints du paradis.
154. Les lampions du Paradis.
Б y avait autrefois dans un village un
chantre qui, comme tous ses confrères, aimait
à boire un coup; il faut croire que l'exercice
de cette profession provoque la soif. Il rentra
chez lui un dimanche soir plus soûl qu'à
l'ordinaire. Dès qu'il fut dans son lit, il
s'endormit profondément; il fit un rêve qu'il
raconta le lendemain à peu près en ces termes :
„П me sembla, dit-il, que je me trouvais en ч
face* d'un magnifique palais, construit tout en
marbre. Je m'avançai jusqu'à la porte, cou-
verte de dorures, et je frappai; on vint
m'ouvrir.
— Qui là? me demanda le portier, un beau
vieillard chauve, portant une barbe blanche
102 CONTES PICARDS
bien fournie et tenant à la main un lourd
trousseau de clefs ; c'était S. Pierre.
— C'est moi, répondis-je en me nommant.
— Que veux-tu?
— Je voudrais simplement jeter un coup
d'œil à l'intérieur du paradis.
— On n'entre pas ici comme dans un moulin.
Quels sont tes titres pour un tel honneur?
— Je suis chantre au lutrin depuis plus de
quarante ans, et, chaque dimanche, je chante
la messe, les vêpres et le salut dans l'église
de mon village natal.
„Saint Pierre, qui me produisit l'effet d'un
brave homme, et qui était sans doute bien
disposé ce jour-là, me laissa entrer tout de
même, mais pour cinq minutes. Je me trouvai
comme ébloui par les milliers de lampions qui
étaient suspendus an plafond. J'en examinai
quelques-uns, et je remarquai qu'ils ne ren-
fermaient point la même quantité d'huile; il
s'en trouvait qui étaient entièrement pleins,
d'autres aux trois-quarts ou à moitié vides;
j'en vis qui ne contenaient presque plus d'huile
et qui allaient s'éteindre. J'en demandai la
raison à saint Pierre, qui me répondit:
— Dès qu'un enfant vient dans le monde
sur la terre, on allume ici un lampion à son
intention. Tous les lampions qui sont pleins
CONTES PICABDS
103
«d'huile indiquent que le nouveau-né mourra
très âgé. Les autres marquent, suivant la
quantité d'huile consumée, que ceux pour les-
quels ils brûlent sont au quart ou à moitié
de leur carrière; ceux qui vont s'éteindre
nous apprennent que les hommes auxquels ils
sont consacrés peuvent graisser leurs bottes
pour faire le grand voyage.
— Voudriez-vous me montrer mon lampion
et celui de ma femme? demandai-je poliment
à saint Pierre.
— Tiens, les voici tous les deux, me dit-il
en me désignant du doigt deux lampions qui se
trouvaient précisément dans notre voisinage.
„Je les examinai attentivement; l'un con-
tenait encore un bon tiers d'huile; c'était le
lampion de ma femme; dans l'autre, qui était
le mien, l'huile allait être consumée en entier
à bref délai. A cette vue, il me passa un
frisson par tout le corps. En ce moment,
quelqu'un frappa du dehors à la porte du
paradis. Saint Pierre, qui est très occupé
dans le métier qu'il fait depuis tant d'années,
•courut aussitôt, me laissant seul au milieu du
paradis. Il me vint une idée: j'enfonçai mon
•doigt dans le lampion de ma femme et je
rapportai dans mon propre lampion l'huile qui
s'était attachée autour de mon doigt; comme
104
CONTES PICAEDS
je craignais d'être surpris par saint Pierre
dans cette substitution fort peu délicate, je
me hâtai dans ma besogne trop lente à mon
gré.
„Tout à coup, je reçus en pleine figure un
soufflet qui me fit voir plus de chandelles qu'il
n'y avait de lampions dans le paradis. J'étais
réveillé.
— Que fais-tu là depuis un quart d'heure,
grand malpropre? Tu n'es pas honteux, vieux
saligaud? me cria ma femme en colère.
„Je me suis rappelé mon rêve. Croyant en-
foncer mon doigt dans le lampion de ma
femme, je le fourrais dans le trou du cul de
ma peu agréable moitié pour l'introduire
aussitôt dans ma ... bouche. A cette con-
statation, je me levai immédiatement et je
courus chez le cabaretier voisin; je me fis
verser une grosse goutte que j'avalai tout de
suite pour me débarrasser de l'odeur de merde
qui me donnait des nausées."
155. Assez pour deux.
Un moissonneur ayant éprouvé une violente
colique n'eut que le temps de quitter son tra-
vail pour aller se recueillir au pied d'un pom-
CONTES PICARDS 105
mier qui se trouvait dans son voisinage»
Aussitôt qu'il se fut soulagé, il se leva, et,
s'étant retourné, il considéra un instant
l'offrande à l'agriculture qu'il venait de dé-
poser. Deux voyageurs, qui suivaient la route
sur le bord de laquelle s'élevait l'arbre, avaient
aperçu le moissonneur et observé ses gestes;
l'un d'eux dit à son compagnon:
— Je parie un café que tu n'oseras pas
demander à cet homme pourquoi il a regardé
son ... œuf.
L'autre qui, pour un café, se serait fait
traîner sur le derrière l'espace d'une demi-
lieue, répondit:
— Apprête ton argent, car tu vas perdre
le pari.
Quand il fut arrivé près de l'ouvrier des
champs, il l'interpella ainsi:
— Voudriez-vous me dire pourquoi, mon
brave homme, vous vous êtes retourné tout à-
l'heure en regardant à terre?
— C'est bien simple, mon bon monsieur,
répondit l'homme en examinant les deux
voyageurs, qui riaient à gorge déployée; je
n'avais d'abord aperçu que votre compagnon,
parce qu'il est beaucoup plus grand que vous;
mais, quand j'ai eu constaté que vous étiez-
deux, j'ai éprouvé quelque inquiétude: je
106
CONTES PICABDS
voulus m'assurer si j'en avais fait assez pour
vous restaurer l'un et l'antre. Le plat vous
suffira; mettez-vous donc à table, dit l'homme
en tournant le dos pour aller reprendre son
travail.
156. Le jeu de la pure vérité.
Un jour, à la fête d'un village, un petit in-
dustriel s'installa sur la place publique avec
un jeu qui ne tarda pas à intriguer les pro-
meneurs. Sur une table, il avait placé un
envier recouvert d'une toile; au-dessus, il
avait dressé un écriteau sur lequel on lisait:
Jeu de la pure vérité. 2 sous.
L'un de ceux qui faisaient cercle autour de
ce jeu d'un nouveau genre qu'aucun d'eux ne
connaissait, s'approcha de l'homme et lui re-
mit deux sous pour tenter l'expérience; il
avait des doutes sur la fidélité de sa femme
et il voulait s'assurer s'ils étaient ou non
justifiés.
Le propriétaire du jeu souleva un coin de
la toile qui couvrait le envier et invita son
client à introduire l'index de la main droite
par cette ouverture; il lui donna ensuite
l'ordre de fermer les yeux et de porter son
CONTES PICAEDS
107
index à la bouche. C'est ce qui fut fait
ponctuellement.
— Sacré cochon, c'est de la merde! s'écria
l'homme en faisant des haut-le-corps à se dé-
crocher l'estomac.
— Vous l'avez dit. C'est la pure vérité,
répondit flegmatiqueraent le petit industriel.
157. La tonne à la m...élasse.
Autrefois, pendant les veillées d'hiver à la
campagne, il y avait chaque samedi nombreuse
réunion dans certaine ferme. Or, pendant
plusieurs samedis consécutifs, on entendait à
la même heure une chèvre bêler à la porte
de la maison. Comme le valet de cour était
toujours absent pendant que se produisait ce
fait, le fermier envoyait chaque fois son domes-
tique de charrue pour rentrer la bête dans
son étable.
Un farceur allait détacher la chèvre et
l'amenait à la porte de la cour et l'attachait
à la poignée; il la pinçait ensuite aux oreilles
pour la faire bêler et il s'enfuyait aussitôt.
Cette corvée n'était point du goût du do-
mestique, qui résolut de surprendre le mauvais
108
CONTES PICÀBDS
plaisant qui jouait ce tour. Ayant observé4
que le valet de cour rentrait toujours dès que
cet incident s'était produit et s'en amusait
beaucoup, le domestique le soupçonna d'en
être l'auteur. Un samedi, il se rendit dans
l'étable où se trouvait la chèvre un quart-
d'heure environ avant que le tour ne fût
joué; il détacha l'animal, qu'il mena dans une
étable voisine, puis il revint prendre la place
de la chèvre en se passant un licol autour du
cou; il s'accroupit sur la paille et attendit.
Un instant après, la porte de l'étable s'ouvrait
et un individu arrivait en tâtonnant jusqu'à
l'endroit où se trouvait la chèvre; il détacha
la corde et sortit dans la cour en tenant le
bout du licol croyant être suivi de l'animal;
le domestique de charrue marchait à quatre
pattes, et, comme l'obscurité était complèter
son conducteur, qu'il n'avait pu reconnaître,
ne se doutait lui-même de rien.
Les deux hommes devaient passer près du
pignon de la grange, au pied duquel une
tonne qui servait de commodités aux ouvriers
de la ferme avait été enfoncée dans la
terre. Quand le valet de cour fut arrive4
juste en face de la tonne, le domestique
se débarrassa de son licol, il se releva vive-
ment et, saisissant son conducteur sous les.
CONTES PICARDS
109
aisselles il le plongea dans le pen odorant
récipient.
Aux cris poussés par la victime, le domesti-
que reconnut le mauvais plaisant; pendant
-que ce dernier faisait de vains efforts pour
sortir de la tonne aux trois quarts pleine,
l'autre se hâtait de rentrer à la ferme et ra-
contait aux personnes qui s'y trouvaient la
farce qu'il venait de faire au valet de cour;
pour les convaincre, il alluma une lanterne et
les conduisit au pignon de la grange. En
s'agitant continuellement, le patient faisait
-dégager une odeur irrespirable, qui obligea
les curieux à reculer en se bouchant le nez.
Le domestique eut pitié de son supplice et
lui tendit une longue perche pour l'aider à
sortir de là.
Jamais, depuis lors, le valet de cour ne
■s'avisa de renouveler cette plaisanterie.
158. La dinde rôtie.
On avait invité à dîner un joyeux compère
•qui, par ses bons mots, ses réparties, son
esprit d'à-propos et ses facéties faisait la joie
«des réunions. On avait servi plat sur plat et
110
CONTES PICABDS
chacun des convives faisait honneur au festin.
L'amphitryon s'était chargé de découper, maisr
lorsqu'on apporta sur la table une dinde rôtie
des plus appétissantes, il se récusa ; on décida
unanimement que cette fonction délicate serait
confiée à l'amusant convive. Celui-ci essaya
d'esquiver la corvée en se donnant comme
étant trop malhabile; plus il se défendait de
se livrer à la dissection de la volaille, plus,
les autres insistaient pour qu'il s'exécutât de
bonne grâce. C'est en vain qu'il repoussa
l'honneur dont il se sentait peu digne, car sa
maladresse était proverbiale. Pressé par tous
les convives, qui s'étaient assurément donné
le mot, il se soumit enfin à leur volonté. IL
s'arma donc de la fourchette et du couteau à.
découper et se prépara à donner le premier
coup.
— Faites-bien attention, lui dit-on, tout ce
que vous ferez à cette dinde en commençant,
nous vous le ferons à vous-même ensuite.
— Expliquez-vous donc.
— Si vous lui coupez une aile, nous voua
couperons un bras; si vous lui détachez.une
cuisse, nous vous ferons l'amputation d'une
jambe.
Cette perspective, qui n'avait rien de ré-
jouissant, donna à réfléchir à l'homme; il ne
CONTES PICABDS
111
se souciait aucunement d'être traité comme
cette volaille. Frappé aussitôt d'un trait de
lumière, il releva vivement la tête, et, pro-
menant sur ses compagnons de table un coup
d'œil de défi, il dit:
— Avant de commencer l'opération que vous
voulez bien me confier sous la condition que
vous m'imposez, je vous offre un pari dont
quatre fioles de Clicquot, ce breuvage divin,
seront l'enjeu; si je le perds, je m'exécuterai
de bonne grâce, croyez-le bien; et, dans le
cas contraire, je suis convaincu que vous
agirez de même.
— Nous tenons le pari. Commencez.
Le rusé compère, allongeant le bras, tira
le plat vers lui, et, lui imprimant un mouve-
ment de rotation, il amena la partie posté-
rieure de la dinde en face de lui. Chacun
des convives, qu'il regardait en dessous d'un
air narquois, se demandait ce qu'il allait faire.
Saisissant le croupion de la main gauche, il
introduisit l'index de la main droite dans le
rectum du volatile, faisant mine de chercher
quelque chose dans son ventre; il l'en sortit
tout imprégné de jus, puis il se le fourra en
plein dans la bouche jusqu'à la dernière pha-
lange et le suça voluptueusement au nez
de ses compagnons de table ébahis, qui ne
112
CONTES PICARDS
«'attendaient assurément point à celle-là; il
leur dit:
— Vous venez de voir ce que je viens de
faire; à vous, messieurs, de m'en faire autant.
Son pari était gagné d'emblée.
159. Le roi des fromages.
Deux voyageurs de commerce arrivèrent
dans un bourg picard et descendirent à la
même auberge. Le soir, à table, il y avait
nombreuse compagnie. Les deux nouveaux
venus, originaires du Midi, jouèrent du cra-
choir à qui mieux mieux, et il n'y en eut bien-
tôt plus que fcour eux. L'un, qui représentait
une maison de vins, se vanta d'être le plus
fin gourmet de ceux de sa corporation.
— Je fais le pari, dit-il, que je nommerai
Bans me tromper tous les vins que l'on me
fera goûter. Et, pour éviter toute super-
cherie, je me laisserai bander les yeux au
préalable.
— Moi, dit l'autre, qui voyageait pour une
fromagerie, je me fais fort de désigner dans
les mêmes conditions tous les fromages dont
on me posera un morceau sur la langue, si
petit soit-ü.
CONTES PICARDS
118
Les paris étaient ouverts. Le voyageur en
fromage dit à son collègue:
— Je tiens ton pari, Marius.
— Et moi, je fais de même pour le tien.
Un mouchoir fut placé sur les yeux du
commis voyageur en vins. L'aubergiste des-
cendit à sa cave et remonta avec une bouteille
■de chacun des vins qu'elle renfermait. Le
voyageur dénomma sans jamais se tromper
les vins qui* lui furent successivement pré-
sentés.
Le second commis voyageur fut alors soumis
à une épreuve analogue. Après qu'on lui eut
bandé les yeux, l'aubergiste lui porta à la
bouche un morceau de fromage, puis un autre,
puis un troisième; l'homme les dénomma sans
commettre d'erreur. Son collègue, voyant qu'il
allait sortir vainqueur de l'épreuve, rumina
■quel tour il pourrait bien lui jouer pour le
faire perdre; il pénétra dans la cuisine et
aperçut une vieille femme accroupie en face
du foyer, occupée à allumer le feu.
— Ne bougez pas, lui recommanda-t-il dou-
cement à l'oreille.
Le loustic releva légèrement les jupons de
la vieille, introduisit l'autre main par le pas-
sage qu'il venait de faire et enfonça l'index
dans l'anus de la femme, qui ne bougea point.
Kyvnx. XL. 8
114
CONTES PICARDS
Revenant aussitôt dans la salle, le farceur
prit un couteau sur la table, gratta soigneuse-
ment la matière dont était englué son doigt,
en fit une petite boule qu'il posa délicatement
sur la langue de son collègue, lui demandant:
— Et celui-ci, quel fromage est-ce?
L'autre goûta un instant, tournant et re-
tournant avec sa langue le produit qui venait
de lui être remis.
— Ma foi, dit-il, j'ai perdu, je ne connais
point ce fromage; mais je puis vous assurer
que c'est le roi des fromages: je n'ai pas
d'échantillon semblable; je vous le recom-
mande.
160. La cerise sans noyau*
Il y a bien longtemps de cela, les habitants
d'un village picard avaient recours à un moyen
original pour la nomination de leur syndic,
qui était comme le maire avant la Révolution
de 1789; la nomination de cet officier muni-
cipal avait lieu chaque année au temps de la
maturité des cerises. Au jour indiqué, les
candidats se réunissaient sous un énorme
cerisier qui croissait à une extrémité de la
place publique. Chacun des concurrents devait
CONTES PICABDS
116
relever la tête et tenir la bouche toute grande
ouverte jusqu'au moment où une cerise se dé-
tachant naturellement de l'arbre, venait à
tomber dans la bouche de l'un des nigauds,
aux acclamations d'une nombreuse assistance
qui faisait cercle autour de l'arbre. Celui qui
était assez adroit pour recevoir le bienheureux
fruit était proclamé syndic.
Or, un jour, un corbeau que n'effrayait
nullement cette réunion d'hommes, — d'autant
qu'il régnait un silence absolu, — était de-
meuré sur la cime du cerisier. Bientôt il
laissa tomber — non du bec — autre chose
qu'une cerise; celui qui reçut au bon endroit
le pseudo-fruit s'écria joyeusement aussitôt:
— Je suis syndic! Je suis syndic!
— Un instant, dirent ses concurrents, montre-
nous le noyau.
Cela lui fut impossible, et pour cause, puis-
qu'il avait reçu dans la bouche un étron.
J'ignore si la nomination fut valable,
mais il faut reconnaître que ce genre d'élec-
tion était peu banal. Б est vrai que, de nos
jours, les élus avalent des ... couleuvres.
8*
lie
CONTAS PICARDS
161. Victime de sa propre farce.
Il est d'usage en Picardie lorsqu'un paysan
tue son porc de faire présent de boudin et de
saucisses à ses parents, à ses amis et à ses
voisins; en agissant ainsi, on ne fait, le plus
souvent, que rendre ce que Гоп a reçu. Or,
un jour, un petit cultivateur fit tuer son
^habillé de soies"; la femme de la maison se
chargea de faire cuire les ognons avec le sang
pour la préparation du boudin. Ayant dû
sortir dans sa cour pour vaquer aux soins à
donner aux bestiaux, elle laissa sa maison
sans surveillance pendant un instant, durant
que le tout mijotait dans le chaudron. Sur
ces entrefaites, un de ses voisins entra pour
demander à emprunter un objet qui lui était
nécessaire; après quelques minutes d'attente,
il visita les appartements sans rencontrer
personne; ayant aperçu l'outil qu'il venait
chercher, il s'en saisit et retourna chez lui
parce qu'il était pressé. En repassant dans
la cuisine, il remarqua un énorme chaudron
dans la cheminée; il souleva le couvercle et
vit qu'il contenait la „boudinéea. Une idée
baroque lui traversa l'esprit; il décrocha le
chaudron et chia au milieu. Cette belle be-
sogne accomplie, il mélangea soigneusement
CONTES PICARDS
117
ses excréments avec les ognons, remit le chau-
dron en place et sortit de la maison tont en
riant de bon cœur de la grosse farce qu'il
venait de faire, se gardant bien, en rentrant
chez lui, d'en souffler mot à sa femme. Un
instant après, il se rendit au bois, où il était
occupé à faire des fagots.
Quand la femme du cultivateur eut terminé
son ouvrage, elle revint dans sa cuisine; elle
ôta le couvercle du chaudron et constata que
le tout était cuit à point; elle ne se douta
nullement de ce qu'y avait introduit son voi-
sin. Le tueur de porc ayant terminé la fabri-
cation des saucisses se mit à la confection du
boudin, et, quand tout fut terminé, la fermière
prépara les présents qu'elle devait faire et en
commença la distribution dès la chute du jour.
Elle débuta par la maison de son voisin, qui
n'était pas encore de retour; la femme de ce-
dernier remercia chaudement sa voisine, et,,
dès que celle-ci l'ent quittée, elle fit cuire la
portion de boudin qu'elle en avait reçue. Son
mari rentra fort peu de temps après, exténué,
et mourant de faim; il demanda si le souper
était prêt.
— Oui, lui répondit sa femme.
118
CONTES PICAEDS
— Tiens, voilà, dit-elle en mettant sur la
table une assiette avec un morceau de boudin.
— Et toi, que mangeras-tu?
— J'ai fait cuire une saucisse.
L'homme, affamé, eut vite fait de dévorer
ce qui venait de lui être présenté; il ne
s'aperçut point de la . . . moutarde qu'il y
avait introduite. Sa faim apaisée, il demanda
à sa femme chez quel charcutier elle s'était
procuré cet excellent boudin; il avait totale-
ment oublié que leur voisin avait tué son porc.
— Ma foi, il ne m'a rien coûté, répondit la
femme; c'est notre voisine qui me l'a apporté
tantôt.
— Ah! sale cochon! s'écria-t-il entre deux
haut-le-cœur, c'est le boudin dans lequel
j'ai chié!
Et il raconta le tour qu'il avait joué.
— J'ai été bien inspirée de manger une
saucisse, s'écria sa femme en battant des
mains.
162. Pilules d'un effet merveilleux.
Un nouveau docteur, beau garçon, d'une
grande distinction et parlant avec élégance,
était venu se fixer dans une ville déjà pourvue
GONTES PICARDS
119
abondamment de médecins. Tont de suite, il
plut aux dames par ses manières galantes et
son affabilité; par elles, il arriva très rapide-
ment à se former une nombreuse clientèle, au
grand désespoir de ses confrères. Ceux-ci, qui
s'étaient toujours jalousés jusque-là, firent la
paix entre eux et se liguèrent pour mettre le
nouveau venu dans l'obligation de quitter la
ville. Après de longues conférences qui se
tenaient le soir chez le doyen de leur cor-
poration, il fut décidé que Tun d'eux, désigné
par le sort, se rendrait chez l'intrus et jouerait
le rôle imposé par ses confrères.
Le lendemain, celui auquel était échue cette
mission peu honorable se présentait à la con-
sultation du jeune docteur, dont il se croyait
inconnu. Il se dit gravement malade, ex-
pliquant que, par suite d'un malaise général,
il avait perdu l'appétit et le sommeil; il ne
pouvait se livrer à aucune occupation, et,
chose bizarre, il éprouvait une aberration
d'esprit telle qu'il était porté à mentir d'une
façon tout à fait inconsciente.
Le médecin consulté, qui avait éventé la
mèche, résolut de dépister la ruse.
— Votre cas est singulier, en effet, dit-il;
toutefois, je pense bien pouvoir trouver le
remède; mais j'exigerai votre promesse de
190
CONTES PICAEDS
suivre rigoureusement le traitement que je
vous ordonnerai
— Je m'engage, d'ores et déjà, à observer
vos prescriptions, quelles qu'elles soient.
— Eh bien, alors, revenez demain, je voua
prie; d'ici là, je ferai préparer le remède qui
vous convient, et nous commencerons aussitôt
le traitement.
— C'est entendu, docteur. À demain.
— Oui, à demain.
Le faux malade revint en effet le jour sui-
vant, riant sous cape de la naïveté de son
jeune confrère, qui donnait tête baissée dans
le piège; celui-ci lui dit à son arrivée en lui
présentant une boîte de pilules*.
— Voici d'abord ce que j'ai fait préparer à
votre intention, et je serais bien surprie si ce
médicament n'amenait pas une guérison com-
plète en quelques jours.
Ce disant, il lui fit mettre dans la bouche
une de ces pilules, ajoutant qu'il devait eu
absorber une d'heure en heure. Mais, à peine
le patient eut-il croqué et avalé la pilule qu'il
poussa un cri d'horreur et de dégoût, disant
entre deux hoquets:
— Mais, misérable, c'est de la merde!
— Parfaitement, vous l'avez dit, fit avec
flegme le jeune doctour. Vous voyez que eea
CONTES PICARDS
19t
pilules sont douées d'une grande vertu, puis-
que la première que vous avez avalée a suffi
pour vous guérir de mentir, mon cher con-
frère.
Sur ces mots, le pseudo-malade prit vive-
ment la porte, honteux et confus d'avoir été4
si bien joué. On dit qu'il court encore.
163. Pharmaciens mystifiée.
Un paysan remarqua un jour sous un pru-
nier dans son jardin un tas de merde à moitié4
desséché; il le ramassa proprement et le mit
dans sa poche. Rentré dans sa maison, il prit
un morceau de papier qu'il exposa au soleil
sur le rebord de sa fenêtre et y déposa sa
trouvaille. Quelques jours plus tard, la des-
siccation était complète. L'homme prit un
marteau et pulvérisa la matière fécale qu'il
avait recueillie avec tant de soin et la ren-
ferma dans une petite boîte. Le samedi sui-
vant, il se rendit au marché de la ville voisine^
En passant en face de la maison d'un phar-
macien, il entra; ayant extrait de sa poche
la boîte qui contenait de la merde en poudre,,
il la remit au marchand de drogues en lui
disant:
122
CONTES PICAEDS
— Pourriez-vous me renseigner, monsieur,
sur les propriétés de ce médicament? Feu
ma mère en faisait beaucoup de semblable en
son vivant.
L'apothicaire prit la boîte, enleva le cou-
vercle, examina la poudre jaunâtre qu'elle
contenait, et, mouillant le doigt, il l'introduisit
dans la boîte; il flaira ensuite la poudre qui
adhérait à son doigt; il s'y prit à trois ou
quatre fois, puis il passa la langue sur son doigt.
Le paysan se tenait à quatre pour ne pas
éclater de rire au nez de l'homme de science
qui montrait un soin si scrupuleux pour ren-
seigner son client; aussi avait-il l'air tout
penaud lorsqu'il dit:
— Je le regrette infiniment, mais j'ignore
la nature de ce produit... C'est peut-être un
purgatif...
Le paysan s'excusa et sortit. Plus loin, il
entra chez un second pharmacien, puis chez
un troisième. Comme leur premier confrère,
ils flairèrent puis ils goûtèrent la poudre sou-
mise à leur examen, mais ce fut également
sans plus de succès.
Passant devant une quatrième pharmacie
beaucoup plus importante que les trois pré-
cédentes, le campagnard entra pour renouveler
sa mystification; il avait eu la précaution de
CONTES PICABDS
іаа
laisser la porte ouverte et avait invité deux
ou trois passants à s'arrêter sur le trottoir
s'ils voulaient être témoins d'une scène qui
allait se produire et qui les ferait rire; c'est
ce qu'ils firent volontiers; leur groupe s'aug-
menta bientôt de tous les badauds qui pas-
saient et qui s'arrêtaient.
Comme il n'y avait personne dans le ma-
gasin, le paysan frappa sur le plancher avec
son bâton, criant à haute voix:
— Il n'y a personne à la boutique?
Aussitôt, une porte s'ouvrit dans le fond
avec grand bruit ; on vit apparaître dans l'en-
cadrement un petit bonhomme maigre, le teint
jaune, coiffé d'une calotte singnlière, le nez
surmonté d'une paire de lunettes à grands
verres, toiser d'un air furieux le nouvel arri-
vant; après qu'il l'eut examiné des pieds à la
tête, il s'avança sur le malotru, les poings
fermés, et s'écria:
— La boutique? ... la boutique, avez-vous
dit? Apprenez que ce n'est point une boutique
ici. Si ceux qui se disent mes confrères ont
une boutique, moi j'ai une officine, ce qui n'est
point du tout la même chose. Avez-vous com-
pris? Maintenant que vous êtes renseigné,
vous allez me faire le plaisir de me débarrasser
le plancher au plus vite. Allez, ouste!
124
CONTES PICAEDS
Le paysan, qui avait écouté sans sourciller
tout ce flux de paroles, continua de rester
debout dans le milieu de l'officine; il ne sem-
blait nullement disposé à sortir. Il s'excusa
le plus poliment du monde, et, comme il avait
bien jugé cet orgueilleux personnage, il le prit
par son côté faible, lui disant que, s'il s'était
adressé chez rai, c'est parce qu'on lui avait
fait l'éloge de sa science. Ainsi flatté, le
marchand de drogues se radoucit comme par
enchantement. Il prit la boîte que lui allon-
geait l'homme et lui demanda ce qu'il voulait *,
l'autre lui fit connaître ce qu'il attendait de
lui. Comme ses confrères, le quatrième phar-
macien prit une pincée de poudre, la flaira et
la goûta à deux reprises. A la seconde fois,,
il cracha sur le plancher et s'écria, furieux:
— Sale cochon! c'est de la merde que vous-
m'apportez-là !
— Je ne me fâcherai pas du propos que voua
me tenez, d'autant que j'ai l'honneur de voua
déclarer, monsieur, que vous êtes le plus savant
des apothicaires de votre ville. Je me suia
adressé auparavant à trois de vos confrères;
pas un d'eux n'a su me renseigner. Au moins,
vous, vous avez reconnu que c'est de la merde,,
et c'est vrai; au besoin, pour peu que vous y
teniez, je pourrais vous dire de qui elle pro-
CONTES PICARDS
125
Tient : c'est de yotre serviteur ... Je vous
•enverrai des clients, monsieur, parce que vous
•êtes le plus capable de tous vos confrères en
cette matière... J'ai l'honneur de vous saluer
bien bas.
Et le mystificateur, en sortant, fut accueilli
par les rires des témoins de cette scène qui
-s'étaient attroupés sur le trottoir en face de
la porte du pharmacien.
164. Trop gourmande.
Dans les villages picards, on s'est toujours
montré friand de crêpes. Or, il arriva un jour
•que, pour la Ste-Catherine, une bonne vieille
femme, qui réussissait fort bien cette pâtisserie,
résolut de régaler ses petites-filles, au nombre
4e neuf, sans oublier les autres membres de
sa famille; elle se mit donc à la besogne et
-confectionna autant de crêpes qu'il y avait de
personnes dans la maison. Quand chacun fut
servi, ce fut plaisir de voir fonctionner toutes
les mâchoires; en quelques instants, les crêpes
étaient englouties. Cependant, le frère des
jeunes filles voulut, par gourmandise, sans
•doute, faire durer le plaisir plus longtemps:
126
CONTES PICAEDS
il ne mangea que la moitié de sa crêpe, ré-
servant l'autre moitié pour son déjeuner le
lendemain matin. Comme il craignait que
l'une de ses sœurs ne la lui dérobât pendant
son sommeil, il attendit qu'elles fussent cou-
chées pour cacher son reste de crêpe sous son
traversin. Mais l'une des jeunes filles, qui
raffolait de cette pâtisserie, se mit à ronfler
dès qu'elle fut au lit, surveillant d'un œil à
peine ouvert les faits et gestes de son petit
frère. Dès qu'elle l'eût vu cacher son morceau
de crêpe, elle attendit patiemment qu'il fût
endormi. Elle se leva alors sans bruit et se
dirigea à pas de loup vers le lit de son frère;
elle fouilla fiévreusement et retourna bientôt
à son lit, tenant à la main quelque chose
qu'elle porta à la bouche après qu'elle se fut
recouchée. Mais, à peine eut-elle mordu à
pleines dents dans ce qu'elle croyait être une
crêpe, elle se mit à pousser des cris et des
hurlements qui réveillèrent toute la maisonnée»
L'aïeule, se dressant sur son lit, demanda,
alarmée, de la chambre voisine, où elle couchait:
— Qu'y a-t-il donc par là?
— Aïe youne !... Aïe youne !... Aïe youne t
répondit une voix qu'elle ne reconnut point,
tant elle lui parut changée par suite de la
douleur assurément.
COSTB» PICARDS
127
Se levant vivement, la grand'mère alluma
la lampe aussitôt et se dirigea vers le lit d'où
partaient les cris; elle aperçut Tune de sea
petites-filles assise sur son lit, les yeux grands
ouverts, pleurant à chaudes larmes et tenant
sa main droite éloignée d'elle.
— Qu'as-tu, mon enfant? lui demanda sa
grand'mère en arrivant auprès d'elle.
— Aïe youne !... Aïe youne !...
— Mais réponds-moi, au moins, petite dinde.
— J'ai... j'ai... Aïe youne !... Youne!...
J'ai... de la ... aïe youne !... Aïe youne !
— Quoi donc? Dis-le, pour finir.
— J'ai de la ... merde dans la bouche ! Aïe
youne!
La petite fille ayant ouvert sa bouche,
l'aïeule remarqua en effet qu'elle était pleine
de certaine matière peu odorante.
— C'est tout de même vrai, s'écria la vieille
femme en s'approchant de la patiente.
Vite, elle courut chercher de l'eau et un
linge, et se mit en devoir de nettoyer la
bouche et la main de sa petite-fille. Cette
besogne terminée, elle dit :
— Tu vas me raconter maintenant par suite
de quel rêve tu t'es ainsi barbouillé la bouche.
— Je n'ai pas rêvé, grand'mère, répondit
l'enfant, qui se remit à pleurer.
128
CONTES PICAEDS
— Alors, dis-moi ce qui s'est passé; je tiens
à le savoir; ne me cache rien. On t'a fait
une farce?
Après bien des hésitations, la fillette raconta
ainsi son aventure:
— J'avais mangé toute ma crêpe; elle était
ai bonne, grand'mère! Vous l'aviez si bien
faite! J'avais remarqué que mon petit frère
n'avait mangé que la moitié de la sienne et
qu'il avait caché le reste dans son lit. Pen-
dant qu'il dormait, je me suis levée pour le
lui prendre. J'ai cherché sous son oreiller;
n'ayant rien trouvé, j'ai allongé le bras sous
ses couvertures; j'ai senti quelque chose de
doux et de chaud ; je m'en suis emparé et j'ai
mordu dans ce que je croyais être son morceau
de crêpe, mais c'était une... crotte que mon
salaud de frère avait faite dans son lit.
En effet, l'enfant ayant eu une indigestion
«'était oublié peu de temps après qu'il se fut
endormi.
A l'aveu naïf de la petite gourmande, l'aïeule
partit d'un immense éclat de rire, et les sœurs
de la fillette, qui avaient entendu son récit
dénué d'artifice l'appelèrent mangeuse de merde,
surnom par lequel elle fut toujours désignée
depuis lors.
CONTES PICARD8
129
165. La peine du talion.
Un jeune soldat d'infanterie revenant un
jour d'un service commandé s'était attardé en
chemin. Pour regagner le temps perdu, il
prit au plus court en suivant un sentier qu'il
connaissait. Après qu'il eut traversé un verger,
il côtoya un jardin potager dans lequel il
aperçut un cerisier couvert de fruits; il se
laissa tenter et pénétra dans cette propriété
en pratiquant un trou à la haie; il s'ap-
procha de l'arbre qui l'avait attiré et il se
mit à cueillir les cerises les plus mûres, qu'il
avala avec la plus vive satisfaction. Tout à
coup, il éprouva une violente colique; il n'eut
que le temps de déposer son fusil au pied
d'un espalier voisin et de mettre culotte basse.
Le propriétaire, qui guettait le maraudeur de-
puis un instant, s'était avancé derrière lui à
pas de loup; il s'empara prestement du fusil
du militaire, et, quand celui-ci se releva, il se
trouva face à face avec le maître du jardin,
qui fit une verte semonce au délinquant; ce
dernier ne disait mot; il était dans son tort,
aussi ne savait-il que répondre.
— Je pourrais te faire traduire devant le
conseil de guerre, lui dit l'homme, mais je
veux t'épargner une condamnation certaine
Kyvnt. XL 9
130
CONTES PICAEDS
à condition que tu feras ce que je vais
t'ordonner.
— Ah! monsieur, dites vite, je vous obéirai
— Eh bien, tu vas manger tout de suite ce
que tu viens de déposer ici.
— Oh! de grâce, monsieur!...
— Tu vas t'exécuter à l'instant ou sinon...
Joignant le geste à la parole, l'homme mit
en joue le soldat avec le fusil de celui-ci
Après une vaine résistance d'un côté, qui
se heurta à un entêtement opiniâtre de l'autre
côté, le pauvre troupier prit bravement son
parti, — peut-être avec une arrière-pensée, —
et il se mit ... à table. Il avait absorbé la '
moitié du ... plat, quand son amphitryon
lui dit:
— Pour te récompenser de ton obéissance,
je te tiens quitte, mon garçon.
Et, ce disant, il rendit au soldat son fusil*;
dès que ce dernier fut en possession de son
arme, il regarda fixement son adversaire et
lui cria:
— Moi, je ne vous tiens pas quitte. Sur
votre ordre, j'ai mangé la moitié de ce ...
plat. Vous allez manger le reste ou sinon .. ►
Et, à son tour, mettant en joue son hôte,
il le menaça de lui trouer la peau s'il ne
s'exécutait pas. Après de longues hésitations-
CONTES PIOAEDS
131
et forces grimaces, l'homme avala ce qui
restait du . .. plat. Le soldat, satisfait de
ces justes représailles, partit aussitôt non
sans avoir entendu les menaces de vengeance
que sa victime proférait contre lui.
En effet, le lendemain, le propriétaire du
jardin se rendait à la ville et se présentait
chez le colonel à qui il se plaignit d'un ma-
raudage commis la veille par un fantassin dans
sa propriété.
— Savez-vous son nom? demanda le colonel.
— Je l'ignore.
— Dans ce cas, venez avec moi au quartier;
je ferai sortir tous mes hommes et vous me
désignerez l'auteur du délit.
C'est ce qui fut fait. Le colonel et le
plaignant avaient passé devant le front de la
moitié du régiment quand le propriétaire du
jardin s'écria:
— Le voilà, mon colonel!
— Avancez ici, ordonna le colonel au soldat
désigné. Vous connaissez, monsieur?
— Parfaitement, mon colonel ; j'ai même eu
l'honneur de déjeuner hier avec lui...
A ces mots, l'homme, craignant que le soldat
ne racontât la scène de la veille dans tous ses
détails, lui glissa une pièce d'or dans la main
en lui disant à l'oreille:
9*
132
CONTES PICAEDS
— N'eu dites jamais davantage à personne.
Et il s'esquiva au plus vite à la grande
surprise du colonel, qui rit de bon cœur quand
le soldat, qu'il avait fait appeler dans son
cabinet, lui eut raconté ce qui s'était passé
la veille.
166. A la porte du paradis terrestre.
Après sa création, Adam fat placé au milieu
d'un vaste et splendide jardin; les fleurs et
les fruits y étaient perpétuels et répandaient
le parfum le plus doux, le plus suave. Le
séjour de ce lieu enchanteur serait devenu
monotone par la suite si l'homme n'avait été
pourvu d'une compagne. Après qu'il eut créé
Eve, Dieu permit au premier couple humain
de manger de tous les fruits que produisaient
les arbres du paradis terrestre; leur estomac
les digérerait avec une facilité telle que les
parties impures seraient éliminées par les
pores de la peau; mais il les avertit qu'il
n'en serait point de même s'ils s'avisaient de
manger des fruits de certain arbre qu'il leur
désigna; il se formerait alors dans leurs
intestins un résidu dont l'expulsion ne se
ferait point de la même manière: elle aurait
CONTBS PICABDS
133
lieu par leur trou du cul et leur merde souil-
lerait le paradis terrestre, ce qui provoquerait
leur renvoi de ce lieu de délices.
Le démon, jaloux de la félicité d'Adam,
essaya de le faire désobéir en l'engageant à
goûter du fruit de l'arbre auquel le Créateur
lui avait défendu de toucher. Mais Satan en
fut pour ses frais; ni ses ruses ni son habi-
leté ne purent faire fléchir le premier homme.
C'est alors que le tentateur, revêtant la forme
du serpent, prit la tête d'un bel adolescent et
s'enroula autour du tronc de l'arbre défendu;
il attendit l'arrivée d'Eve, que les fruits de
cet arbre faisaient loucher.
— Par elle, se dit Satan, j'arriverai plus
sûrement à mes fins; elle a plus d'esprit et
moins d'entêtement que son mari.
Prenant un air doucereux, il dit à la femme
sur un ton mielleux et flatteur:
— Si vous goûtiez de ces bons et beaux
fruits, vous seriez la reine de la création.
Que dis-je? tous les êtres animés s'agenouil-
leraient devant vous.
Sur ces paroles et d'autres encore plus
flatteuses, le diable s'éloigne, laissant la femme
à demi ébranlée.
Un instant après, Adam venait rejoindre
Eve; celle-ci, mue comme par un ressort,
134
CONTES PICARDS
étendit vivement le bras, cueillit un fruit, le
montra à Adam avec un sourire encourageant
qui découvrit la double rangée de perles de
sa bouche; elle entama la pomme et, finale-
ment, la fit goûter à son mari; celui-ci avait
pu résister au démon, mais comment ne pas
céder à une femme?
A peine les deux coupables eurent-ils en-
freint la défense qui leur avait été faite qu'ils
sentirent un poids très lourd dans leur esto-
mac. Le résidu de ce qu'ils venaient de
manger allait passer dans leurs intestins, et
son expulsion par le rectum souillerait le
paradis terrestre, où l'on n'était imprégné
que des plus agréables senteurs.
C'est pour éviter cette souillure qu'un
ange accourut aussitôt pour chasser Adam
et Eve de leur éden. Il était temps. A
peine nos premiers parents eurent-ils franchi
le seuil de leur séjour qu'ils éprouvèrent
pour la première fois le besoin de se sou-
lager. Ils s'accroupirent et chièrent tant
que la porte du paradis terrestre se trouva
complètement obstruée; depuis, ils ne purent
jamais la retrouver.
CONTES PICAEDS
135
167. ba création d'Eve.
L'Écriture enseigne que quand Dieu eut
créé le premier homme à son image et à sa
ressemblance, il résolut de lui donner une
compagne; tandis qu'Adam dormait, il lui en-
leva une de ses côtes pour en former la pre-
mière femme; pour recoudre le trou qu'il
venait de faire, il posa l'os à terre. Un
chien vint à passer, flairant à droite et à
gauche; il vit la côte; profitant de ce que
Dieu avait le dos tourné et ne le voyait
point, il happa le morceau qui l'avait attiré
et s'enfuit en le portant dans la gueule. Le
Créateur ayant cherché après la côte et ne la
trouvant pas, jeta les yeux autour de lui; il
aperçut le chien qui emportait le produit de
son larcin; son maître courut de toutes ses
forces pour le lui reprendre ; le chien redoubla
de vitesse, mais il se trouva bientôt arrêté
par une barrière à claire-voie; il avait l'habi-
tude de passer par un trou, mais, cette fois,
comme il tenait la côte en travers dans sa
gueule, il se trouva arrêté au pied de la
barrière. Son maître continuait sa course et
il allait atteindre le chien voleur; celui-ci
multiplia ses efforts pour passer, mais ce fut
en vain; ayant tourné la tête pour se rendre
136 CONTES PICABDS
compte de la distance qui le séparait du
Créateur, Tune des extrémités de l'os s'en-
gagea dans le tron par ce mouvement de
côté: le chien était sauvé; il passa par le
trou. D'un dernier élan, le bon Dieu arriva
près du chien, dont il put saisir la queue; ce
dernier tira de toutes ses forces; il tira tant
qu'il parvint à se dégager, mais la secousse
fat telle que son maître, perdant l'équilibre,
s'étendit de son long sur la terre; l'une de
ses mains écrasa un tas de merde qui se
trouvait là. Le bon Dieu se releva; il con-
sidéra ses doigts, qui étaient enduits d'une
couche épaisse de matière fécale, ce qui lui
fit faire une grimace, car, s'il avait voulu,
pour la création de la femme, avoir recoure
à un autre procédé que celui qu'il avait em-
ployé pour Adam, c'était afin d'éviter de se
salir les mains en pétrissant de la terre.
Mais il eut vite pris son parti de cette
mésaventure; il pétrit ce qu'il avait sur les
doigts et dans la main; il en fit une petite
poupée, sur laquelle il souffla: Eve était
créée.
CONTES PICABDS 187
168. Ье plus habile.
On raconte que le Créateur ne prit pas, à-
beaucoup près, autant de soin pour la forma-
tion de la première femme que pour celle
d'Adam: il considérait cette besogne comme
une corvée. Dès qu'Eve fut animée du souffle
de vie, le démon, qui rôdait dans le paradis,
terrestre, s'aperçut que l'œuvre du divin Créa-
teur était incomplète.
— Elle ne pourra ni chier ni pisser, se dit-
il, puisqu'aucune ouverture n'a été ménagée
pour chacun de ces usages.
L'esprit malin alla trouver l'Éternel, et, se
gaussant de lui fort irrespectueusement* il lui.
signala son omission.
— Ces ouvertures sont inutiles, lui répondit
le Maître de l'univers, puisque, tant que la.
femme demeurera dans ce lieu de délices, elle
n'en souillera le sol d'aucune déjection.
Et, comme Satan insistait sur l'utilité des-
deux ouvertures qui manquaient à Eve, Dieu
lui répondit:
— Après tout, si tu y tiens, fais à ta guise,-
je te donne carte blanche; quant à moi, je ne
fais aucune retouche.
Fort de cette autorisation, le diable fit.
appeler quatre de ses pensionnaires apparte-
138 CONTES PICARDS
Rant à quatre corps de métiers différents. П
leur fit connaître ce qu'il attendait d'eux.
Oeux-ci se rendirent sans retard auprès d'Eve
•et lui firent connaître qu'ils avaient été chargés
•de compléter l'œuvre du Créateur. Ces quatre
•envoyés étaient un boucher, un bourrelier, un
maçon et un tonnelier.
Le boucher s'avança le premier; d'un coup
4e couperet, il pratiqua une profonde ouver-
ture au bas du ventre d'Eve, mais il exécuta
cette besogne avec une maladresse telle que
la patiente saignait régulièrement tous les
mois en cet endroit.
Le bourrelier ne se montra guère plus
Tiabile; au lieu de placer l'étoupe à l'intérieur
4e l'ouverture, il en garnit tout le pourtour
•extérieur.
Quant au maçon, il ne s'acquitta guère
mieux de sa mission; il creusa les cabinets
4'aisances trop près du salon de réception.
Ce fut le tonnelier qui se montra le plus
intelligent; il corrigea si bien l'ouverture
pratiquée par le boucher que toutes les bon-
des, petites ou grosses, purent entrer dans
-ce trou.
C0NTE8 PICARDS
139
169. Ьа première faute d'Adam.
Après leur création, nos premiers parents
n'étaient astreints à aucun travail; ils pas-
saient le temps à se contempler au milieu du
jardin de délices qu'était le paradis terrestre.
Or, un jour, ils s'étendirent sur le sol au
milieu d'un tapis de fleurs d'un parfum capi-
teux. Pour se garantir des rayons d'un soleil
ardent, ils s'étaient mis à l'ombre d'un pal-
mier; couchés l'un en face de l'autre, ils
rendaient grâce à leur divin Créateur et se
caressaient mutuellement. Eve se demandait
toujours pourquoi leur conformation était dif-
férente; en passant sa main sur le corps nu
d'Adam, elle prenait plaisir à palper son
membre; pas plus que son mari, elle ne savait
à quel usage il pouvait servir. Comme elle
se posait cette question pour la millième fois,
elle retira sa main pour se gratter le front;
au même moment, un taon se posa sur le
derrière d'Adam et le piqua; sous le coup
d'une douleur cuisante, notre premier père fit
un mouvement brusque en avant; son vit
pénétra dans le con d'Eve, et Adam continua
de s'agiter et de se tordre sous la souffrance
de la piqûre du taon: mais il goûta bientôt
une volupté à nulle autre pareille; Eve éprouva
140
CONTES PICABDS
en même temps une jouissance égale. Un
ange vint aussitôt les chasser du paradis-
terrestre parce qu'ils venaient de désobéir à
leur créateur en faisant ce qu'il leur avait
défendu. Ds s'en consolèrent, car ce que le
hasard leur avait appris les transporta dana
un autre éden cent fois préférable à celui
qu'ils venaient de quitter.
170. Le flacon d'huile merveilleuse»
Après leur création, Adam et Eve sentirent
bientôt l'oisiveté peser de tout son poids sur
leurs épaules. Us erraient comme deux âmea
en peine dans le paradis terrestre. La femme,,
poussée par le démon, qu'elle écoutait trop
volontiers, faisait continuellement des scènes
à son débonnaire époux. Jusqu'alors, nos
premiers parents avaient l'un et l'autre la
peau du corps absolument lisse; en aucun
endroit, on ne voyait poindre le moindre
duvet; à distance, on les eût pris pour deux
statues de marbre.
A la suite de longues réflexions, Adam
alla trouver le bon Dieu et lui conta sea
peines.
CONTES PICABDS
141
— Tiens, lui dit son maître en ne lui lais-
sant point terminer l'exposé de son secret
•désir, voici un flacon qui renferme une huile
•dont l'effet ne tardera pas à se faire sentir;
dès que tu en auras étendu quelques gouttes
.sur ton crâne et sur ta iignre, tu verras
croître une toison qui te donnera un aspect
тігії et imposera le respect à ta femme.
Adam prit la petite bouteille, et, ayant re-
mercié son créateur, il le quitta pour aller
■faire usage de l'ingrédient qu'il venait de re-
cevoir. Il se retira en un lieu désert et versa
sur son chef quelques gouttes de ce baume
merveilleux; à peine les eut-il étendues avec
le doigt qu'une épaisse chevelure apparut sur
«on crâne. A la vue d'un résultat si prompt,
il continua son opération et passa son doigt im-
prégné d'huile sur ses deux joues et sur son
menton; un instant après, il sentit qu'il était
pourvu d'une barbe abondante. Il cacha son
ffacon dans une touffe d'herbe qui croissait au
pied d'un arbre, et il alla retrouver Eve pour
juger auprès de celle-ci de l'effet de sa trans-
formation. A la vue d'Adam, sa compagne
eut tout de suite pour lui les plus grands égards,
■et lui donna les marques d'un sincère respect.
Heureux du succès de cette opération, notre
premier père résolut de poursuivre son œuvre;
142
CONTES PICARDS
il se retirait fréquemment à l'écart pour
appliquer sur différentes parties de son corps,
quelques gouttes de ce liquide doué de vertus
si surprenantes ; il observa que la toison était
plus courte et moins fournie aux endroits où
il ne passait que légèrement le doigt; de sorte-
que. pour certaines parties, il augmentait la-
dose et appuyait plus fortement.
Ce n'était point sans un secret sentiment
d'envie que sa femme constatait chaque jour
les nouvelles transformations survenues depuis
la veille sur le corps d'Adam. Elle s'en ouvrit
au démon, qui lui dévoila les pratiques aux-
quelles se livrait son mari, et il lui indiqua
la retraite où il se réfugiait pour les exercer-
Eve se dirigea aussitôt sans bruit vers l'en-
droit signalé et observa la manœuvre d'Adam.
Dès qu'elle l'eut vu cacher le flacon dans la
mousse, elle s'esquiva prestement sans avoir
révélé sa présence.
Quelques instants plus tard, Eve revint à.
Pendroit où elle avait surpris son mari; elle
mit facilement la main sur la petite bouteille,,
objet de sa convoitise. Elle commença par se
faire pousser une opulente chevelure; éprou-
vant des démangeaisons aux aisselles, elle y
porta aussitôt la main; le résultat qu'elle
n'avait point cherché ne se fit pas longtemps-
CONTES PICARDS
14£
attendre. Elle se disposait à frictionner sa
figure avec cette huile merveilleuse quand un
léger bruit se fit entendre dans le voisinage..
Craignant d'être surprise par Adam, elle s'en-
fuit précipitamment, tenant le flacon à la
main; dans sa course, son pied buta sur un
obstacle imprévu; elle s'abattit la face contre-
terre, et, dans sa chute, elle brisa la fiole;
l'huile, en s'échappant, inonda le bas de son
ventre; pour s'en débarrasser, Eve tenta de
l'essuyer avec les doigts, mais elle vit aussitôt
croître une épaisse touffe de poils, qui lui
donnait de secrètes beautés. Dès lors, Adam
portait sans cesse ses regards sur cette toi-
son. C'est à cette circonstance, paraît-il, que
nos premiers parents durent plus tard leur
chute.
171. Four entrer dans le paradis.
Un jour, saint Pierre entendit frapper à la-
porte du paradis; il ouvrit le guichet derrière
lequel il a l'habitude de se tenir. Il aperçut,
une femme qui venait lui demander de la re-
cevoir parmi les élus.
— Halte-là! lui dit-il, on n'entre pas ici.
comme dans un moulin.
144
CONTES PICARDS
Examinant des pieds à la tête la visiteuse,
•qui était dans un état complet de nudité,
comme le sont, d'ailleurs, tous ceux qui se
présentent devant le portier du paradis, ce
dernier la pria d'écarter les jambes en se
courbant à demi; désignant du doigt une
•ouverture qui lui parut fort grande, il lui dit.
— Voue vous êtes souvent servie de cela,
à ce que je vois?
— Oh! oui, grand saint, le plus souvent
que j'ai pu le faire; j'ai soulagé l'humanité
souffrante toutes les fois que l'occasion m'en
a été offerte; je n'ai jamais refusé à ceux qui
m'en ont sollicitée de leur accorder ce qu'ils ap-
pelaient eux-mêmes les jouissances du paradis.
-C'est bien le moins que vous m'accordiez à
votre tour l'entrée de celui dont vous avez la
garde, d'autant que l'âge de la retraite étant
venu pour moi, je me suis convertie; je suis
morte en Madeleine repentie, et j'ai quitté la
terre en état de grâce.
— Puisqu'il en est ainsi, entrez, dit saint
Pierre en ouvrant toute grande la porte du
.séjour céleste.
Un instant après cette courtisane arriva
une dévote, qui n'avait fait que prier pendant
tout le cours de son existence et n'avait
.songé qu'à mériter l'entrée du paradis. Saint
OONTBS PICARDS
145
Pierre lai fit subir le même examen qu'à la
précédente.
— Quel uôagé avez-vous fait de cette étroite
ouverture ?
— Je m'en servais pour pisser.
— Rien que pour cela?
— Oui, grand saint.
— Eh bien, allez chier maintenant, ma
vieille ; il n'y a point de place ici pour vous.
172. Le sacrifice d'Abraham.
Une quinzaine de gamins attendaient un
dimanche dans la chapelle du catéchisme
l'arrivée de M. le Curé, qui, ce jour-là, se
faisait attendre; ils en profitèrent pour se
livrer à mille espiègleries. Sur ces entre-
faites, le bedeau fit son entrée dans la cha-
pelle; c'était un homme d'importance tout
pénétré de la gravité de ses fonctions. Pour
calmer l'effervescence de la marmaille et pour
occuper le temps, il s'imagina de faire au
jeune auditoire un cours d'histoire sainte; il
choisit pour sujet le sacrifice d'Abraham et
s'exprima ainsi:
— Je visa vous dire ce qui arriva à ce
patriarche. Pour l'éprouver, le bon Dieu
Kqvtct. XI 10
146
CONTES PICAEDS
exigea de loi la mort de son ills unique, qu'il
avait eu dans un âge fort avancé. Quoi qu'il
lui en coûtât de faire périr son enfant, Abra-
ham obéit sans hésitation. Il partit donc avec
Isaac, et, quand ils furent arrivés en rase
campagne, il banda les yeux de son fils; il
s'arma de son fusil à pierre ou plutôt à rouet
et mit Isaac en joue; il allait presser sur la
détente quand un ange, envoyé par le bon
Dieu, descendit du ciel et se mit à pisser
abondamment sur le bassinet, ce qui l'empêcha
de fonctionner. C'est ainsi que le jeune homme
eut la vie sauve. Cela fait, l'ange dit à
Abraham que le bon Dieu était content de
lui, et que, pour le récompenser de son obéis-
sance, il aurait une postérité plus nombreuse
que les étoiles du firmament.
173. Le doigt de saint Guignolet.
Un pauvre paysan souffrait depuis quelques
jours de maux de dents qui ne lui laissaient
ni trêve ni repos. П ne savait que faire ni
à quel saint se vouer pour obtenir du sou-
lagement lorsque sa femme, qui était d'une
avarice sordide, l'engagea à se rendre en pèleri-
CONTES PICAEDS
147
nage à la chapelle de saint Guignolet; il en
serait quitte en donnant deux sous au bedeau,
tandis qu'en s'adressant à un dentiste, il en
coûterait vingt sous. Le bienheureux, qui
avait une statue dans une chapelle des envi-
rons, passait pour guérir les maux de dents,
du nez, des oreilles et autres à condition que
le pèlerin introduisît dans la bouche, dans
l'oreille, dans les narines ou autre ouverture
l'un des doigts de la statue du saint, lequel
se dévissait pour cet objet. Notre homme partit
donc le lendemain de grand matin; quand il
fut entré dans la chapelle, il s'adressa au
bedeau et lui fit part du sujet de son pèleri-
nage. Le sacristain l'instruisit sur les prati-
ques pieuses indispensables en pareilles cir-
constances, puis il dévissa le doigt de pied de
saint Guignolet; il le remit au pèlerin en lui
conseillant de l'introduire dans sa bouche et
de l'y laisser un instant. Pour être guéri
plus sûrement, le paysan suça le doigt de la
statue en toute conscience; l'opération termi-
née, il le remit au bedeau en lui disant:
— Votre saint est donc venu ici pieds nus
ce matin?
— Non; pourquoi?
— C'est parce que son doigt de pied
sent tellement mauvais que je pensais qu'il
10*
148
CONTKS PICARDS
avait pu marcher dans de la merde en ve-
nant ici.
— Je l'ai remis tout à l'heure au pèlerin
qui est agenouillé là.
— Alors, ce particulier a la gueule qui doit
sentir comme des commodités.
L'homme qui venait d'être désigné par le
bedeau ayant entendu le dialogue prit la pa-
role et dit:
— Ce n'est pas étonnant. Je n'ai point mis
le doigt du saint dans ma bouche; comme j'ai
des hémorroïdes, je me le suis fourré dans le
trou du cul ; le bedeau l'a remis en place sans
avoir eu le courage de l'essuyer.
174. Un vieux polisson.
Un nouveau curé ayant été nommé dans
certain village constata lors de sa prise de
possession que la statue qui représentait le
patron de la paroisse était dans le plus
pitoyable état: elle était toute vermoulue et
tombait par fragments. Il obtint des marguil-
liers le vote d'un crédit nécessaire pour la
remplacer. En effet, le jour de la fête patro-
nale, les fidèles purent remarquer un saint
CONTES PICARDS
149
tout flambant neuf dans la niche affectée à la
statue du bienheureux sous l'invocation duquel
était placée l'église. Les vieilles dévotes ac-
cueillirent froidement le nouveau saint, dont
les dorures et les couleurs éclatantes lui
donnaient un aspect peu vénérable. Or, l'une
de ces femmes surtout manqua de confiance
dans ce saint d'aspect juvénile, à la figure
joufflue et haute en couleur, aux habits ruti-
lants; elle regrettait vivement la disparition
de la préoédente statue, aux pieds de laquelle
elle était souvent venue s'agenouiller; c'est à
l'intercession du saint qu'elle représentait que
maintes de ses prières avaient été exaucées.
À quelque temps de là, son ânesse lui parut
gravement malade. Pour économiser le prix
d'une visite du vétérinaire, la bonne femme -
se rendit à l'église à l'heure de midi; ne
pouvant se décider à invoquer le nouveau
saint, elle monta dans le clocher, où le curé
avait remisé la vieille statue; elle s'agenouilla
pieusement en face et l'invoqua avec ferveur,
lui rappelant que, déjà, elle avait obtenu par
sa médiation la guérison de sa vache, celle de
feu son mari, celle de sa chèvre et bien d'autres
grâces qu'elle énuméra dans son patois.
— C'est à vous que je m'adresse encore
aujourd'hui pour mon ânesse, qui est mon
4
150
CONTES PICABDS
gagne-pain. Les vieux ont plus de pouvoir
que les jeunes auprès du bon Dieu. Vous,
m'avez ton jours écoutée; nous sommes d'an-
ciennes connaissances. Je ne saurais parler
comme les gens de la ville au beau jeune
homme que l'on a mis à votre place; il ne
pourrait me comprendre, lui.
Elle continua longtemps sur ce ton; puis,
relevant la tête, elle jeta les yeux sur la
statue; à sa grande surprise, elle remarqua
qu'elle était couverte de toiles d'araignée et
de poussière, et que les moineaux, sans respect
pour le saint, avaient sali son crâne avec leur
fiente. Croyant mieux s'attirer les bonnes
grâces du bienheureux, elle résolut de lui
faire sa toilette. Elle prit une vieille chaise
qui se trouvait là, grimpa dessus, et, avec le
bas de son tablier, qu'elle mouilla de salive,
elle nettoya la statue le plus consciencieuse-
ment du monde. En descendant de la chaise,
sa besogne terminée, la vieille femme sentit
que ses jupons et même sa chemise étaient
relevés d'une manière indécente; elle n'avait
point remarqué qu'ils se trouvaient retenus par
les doigts bénissants de la main droite du saint;
elle s'imagina que ce dernier voulait folâtrer.
— Voyons, grand saint, dit-elle en rougis-
sant, nous ne sommes plus d'âge ni vous ni
CONTES PICABDS
151
moi à batifoler; finissez donc. Vous ne devez
plus penser à la bagatelle; dans tons les cas,
vous auriez à votre disposition beaucoup mieux
que moi.
Mais les jupons continuaient de demeurer
accrochés. La bonne femme, agacée, reprit
en colère:
— Eh bien, vous n'y pensez pas? Tenez-
vous donc tranquille, vieux polisson. Votre
conduite est scandaleuse. Soyez sage ou sinon,
fit-elle en levant le bras, je vous giflerai sur
les deux joues. D'où vient donc, ajouta-t-elle
en poussant comme un soupir de regret que
vous ne m'en ayez jamais fait autant alors
que j'étais jeune ? ...
La vieille femme étant, sur ces mots, des-
cendue vivement de la chaise n'eut pas plus
tôt posé ses deux pieds sur le plancher qu'elle
vit ses jupons se relever à la hauteur de son
menton. Arrivée au paroxysme de la colère,
elle tira vivement sur ses habits et poussa
brutalement la statue, qui fut projetée sur le
mur où elle se brisa.
— Tant mieux! c'est bien fait! s'écria la
femme en battant des mains. Le bon Dieu
l'a puni. Qui aurait cru cela de ce vieux?
A qui donc se fier aujourd'hui?
152
C0NTB8 PICARDS
Et, s'approchant de la statue, qu'elle regarda
dédaigneusement, elle lui allongea un coup de
pied, disant:
— Ah! vieux polisson, tu n'essaieras plus
maintenant de me manier le cul... Voyez-
vous, les vieux et les jeunes ne valent pas
mieux les uns que les autres.
Et elle retourna chez elle. En rentrant,
son ânesse était morte. Elle crut à une
vengeance du vieux saint. A partir de ce
jour, ce fut le nouveau qui devint l'objet de
ses invocations.
175. Le bossu et le capucin.
Un bossu, qui avait énormément d'esprit,
comme tous ses pareils, d'ailleurs, tomba un
jour dangereusement malade. On le crut
perdu; on lui demanda s'il voulait que l'on
fît venir un prêtre; il refusa. Sa famille
insista; ce fut peine perdue. Il y avait pré-
cisément dans le village un père capucin qui
donnait une mission. Ce religieux visitait
chaque jour un certain nombre de paroissiens;
c'est ainsi qu'il arriva un jour chez le bossu
sans qu'on l'eût fait appeler; il se dirigea vers
le lit du moribond et s'informa de sa santé.
153
— Tiens, s'écria le malade en désignant du
doigt la corde qui ceignait le moine, auriez-
vous donc l'intention de vous pendre?
— Non, mon fils; cette corde sert à me
flageller pour racheter mes péchés et ceux
des hommes.
— Dans ce cas, vous devez vous frapper
souvent pour mon propre compte, car je suis
un grand pécheur.
— Tous vos péchés seront rachetés, mon
fils, soyez sans crainte, si vous en manifestez
un profond repentir ...
— Quel est donc le morceau de bois que
vous portez sur votre poitrine? demanda le
bossu, qui voulait rompre les chiens.
— C'est un crucifix. Tenez, embrassez le
Christ, qui est mort pour vous sur la croix.
Et, disant ces mots, le religieux allongea
le bras pour faire baiser le Christ au mourant ;
celui-ci fit un mouvement de recul.
— Vous avez donc peur, mon fils? Avancez-
vous, je vous prie.
— Je n'ai point peur, mais votre Christ est
si petit qu'il me faut bien le regarder aupara-
vant pour ne pas m'exposer à lui embrasser
le trou du cul.
164
CONTES PICAEDS
176. Les trois moines.
Le supérieur d'un couvent de religieux
surprit un jour trois de ses moines qui se
livraient simultanément entre eux à des actes
contre nature. Il les fit jeter dans les cachots
du monastère et en référa immédiatement à
l'évêque du diocèse. Le prélat répondit que
les coupables devaient lui être amenés, et
qu'après interrogatoire il prononcerait la sen-
tence qui devait frapper les auteurs de tels
forfaits.
Les trois coupables comparurent donc devant
l'évêque et les principaux dignitaires du cha-
pitre. Ils furent longuement interrogés sur
les circonstances du crime qui leur était re-
proché; ils avouèrent sans détour.
Sommés de déclarer comment ils s'y pre-
naient pour se rendre coupables tous les trois
en même temps du péché qu'on leur imputait,
ils prirent aussitôt la position dans laquelle
ils avaient été surpris par leur supérieur, et
ils se mirent en devoir de consommer l'acte
pour lequel ils avaient été appelés devant
l'évêque.
A cette vue, le prélat s'accouda sur la table
et, appuyant son menton dans la paume de sa
main, il regarda, comme hypnotisé, les trois
CONTES PICABDS
155
pédérastes se livrer avec ardeur à leur jeu
favori. Les dignitaires du chapitre, scanda-
lisés, n'osaient intervenir pour faire cesser
une action aussi condamnable; l'un d'eux,
pourtant, le plus âgé, interpella l'évoque:
— Comment, monseigneur, dit-il, vous laissez
commettre un crime semblable en votre pré-
sence? A quoi pensez-vous donc?
Le prélat, comme sortant d'un rêve, répondit
ingénument :
— Je pensais au plaisir que doit éprouver
à la fois par devant et par derrière celui de
■ces trois misérables qui se trouve placé entre
les deux autres.
177. Une guérison.
Une paysanne peu délurée avait coiffé sainte
Catherine depuis quelques années quand elle
éprouva certains malaises qui lui ôtèrent
l'appétit et la privèrent de sommeil, aussi
maigrissait-elle à vue d'œil. Elle s'en inquiéta,
«t, comme elle habitait dans le voisinage d'un
couvent de moines, elle s'en ouvrit à son con-
fesseur, lequel jouissait d'une santé florissante ;
il suait la graisse par tous les pores. Quand
sa pénitente lui eut narré ce qu'elle éprouvait,
156
COXTES PICAEDS
il lui recommanda de longues stations on de»
promenades en plein soleil dans le but d'em-
magasiner de la chaleur pour l'hiver. A quel-
que temps de là, aucune amélioration ne
s'étant produite dans l'état de la malade,
celle-ci alla trouver le gros moine et lui fit
part de son inquiétude croissante.
— Il est étonnant, lui dit-il, que vous
n'éprouviez pas un mieux sensible; je n'y
comprends rien. Regardez-moi et voyez:
comme cela me réussit. Vous devez être
d'uue constitution différente de la mienne. Il
faudra que je m'en assure; j'irai vous voir
chez vous demain.
Le lendemain, le fin matois, qui avait son
idée de derrière la tête, arriva chez sa naïve
pénitente; il la fit déshabiller complètement;
il la regarda attentivement des pieds à la
tête, puis il la palpa en différents endroits du
corps et lui fit faire quelques petits soubre-
sants involontaires ; à la suite de cet examen,
il lui dit:
— Je vois ce que c'est; vous n'êtes vrai-
ment pas constituée comme moi; vous allez,
en juger vous-même.
Se déshabillant à son tour, le paillard fit
voir à la rustaude qu'il était d'une conforma-
tion différente de la sienne.
CONTES PICABDS
157
— Vous avez deux trous, lui dit-il; la
chaleur entre par l'un et sort par l'autre; il
faut boucher l'une de ces ouvertures. Couchez-
vous sur votre lit, et vous vous étendrez sur
le dos; avec ce que j'ai là, ajouta-t-il en
montrant son membre qu'il agita, je boucherai
le trou du devant et votre guérison sera cer-
taine.
L'opération se fit à la satisfaction de l'un
■et de l'autre; la fille s'étonna même que le
bon père ne laissât point son tampon dans
l'ouverture. A quelques mois de là, elle s'aper-
çut que son corsage la serrait, et se vit obligée
d'élargir la ceinture de son jupon, ear elle
prenait chaque jour de l'embonpoint: elle
•était enceinte, et, dans sa naïveté, elle ne
s'en doutait pas. On en fit bientôt la re-
marque dans le village et les bonnes langues
se donnèrent libre carrière. A tous ceux qui
demandaient des nouvelles de sa santé à cette
simple d'esprit, elle répondait le plus sottement
du monde:
— A quoi tient tout de même la santé!
Tenez, regardez-moi; me voici maintenant
grosse comme quatre, après avoir été si
chétive qu'on n'aurait pas donné quatre sous
de ma peau. Sans le père Barnabe, qui m'a
158
CONTES PICAEDS
bouché Tun de mes deux trous, je serais
morte de langueur; aussi, je l'en remercie
tous les jours de grand cœur.
178. Est-ce un péché P
De tout temps, les femmes de certain village
voisin du mien ont été d'une dévotion outrée
і
quand il y avait une vacance de curé dans
leur pays, aucune d'elles ne manquait d'assister
aux offices du dimanche dans l'une des loca-
lités environnantes; était-il donné une mission
à deux lieues à la ronde, on les voyait chaque
soir se hâter vers la paroisse qui avait le
bonheur de posséder un missionnaire; elles
étaient avides d'entendre la bonne parole, et.
c'étaient elles qui formaient la majeure partie
du pieux auditoire. Un jour, dans l'une de
ces circonstances, une femme du village dont,
il s'agit se présenta au tribunal de la péni-
tence. Le confesseur l'interrogea longuement
sur son mari, lui demandant s'il était prati-
quant, s'il suivait les exercices de la mission..
— Hélas! non, répondit la femme; c'est
l'être le plus indifférent en matière de religion,
que l'on puisse rencontrer.
CONTES PICABDS
159
— Eh bien, dit le moine, il faut l'obliger
à venir à confesse. Remplit-il souvent ses
devoirs conjugaux?
— Pour cela, oui, mon père; si je l'écoutais,
il ne ferait pas d'autre métier; il est porté
sur l'œuvre de chair comme pas un.
— Dans ce cas, mon enfant, vous avez à
votre disposition un excellent moyen pour
l'amener à venir ici.
— Que dois-je faire?
— C'est de lui refuser le devoir conjugal
tant qu'il ne se sera pas confessé.
La bonne femme fit la grimace, parce qu'elle
allait ainsi se trouver de moitié dans la péni-
tence qu'elle imposerait à son mari. Mais elle
fit contre fortune bon cœur et promit d'em-
ployer ce moyen, espérant bien que le jeûne
ne serait point de longue durée. En effet, le
mari ne put supporter d'être tenu en charte
privée; dès le second jour, il dit à sa
femme :
— Je t'accompagnerai ce soir à l'office et
j'irai à confesse.
La femme battit des mains et se réjouit à
la pensée que leur mutuelle privation allait
prendre fin.
Quand l'homme se présenta au confessionnal,
le missionnaire lui fit subir un long inter-
160
CONTES PICAEDS
rogatoire; entre antres questions, il lui posa
celle-ci :
— Fraudez-vous le mariage?
, — Pour cela, non ; je n'ai jamais trompé ma
femme.
— Ce n'est point cela que je vous demande ;
vous ne comprenez pas ma question. Mettez-
vous tout dedans?
— J'ai essayé bien des 'fois de faire entrer
mes couillee; je n'ai jamais pu y parvenir.
Serait-ce donc un péché?
179. Au couvent.
Une jeune fille avait des relations avec un
garçon de son âge; ses parents, trouvant que
la situation de ce dernier était trop inférieure
à la leur, firent des remontrances à leur fille,
qui n'en tint nul compte. Pour la punir de
sa désobéissance, ils la placèrent dans un
couvent. A quelque temps de là, le jeune
homme quitta le pays et nul ne sut ce qu'il
était devenu, car il ne fit parvenir aucune
nouvelle à ses parents ni à ses amis.
Un an plus tard, le père et la mère de la
jeune fille allèrent trouver celle-ci et lui pro-
CONTES PICARDS
161
posèrent de revenir avec eux; elle lenr ré-
pondit qu'elle se trouvait heureuse au couvent
et qu'elle n'en voulait point sortir, ajoutant
que son seul désir était de prendre le voile.
Ses parents voulurent la détourner de ce des-
sein, mais plus ils insistaient pour la reprendre,
plus elle se montrait résolue à demeurer dans
un asile qui avait pour elle tant de charme.
Deux ans se passèrent sans que ses parents
pussent vaincre sa résistance. Or, un jour,
elle mit au monde un enfant. Ce fut un
véritable tollé dans la communauté. Les
sœurs ne pouvaient croire à un tel scandale;
puisqu'elles étaient strictement cloîtrées, com-
ment cet événement avait-il pu se produire?
Il fallait voir là l'œuvre du démon. Quand
la supérieure fut informée du fait, elle réunit
aussitôt son chapitre, qui était composé des
religieuses les plus âgées; elle leur fit con-
naître le motif de la réunion et les consulta
sur les suites à donner à cette grave affaire.
L'une de ces vieilles édentées proposa qu'avant
toute chose la supérieure devait passer une
revue attentive de toutes les sœurs de la
communauté; le démon seul était capable
d'avoir pris l'habit d'une religieuse pour
commettre le hideux péché de fornication et
damner aiusi l'une de leurs compagnes.
K{JV7tT. XI. 11
162
CONTES PICARDS
Cette proposition fat acceptée et la supérieure
fit prévenir immédiatement toutes les sœurs,
— sauf la jeune mère — que, le lendemain,
à l'issue de l'office du matin, elles eussent à
se rendre dans la salle capitulaire; dès
qu'elles y seraient entrées, elles se déshabil-
leraient complètement pour être passées en
revue. A cette nouvelle, l'une des sœurs fit
une horrible grimace, que personne ne re-
marqua, fort heureusement; cette sœur alla
tout de suite prévenir l'accouchée de ce qui
se passait.
— Nous sommes perdus! s'écria celle-ci.
— Ne crains rien, ma chérie, répondit la
première; il m'est venu une idée. Je sortirai
victorieux de cette épreuve.
Celle qui parlait ainsi n'était autre que le
père de l'enfant. Grâce à sa figure juvénile
et imberbe, il s'était fait passer pour une
jeune fille et avait pu ainsi se faire admettre
comme novice dans le couvent. Et ce qui
devait arriver arriva.
Pour la visite du lendemain, la pseudo-
religieuse s'attacha avec un fil très mince
qu'elle enroula autour de ses cuisses certaine
partie du corps, qui dénonçait son sexe; elle
s'y était si bien prise qu'elle comptait tromper
les regards de la mère abbesse.
CONTES PICABDS
163
Après la messe, tout le personnel de la com-
munauté se rendit dans la salle du chapitre.
Les religieuses se mirent dans un état com-
plet de nudité et se placèrent sur deux rangs,
à commencer par les plus âgées. La supérieure
ayant assujetti ses lunettes commença son
inspection en passant entre les deux rangs;
tous les regards étaient dirigés sur elle.
Tant qu'il considéra les vieilles vestales
décrépites, aux charmes flétris et même re-
poussants, le coupable ne trahit point son
sexe. Mais, lorsque la supérieure arriva vers
les jeunes sœurs, qu'elle examinait lentement
de la tête aux pieds tout en les palpant à
certains endroits du corps, le jeune homme, qui
suivait cette inspection d'un regard attentif, fut
comme ébloui à la vue de tant de trésors ; seins
fermes et rebondis, chairs neigeuses ou rosées
et le reste, tout fut détaillé par lui avec un
soin minutieux ; jamais occasion si belle n'avait
été rêvée par lui. Aussi, sans qu'il s'en ren-
dît compte tout d'abord, ce qu'il avait cru si
Ьіец dissimuler s'allongea et augmenta de
volume dans des proportions qui l'inquiétèrent
tout à coup. En ce moment, la mère supérieure
posa sa main sur la poitrine de la pseudo-
religieuse, puis elle la fit glisser jusqu'au
nombril ; elle allait la faire descendre plus bas
11*
164
CONTES PICAEDS
paroe que l'absence de tetons lui parut né-
cessiter un examen plus attentif; elle baissa
la tête afin de pouvoir s'assurer que son
soupçon était ou non justifié; elle n'en eut
point le loisir : le fil qu'avait passé la pseudo-
novice autour de sa cuisse se rompit en cet
instant et rendit la liberté au prisonnier, qui,
en se redressant violemment, projeta les lu-
nettes de la bonne supérieure sur le mur.
— Tiens, c'est une vit, dit celle-ci en sai-
sissant cet objet à pleine main; il y a plus
de trente ans que je n'en ai vu ni senti,
ajouta-t-elle en l'agitant vivement. Voilà le
coupable, mes filles.
La manipulation à laquelle se livra la
supérieure eut pour effet de provoquer une
ejaculation abondante. A cette vue, l'une des
jeunes religieuses, prise de pitié, s'écria:
— Voyez comme il pleure, mes sœurs;
pardonnons-lui en raison de l'horreur qu'il
manifeste de son péché.
180. Les deux dévotes.
Deux dévotes, — d'autres disent deux
nonnes, — qui ne voulaient point commettre
le péché de fornication, se livraient ensemble
165
à certain exercice qui ne leur procurait point
tout le plaisir qu'elles auraient voulu goûter.
Elles apprirent un jour qu'un marchand de la
ville tenait certain article qui a pour objet de
suppléer à ce qui manque aux femmes pour
l'acte de la génération. Elles se présentèrent
chez le marchand; l'une d'elles lui demanda
en longues périphrases s'il était vrai qu'il
vendait un engin destiné aux femmes pour un
usage intime. L'homme comprit enfin; il ré-
pondit:
— C'est un godemiché que vous désirez ; en
effet, je tiens cet instrument; mais j'en ai de
deux sortes: des français et des anglais.
Lequel de ces outils préférez-vous?
— Quelle est la différence qui existe
entre eux?
— Le godemiché français est gros et court,
tandis que le godemiché anglais est mince
et long.
Les deux dévotes se consultèrent à voix
basse pendant quelques instants, puis, celle
qui n'avait encore rien dit s'avança vers le
marchand et lui demanda:
— Pourriez-vons nous fournir un bon fran-
çais-anglaise?
166 CONTES PICAEDS
181. Chez le statuaire.
Pour la fête du patron de leur ordre, les
religieuses d'un couvent avaient résolu de
remplacer la statue de leur chapelle qui tom-
bait de vétusté. La supérieure se rendit chez
un statuaire en compagnie d'une jeune novice
remarquablement belle. En arrivant chez le
marchand, qui était absent, elles ne trouvèrent
que sa femme. La supérieure lui fit part de
l'objet de leur visite.
— En ce moment, dit la marchande, nous
avons justement un assortiment complet de
statues du saint que vous désirez vous pro-
curer en raison de sa fête qui est proche. Je
vais faire venir l'employé, qui vous accom-
pagnera dans le magasin.
Elle chercha après le jeune homme, qu'elle
ne trouva point; elle l'appela à plusieurs re-
prises, il ne répondit pas. Il était couché
avec la bonne dans le lit de celle-ci. Ayant
entendu la patronne qui montait l'escalier en
continuant de l'appeler, il craignit d'être sur-
pris par elle ; il se sauva vivement en chemise
en passant par une fenêtre qui donnait dans
l'atelier, et, de là, il se réfugia dans le maga-
sin, attendant que la bonne lui apportât ses
habits; à peine y était-il entré que la porte
CONTES PICABDS
167
s'ouvrait, livrant passage aux deux nonnes ; un
instant après, la marchande, qui était re-
descendue vivement, venait rejoindre ses clientes
pour les accompagner dans le magasin en
l'absence de son employé. Une idée subite
traversa l'esprit du jeune homme; il ôta sa
chemise, le seul vêtement qu'il portât sur lui,
et prit place entre deux statues, se gardant
bien de faire aucun mouvement.
La femme du statuaire conduisait les reli-
gieuses entre les rangées de statues et leur
en indiquait les prix; tandis qu'elle demeurait
avec la supérieure en face d'une statue qui
plaisait fort à cette dernière et qu'elles en
débattaient le prix, la novice s'avança jusqu'à
une statue dont le bras gauche retombait le
long du corps, tandis que le bas droit, à demi
relevé, faisait le geste de bénir ; la nonnette la
considéra attentivement pendant un instant,
car elle lui semblait bien différente de celles
qu'elle avait vues jusque-là; en effet, c'était
le garçon de magasin; elle s'en approcha et
passa doucement sa main sur ses hanches et
sur ses cuisses.
— Tiens, se dit-elle, elle vient d'être coulée
assurément, elle est encore chaude.
Elle continua de la caresser sur le ventre,
puis sa main se posa sur certain organe qui,
168
à ce doux contact, se mit à grossir et à se
dresser d'une façon rigide. A cette vue, la
novice, surprise, appela la supérieure, disant:
— Venez voir, ma mère; il y a ici ce qu'il
nous faut.
La supérieure se rendit à cet appel, mais,
à la suite d'un examen attentif, elle s'écria:
— Vous n'y pensez pas, mon enfant? Cette
statue n'est pas habillée.
— Nous l'habillerons nous-mêmes comme
nous l'entendrons.
— A quoi nous servirait cette espèce de
bâton? demanda la supérieure en désignant
le vit de l'employé.
— Б nous sera très utile pour y accrocher
nos chapelets.
181a* Variante.
I gny avoit enne fols un soldat qu'i passoit
au droit d'un couvent de filles. En rebeyant
pa-dessus ches murailles, il о vu enne béle
ma-sœur.
— Que béle fille! qu'i dit.
D'un bond, il о été à cote d'elle.
— Ah! mon Diu! quèche qu'os êtes? qu'a*
li demande.
— Taisez-vous! Je sut soldat. Je vous ai
vue pa-dessus ches murailles; éje vous ai
CONTES PICARDS
trouvée si béle que je n'ai point peu m'em-
péquer d'accourir icbi.
— Oui, mais, si o vous voyoit, savez-voua
qu'os iroites en prison?
— Jé le sais bien; aussi, laichez-me vous,
embracher et pi je m'en irai après.
Éche soldat il o embracbè le ma-sœur et pi
il o foit semblant de seuter pa-dessus ches-
murailles.
— Jé ne peux point nen venir à bout-
Quement que je sortirai d'ichi ? Éje sut perdu
si os né me muchez point quéque part.
— Jou que ch'est que je vous mettrai? Jé
ne sais mie.
— Mettez-me dens vo chambe; par nuit,,
éje m'en irai.
Éle ma-sœur a' n'o point osé dire nan;
ha foit qu'il ont passé le nuit ensanne. Éle
lendemain matin, ches ma-sœurs і sont venues
taper à se porte.
— Jou que jé me mucherai? qu'i demande
éche soldat.
— Vlo enne malle; mettez-vous dedens.
Éche soldat і s'est muchè dens le malle et
pi le ma-sœur al о ouvert ése porte. Omr
mais, tout d'un cœup, éche soldat, qu'il étoi
enchifernè, il о foit un gros atchi!
170
CONTES PICARDS
— Quoi qu'os entend dens le malle-lo? qu'i
<demande-té ches ma-sœurs.
Б ont levé che couvert et pi il ont vu che
soldat, qu'il étoit tout nu.
— Jésus! Marie! quoi que ch'est d'ho?
— Ch'est un nouvieu saint pour no capéle.
Ches ma-sœurs і se sont mis à Г1 aflatter
•en passant leus mains dessus li. D'un cœup,
sen bite і s'est redréchè fin roide.
— Ah! que béle invention! qu'i dite-té ches
ma-sœurs. Os porrons y ahoquer nos capelets
enter deux offices.
(Kryptadia, П, iss-134.)
182. La bouteille et son bouchon.
La supérieure d'un couvent, appelée à Paris
"pour les intérêts de sa communauté, se fit
accompagner par une religieuse. Le voyage
devait se faire en diligence. Avant de prendre
place, la première, rendue avisée par l'ex-
périence, avait eu la précaution de satisfaire
à certains besoins naturels; sa compagne, in-
souciante comme on l'est à son âge, négligea
d'en faire autant; elle ne devait pas tarder
.à s'en repentir. En effet, le véhicule roulait
depuis une heure à peine quand elle fut prise
CONTES PICAEDS
171
d'un petit besoin. La voyant bientôt se tordre,
la supérieure lui en demanda la raison; elle
la lui fit connaître.
— Ne vous retenez pas plus longtemps, mon
enfant, dit la bonne religieuse; nous sommes
seules ici; baissez-vous là-bas dans le coin,
et, à la grâce de Dieu.
C'est ce que fit lestement la jeune imprévoyante,
qui reprit ensuite sa place sur la banquette.
Au relais suivant, un voyageur, jeune encore,
de bonne mine, d'aspect goguenard, prit place
dans la diligence. Voyant le plancher mouillé,
il en fit discrètement la remarque.
— Ne faites pas attention, monsieur, dit la
vieille religieuse; c'est un peu de vin blanc
que, par maladresse, ma jeune compagne a
répandu; cela aurait pu tout aussi bien
m'arriver, d'ailleurs, car la bouteille est dé-
pourvue de bouchon.
Le voyageur accepta cette explication, mais,
regardant fixement la nonnette, il la vit
rougir; il sourit, et, à son air, on aurait pu
remarquer qu'il n'était point dupe du petit
mensonge si bien approprié à la circonstance.
Un instant plus tard, il bâilla à se démonter
la mâchoire, puis ses yeux se fermèrent et on
le vit pencher la tête, qui roula bientôt à
droite et à gauche: il dormait.
172
CONTES PICARDS
Tout à coup, la supérieure observa que la-
jeune novice ne quittait pas des yeux certain
endroit de la culotte du dormeur, assis en
face d'elle, et qu'elle paraissait même prendre
grand plaisir à ce spectacle. A chaque cahot
de la voiture, la braguette s'ouvrait de plus
en plus, à tel point que le vit du voyageur
se découvrit entièrement.
L'homme, qui dormait à poings fermée, et
ne se doutait de rien, se sentit secoué comme
un prunier: c'était la vieille religieuse qui
l'avait pris par l'épaule.
— Qu'y a-t-il donc? demanda le voyageur
en s'étirant et en ouvrant à demi les yeux.
— Voyez donc.
— Quoi?
— Ça, fit la supérieure en désignant seule-
ment du regard sa brayette.
— Ça?
— Mais oui, ça.
— C'est tout simplement ce qui vous manquait,
tout à l'heure, dit-il bas à l'oreille de la vieille
nonne.
— A moi, dites-vous?
— Certainement; c'est le bouchon de la.
bouteille renversée ici tantôt.
CONTES PICABDS
173
183. Trompé comme les autres.
On avait fait venir dans nn gros village
«des religieuses pour donner l'instruction aux
petites filles; deux d'entre elles étaient
chargées de ce soin et une troisième sœur
s'occupait de la cuisine et du ménage. Chaque
matin et chaque soir, elles se rendaient à
l'église pour y faire leurs prières; elles s'y
rencontraient presque toujours avec le curé
-qui, de plus, les voyait souvent aussi chez
cjles; or, ce dernier était jeune et ardent, et
l'une des religieuses était d'une beauté rare,
•que faisait encore ressortir sa guimpe, et, ce
qui ne gâtait rien, elle ne paraissait point
avoir froid aux yeux. Bref, ce qui devait
arriver arriva; le curé et la nonnette se
livrèrent à certain jeu que leur défendaient
cependant leurs vœux de chasteté. Ce com-
merce durait depuis quelque temps déjà quand
la sœur s'aperçut qu'elle était enceinte; afin
d'éviter tout scandale, elle disparut lorsqu'elle
se trouva sur le point de devenir mère. Le
euré et les deux autres sœurs donnèrent un
tout autre motif à son départ, disant qu'elle
était retournée à son couvent en raison de
son état de santé, qui était fort compromis
nar suite de trop grandes fatigues; ils ajou-
174
CONTES PICAEDS
tèrent qu'après un repos de quelques semaines,
elle viendrait reprendre ses fonctions.
Le bedeau, qui avait eu plus d'une fois
l'occasion de voir le manège des deux amou-
reux, ne fut point dupe des explications
données sur la cause du départ de la future
mère, dans le but de sauver les apparences.
Se trouvant un jour chez les sœurs, où il
était employé parfois pour les gros travaux
et pour l'entretien du jardin, il conversa avee
la cuisinière et lui parla de l'absente; il in-
sinua que sa maladie n'était point grave, et
qu'elle serait guérie au bout de trente-six
mercredis. Son interlocutrice fit mine de
ne point comprendre; alors, le bedeau mit
carrément les pieds dans le plat, disant
que la religieuse était partie faire ses
couches.
A ces mots, la cuisinière, scandalisée, mon-
trant un grand Christ accroché sur le devant
de la cheminée, s'écria animée d'une sainte
colère :
— Voilà notre époux. Comment voulez-
vous, pauvre imbécile que vous êtes, que
semblable chose se soit produite?
Mais le bedeau, qui avait soupçonné l'un
des curés précédents d'être le père de son
premier enfant, venu au monde après cinq
CONTES PICARDS
17*
mois de mariage, se jeta à genoux en face du
Christ et dit à haute voix:
— Ah! mon Dieu, si vous êtes le mari de
ces femmes, je vois que vous êtes trompé
tout aussi bien que nous.
184. La gloire de père Claude.
L'abbesse d'un couvent avait fait venir
auprès d'elle l'une de ses nièces, jeune per-
sonne de dix-huit ans, qui avait des dispo-
sitions remarquables pour le dessin et les
beaux-arts; elle montrait un véritable talent
pour la sculpture; sa tante, loin de la dé-
tourner de sa vocation, lui fit donner de&
leçons par un artiste de grand mérite. Son*
instruction terminée, la jeune fille exécuta
pour la chapelle du couvent un enfant Jésus
qui devait être exposé dans une crèche &
l'occasion de la Noël prochaine. Lorsque son
œuvre fut achevée et mise en place, les bonnes
sœurs vinrent la considérer; elles admirèrent
l'exécution parfaite du divin enfant. Or,
l'évêque étant venu, sur ces entrefaites visiter
le couvent, la mère abbesse lui fit un éloge
pompeux de sa nièce et lui offrit de lui faire
176
CONTES PICARDS
voir l'enfant Jésus qu'elle venait d'exécuter.
Le prélat accepta volontiers ; il suivit l'abbesse
dans la chapelle, où toutes les religieuses et
l'artiste elle-même les rejoignirent un instant
après. A la vue de cette œuvre vraiment bien
exécutée, l'évêque ne tarit point en éloges sur
les aptitudes réelles de la jeune fille; il dé-
tailla les unes après les autres toutes les
beautés de ce morceau de sculpture.
— Votre œuvre est tout simplement ravis-
sante, mademoiselle, dit-il à la jeune artiste;
vous êtes douée d'un beau talent, et je vous
•en fais mes compliments bien sincères; votre
tante peut être fière d'avoir cultivé vos heu-
reuses dispositions.
Et, se tournant vers l'abbesse, le prélat lui
dit à mi-voix, mais pas assez bas cependant
pour n'être point entendu de toute l'as-
sistance :
— L'exécution est irréprochable, il est vrai,
mais il manque quelque chose; ne trouvez-
vous pas?
L'abbesse baissa les yeux et ne répondit
point; toutes les sœurs jetèrent à la dérobée
un regard sur la jeune fille et un vague
sourire erra sur leurs lèvres. L'artiste, dans
sa candeur de vierge, ignorait le sens de cer-
tain passage du Nouveau Testament parlant
CONTES PICABDS
177
-da Dien fait homme : son enfant Jésns n'avait
point de sexe.
La jeune fille commença par consulter sa
tante puis chacune des religieuses pour savoir
d'elles ce qui manquait à sa statue; les unes
lui firent des réponses évasives, les autres
gardèrent un silence prudent ; elle se creusait
la tête sans parvenir à pouvoir se rendre
■compte de ce qui pouvait manquer à la statue,
lorsque, par le plus grand des hasards, elle
entendit deux religieuses qui faisaient des
gorges chaudes sur son omission.
— Peut-on représenter l'enfant Jésus sans
«a gloire? disait Tune.
— Elle n'aura jamais vu celle du père
Claude, répondit l'autre.
Ce fut une révélation pour la jeune fille,
^ui courut trouver père Claude, le jardinier;
c'était un fort gaillard, encore vert, bien
qu'il fut âgé de plus de soixante ans; tout
en le cajolant, elle le questionna fort habile-
ment.
— Vous avez vu mon enfant Jésus? de-
manda-t-elle.
— Oui, mademoiselle; il est beau.
— On me reproche cependant de l'avoir re-
présenté d'une façon incomplète.
— C'est bien possible.
Kqvtct. XL 12
178
CONTES PICAEDS
— Que lui manque-t-il donc? Dites-le-moi,,
je vous en prie.
— Je n'oserai jamais, mademoiselle.
— Vous préférez que Гоп se moque de mov
sans doute, dit la jeune fille en pleurant à.
chaudes larmes.
Le jardinier, ému de la douleur de la nièce
de l'abbesse, essaya de calmer sa peine; rien»
n'y fit.
— Mademoiselle, dit-il enfin, ce ne serait
peut-être pas convenable de ma part que de
vous apprendre en quoi consiste la chose qui
manque.
— Oh! père Claude, puisque vous savez ce-
que j'ai omis, faites-le-moi connaître, je vous
en supplie.
— Je ne demanderais pas mieux pour toute
autre personne; mais, objectait le vieux jar-
dinier, si madame l'abbesse apprenait que je-
vous ai renseignée à cet égard, cela me-
coûterait cher assurément, soyez-en sûre.
— Je vous jure que je ne le révélerai à.
personne. Vous pouvez être sans crainte, ma.
tante ne le saura jamais.
— Je n'ose vraiment pas vous montrer la.
chose qui manque.
— Mais si, bon père Claude, montrez-la-moi
tout de suite; je dirai que je l'ai vue par
CONTES PICABDS
179
hasard ... Oh ! aidez - moi à parfaire mon
œuvre; je vous ferai tout le bien possible
auprès de ma tante.
— Ma foi, tant pis et à la grâce de Dieu!
dit le père Claude comme se parlant à lui-
même. Puisque vous le voulez absolument,
je vais vous montrer ce qui manque à votre
enfant Jésus.
Déboutonnant sa culotte, le vieux jardinier
découvrit son membre, qu'il fit voir à la jeune
fille pendant la durée d'un éclair.
— C'est ce qu'on appelle une gloire?
— C'est un ... ; oui, mademoiselle, c'est ce
qu'on appelle la gloire de l'enfant Jésus.
— Oh! merci, père Claude; je suis sauvée!
Est-ce que vous l'avez aussi montrée à sœur
Thérèse et à sœur Monique?
— Pourquoi?
— Elles en parlaient entre elles tout à
l'heure.
Sans attendre une réponse fort embarras-
sante assurément, la jeune artiste s'enfuit
précipitamment et paracheva de mémoire son
œuvre, qui fut désormais irréprochable.
Le lendemain, la mère abbesse et les reli-
gieuses allèrent s'agenouiller autour de la
crèche. Tandis qu'elles étaient en oraison,
la jeune fille vint soulever le voile blanc qui
12*
180
CONTES PICAEDS
recouvrait Гenfant-Dieu ; l'abbesse et les sœurs
levèrent les yeux et, devenant rouges comme
des cerises, elles s'écrièrent toutes en même
temps.
— Ah! mon Dieu! c'est tout à fait la
gloire de père Claude!.. !
La mère abbesse marmotta entre les dents:
— Oh! la petite polissonne!... Qui aurait
cru cela?
185. Un petit mal élevé.
Quatre marguilliers furent un jour chargés
par le curé de la paroisse de se rendre à la
ville voisine pour y acheter une statue repré-
sentant l'enfant Jésus. C'était la veille de
Noël. Quand ils furent arrivés chez le sculp-
teur, celui-ci leur montra ce qu'il avait de
mieux, mais ils trouvèrent que les prix étaient
trop élevés; comme ils tardaient par trop à
faire leur choix et qu'ils retenaient le sta-
tuaire dans son magasin en le marchandant
outre mesure, ce dernier résolut de les mysti-
fier; il leur dit:
— Revenez vers la chute du jour, je vous
livrerai une statue qui ne vous coûtera pas
le quart de celle qui vous plaît le mieux parmi
celles-ci.
CONTES PICARDS
181
Cette proposition rut acceptée. Le statuaire
se mit à l'œuvre aussitôt après le départ des
quatre paysans. Il gelait à pierre fendre de-
puis dix jours; l'artiste se procura aisément
un bloc de glace dans lequel il tailla une
statue qu'il livra à un prix dérisoire. Ses
clients arrivèrent à l'heure dite pour prendre
livraison de l'enfant Jésus, qu'ils admirèrent,
tout en se félicitant de l'avoir obtenue à si
bon compte, bien qu'elle fût un peu petite;
ils la déposèrent dans leur voiture et reprirent
• le chemin de leur village. A mi-chemin, ils
s'arrêtèrent à la porte d'un cabaret pour se
réchauffer, car ils étaient transis par le froid ;
ils rencontrèrent là des consommateurs de
connaissance avec lesquels ils entamèrent une
partie de cartes en buvant un grog chaud
qu'ils s'étaient d'abord fait servir. Tout à
coup, l'un des marguilliers dit aux autres:
— Il ne faut pas ne penser qu'à nous.
Tandis que nous nous trouvons si bien ici,
notre pauvre petit bougre souffre du froid
dans la voiture.
— Tu as raison, répondit un autre; allons
le chercher.
C'est ce qu'ils firent tont de suite. Ils le
descendirent de la voiture et le portèrent dans
un lit qu'ils firent bassiner au préalable par
182
CONTES PICAEDS
la cabaretière; cela fait, ils le couvrirent
soigneusement. Désormais sans inquiétude,
les quatre marguilliers reprirent leurs cartes,
et de nombreuses parties succédèrent les unes
aux autres. Lorsqu'ils jugèrent que l'heure
était venue de repartir, ils se levèrent pour
aller reprendre leur statue; mais quel ne fut
pas leur étonnement en relevant les couver-
tures de n'apercevoir plus qu'une tache d'eau
au milieu des draps.
— Il a pissé au lit! s'écria l'un d'eux.
— Et il en a été tellement honteux, ajouta
un autre, qu'il s'est sauvé par la cheminée.
— Avec un petit mal élevé comme celui-là,
dit le troisième, il fallait bien s'attendre qu'il
nous ferait de vilaines farces. Avez-vous re-
gardé au moins s'il n'a pas chié?
— Nous aurions dû mettre quelque chose
de plus, conclut le quatrième ; nous aurions eu
un enfant rassis qui ne nous aurait pas joué
un tour pareil.
186. Un crucifix femelle.
Des marguilliers décidèrent un jour l'achat
d'un crucifix destiné à l'église pour remplacer
un vieux crucifix qui tombait de vétusté; ils
votèrent à cet effet une somme de dix francs;
CONTES PICABDS
183
ils chargèrent un cultivateur du village qui
devait aller vendre son blé à la ville le
samedi suivant de leur rapporter un crucifix
ne coûtant point plus de dix francs et lui
remirent cette somme. Arrivé chez le sta-
tuaire, le commissionnaire ne trouva point de
crucifix de ce prix. Le marchand lui proposa
de lui en vendre un de neuf francs et de lui
•en fournir un second plus petit coûtant deux
francs, ajoutant qu'il ne les lui ferait payer
•que dix francs. Le paysan, croyant faire un
marché avantageux, accepta. Les deux cruci-
fix furent empaquetés soigneusement, et, à son
retour, le cultivateur porta son paquet chez
le président du conseil de fabrique; celui-ci fit
aussitôt prévenir les marguilliers d'avoir à se
réunir chez lui le lendemain matin avant la
messe pour assister à l'ouverture du paquet.
Aucun d'eux ne fit défaut; quand ils furent
tous présents, le président enleva la ficelle et le
papier. Mais quel ne fut pas l'étonnement des
bons marguilliers en apercevant deux crucifix.
— Ah! l'imbécile, s'écria le président, il
nous a rapporté un crucifix femelle. En voilà
•du beau; elle a déjà fait un petit; elle est
fichue d'en emplir notre église en peu de temps
si l'on n'y met pas bon ordre. J'ouvrirai l'œil.
184
CONTES PICARDS
187. Fris à son propre piège.
Une bonne, entrée depuis peu de jours an
service d'un vieux curé, se trouvait à ses
fourneaux quand elle entendit son maître, qui
lisait le journal dans la salle à manger, lâcher
un pet à faire tomber les vitres.
— Tiens, se dit la servante, puisque mon-
sieur le curé prend ses aises, j'aurais bien
tort de me gêner.
Là-dessus, elle répondit au pet de son
maître par un pet non moins sonore.
— Ah! vous pêtez aussi? fit le curé en
accourant vivement à la porte qui séparait la
salle de la cuisine et qui se trouvait toute
grande ouverte.
— Croyez-vous être unique péteur au
monde? Vous vous soulagez dans votre salle,,
je ne saurais vous en blâmer; je me soulage
dans ma cuisine, vous seriez mal venu à voua
en offenser. La cuisine est à moi, vous me le
répétez assez souvent lorsque, pour vous dé-
barrasser de ma personne, vous m'y renvoyez,
pour m'assnrer si vous y êtes.
— Bon, bon ; ne nous fâchons pas et pétez,
à votre aise, ma fille.
Le soir, après le souper, le curé, qui avait
mangé des haricots à ses deux repas, éprouva
CONTES PICARDS
185-
le besoin de se soulager par en bas. L'idée
lui vint de proposer un pari à sa servante.
— Celui de nous deux qui pétera le plus-
fort, proposa-t-il, gagnera cinq sous.
La gageure fut acceptée et les enjeux mis
sur la table. La domestique plaça à côté une-
assiette qu'elle avait remplie de son. C'est le
curé qui ouvrit le feu. Dès qu'il sentit qu'un
pet allait s'échapper, il releva vivement sa-
soutane, déboutonna sa culotte et pourth! il
lâcha un pet bien conditionné, qui fit voler de
l'assiette plus de la moitié du son.
— Je gagnerai, dit-il, car vous n'en en-
lèverez pas autant à coup sûr, ma fille.
— C'est ce que nous verrons, répondit la bonne.
Un instant après, celle-ci, relevant ses ju-
pons et sa chemise, péta au-dessus de l'assiette;
elle y mit tant de force et surtout de science
qu'il ne resta plus un atome de son.
— J'ai perdu, s'écria le curé désappointé.
Mais un soupçon lui traversa l'esprit; s'em-
parant du chandelier, il l'approcha du derrière
de sa bonne, qu'il regarda attentivement, parce
que celle-ci continuait de le tenir à découvert.
Rajustant ses lunettes et baissant la tête, iL
regarda de tout près.
— Ce n'est pas malin, dit-il; vous avez,
triché, car vous avez deux trous.
U86
CONTES PICAEDS
187 a. Variante.
I gny avoit un curè qu'il avoit un moyen
-dé ne point poyer ses servantes. I s'zé pren-
doit pour un mois, à condition qu'au bout dé
che tans-lo si le servante al avoit pétè pu
fort éque li al seroit granmen poyèe, tandis
-que si al pétoit moins fort, і le renvoieroit
sans li donner un sou. Il étoit déjo venu des
fémes éde tous les cotes; point unne n'avoit
peu réussir à péter pu fort que che curè.
Enne fois, il est arrivé enne féme à che
prébytère.
— Quoi qu'os volez? qu'i demande monsieu
le curè.
— Éle plache dé le servante qu'os venez de
'renvoyer.
— Est bien... I gny о des conditions.
— Jé s'zé connois. Ch'est pour péter, no
point? J'accepte.
— Si ch'est ho, os allons mette dé le frinne
-dens deux assiéte, tant dens l'unne éque dens
l'eute; os essaierons tout de suite.
— D'accord! monsieu le curè.
Quant tout о ieu 'tè prêt, monsieu le curè
і s'est mi au-deseur d'enne assiéte. Brrr, ...
il о soufflé le mitan dé le frinne. Ho foit, le
féme al s'est mi sen driére dessus le deuxième
CONTES PICARDS
187
Ässiete; al o soufffè tout le frinne et pi ber-
•zillè l'I assiéte. Éche curé, fin saisi, il o volu
rebeyer à che cul dé le féme.
— A malaise, qu'i dit, os avez deux treus
=à vo soufflet, mi jé n'n ai qu'un.
(Kryptadia, H, 126-127.)
188. Commodités perfectionnées.
Un curé ayant été informé par le vicaire
•géaéral qu'il recevrait chez lui l'évêque à
l'occasion de la confirmation se rendit le len-
demain à l'évêché dans le but de s'entendre
avec le prélat sur les dispositions à prendre
à cet égard. L'évêque le retint à déjeuner.
Avant de quitter le palais episcopal, le curé
se fit indiquer les lieux d'aisances; un domes-
tique l'y conduisit. En pénétrant dans ce petit
endroit, d'une excessive propreté, où tout était
brillant, luisant, et où se trouvaient sous la
main tontes choses nécessaires aux usages
intimes, l'homme de Dieu se trouva amené à
•établir une comparaison entre ces lieux et les
siens. Les commodités de son presbytère,
établies à l'extrémité du jardin, étaient tout
•a fait rudimentaires ; elles consistaient en un
188
CONTES PICARDS
trou peu profond entouré de quelques bottes-
de paille maintenues debout à l'aide de quatre
ou cinq pieux.
Rentré chez lui, le curé fit appeler le me-
nuisier et le chargea de confectionner une
sorte de guérite à usage de lieux d'aisances-
suivant le plan qu'il lui en remit. Quand cette
construction fut mise en place, le curé fit venir
son bedeau et lui dit:
— Monseigneur viendra ici demain ; j'ai fait
faire exprès pour lui ces commodités qui, cer-
tainement, n'ont pas l'élégance de celles de
l'évêché. Mais je veux qu'elles offrent un
avantage de plus. Voici ce que j'ai imaginé..
En se levant de table, monseigneur viendra
sans nul doute se recueillir ici, car je ferai
faire à mes convives un repas à chier partout.
Tu viendras à l'avance te placer au-dessous
de cette guérite en prenant la précaution de
ne pas te laisser voir. Tu t'accroupiras sous
le siège, et, quand tu verras que monseigneur
ayant satisfait à la nature se disposera à se
lever pour... s'essuyer, tu ne lui laissera*
pas prendre la peine de faire cette be-
sogne; avec ce gros pinceau très doux,,
que tu tiendra? à la main, tu lui essuieras
très proprement le derrière. Tu as bien:
compris ?
CONTES PICARDS
189
— Ce sera fait comme vous le désirez, mon-
sieur le curé; soyez sans inquiétude, je saurai
тетрііг la mission de confiance dont vous voulez
bien me charger.
Lorsque l'évêque pénétra dans la guérite,
le bedeau se trouvait à son poste, le pinceau
à la main, comme le soldat sous les armes.
Il supporta courageusement sans broncher
quelques sonores pétarades, et assista avec
non moins de calme à la chute de ce qui
suivit aussitôt. Monseigneur ayant terminé
fit un mouvement pour se lever; il sentit
qu'on lui essuyait le derrière fort doucement
et avec une grande précipitation.
— Tiens, pensa-t-il, voilà pourquoi je n'avais
pas trouvé de papier ici; on est torché auto-
matiquement. C'est une invention que je veux
•connaître pour pouvoir faire établir ce système
à l'évêché.
Pour s'en rendre compte, le prélat se leva
vivement et fit volte-face; il baissa la tête
jusqu'à la lunette, mais il n'eut le temps de
rien voir: le bedeau, toujours en faction, ne
•distinguant pas nettement dans la demi-ob-
scurité où il se trouvait et pensant que l'évê-
que ne se croyait pas suffisamment nettoyé, lui
passa avec plus de force le pinceau sur la...
ügure. _
190
COMTES PICABDS
189. La patène brisée.
Б y avait une fois un pauvre curé dans un
chétif village qui n'avait dans son église dé-
labrée que le strict nécessaire comme objets
religieux pour le service divin, et encore ces
objets étaient-ils d'aspect primitif, de matière-
inférieure et de confection grossière. Ainsi,,
la patène était en terre vernissée; par suite-
de chocs répétés, elle était ébréchée sur tout
son pourtour. Un jour, le bedeau, qui était
d'une maladresse insigne, laissa tomber la
patène par terre; elle fut réduite en mor-
ceaux. Après l'accident, le bon curé dit à.
mi-voix :
— Ma pauvre patène! Que vais-je faire
maintenant? Que ferai-je embrasser? Mon cul?
180. L'eau bénite.
Le jour de Pâques, un curé étant entré dans
son église avant la messe ne fut pas peu sur-
pris de voir dans le bénitier toute autre chose
que de l'eau bénite. Un enfant de chœur
avait négligé de fermer la porte ; profitant de-
cette circonstance, un âne en liberté qui
CONTES PICAEDS
191
rôdait par là s'était introduit dans l'église ; trou-
vant de l'eau bien claire dans le bénitier, il se
désaltéra et but le liquide jusqu'à la dernière
goutte; se tournant ensuite pour sortir, il
projeta dans le bénitier le contenu de ses in-
testins. C'est à la vue de ce sacrilège que le
curé sentit monter une sainte colère, qu'il
manifesta en faisant son prône.
— Avec quoi ferai-je maintenant l'aspersion ? *
s'écria-t-il.
— Avec des crottes de baudet, répondit tout
haut l'un des assistants au grand scandale
des dévotes.
191. Prédicateur resté court.
Chaque année, une affluence considérable de
pèlerins se rendent à la chapelle de saint Vast
dans certain village de Picardie; les mères y
portent leurs enfants pour obtenir du bien-
heureux que leurs nourrissons marchent de
bonne heure. Rien de pittoresque comme le
spectacle de cette véritable pouponnière; on-
y voit des bébés de quelques mois attachés au
sein des mères toutes dépoitraillées; d'autres,.
plus âgés, sont traînés dans des voiturettes
ou des berceaux de toutes formes et de toutes-
192 CONTES PICARDS
-dimensions, ayant servi souvent à plusieurs
générations. De petits marchands établis en
plein air autour de la chapelle vendent des
bonbons, du pain d'épices, des gâteaux et
autres friandises à bon marché douées surtout
de propriétés laxatives. Il faut voir comme
les mères en bourrent leurs poupards; aussi,
les effets ne tardent pas à s'en faire sentir.
Pendant la messe, les petite gourmands se
soulagent dans tous les coins sous l'œil bien-
veillant et avec l'aide de leur maman.
Entre la messe et les vêpres, le bedeau a
pour mission d'approprier le saint lieu, ce qui
n'est pas une mince besogne; il s'acquitte
néanmoins de cette corvée avec tout le zèle
dont il est capable, d'autant qu'il retire tou-
jours des profits sérieux de ce pèlerinage.
Armé de son balai, ce bas officier fait dis-
paraître les produits laissés par les jeunes
foirenx. Or, un jour, il aperçut quelques
grains de poussière sur le rebord de la chaire;
sans se donner la peine de monter, il leva son
balai, tout enduit de matière fécale et le passa
sur la chaire dédaignaut de s'occuper du reste.
Aux vêpres, un prédicateur réputé pour son
éloquence, devait prononcer un sermon sur
les mérites du patron. Quand il fut monté
•dans la chaire, il posa ses mains fines et
CONTES PICARDS
193
Planches sur le rebord et débuta en ces
termes :
— Mes frères, ce pèlerinage...
Sentant une matière grasse à sa main droite,
il la regarda et reprit:
— Mes frères, ce pèlerinage ...
Agacé par ce qu'il sentait à sa main, il la
regarda de nouveau, et, pour être fixé sur la
nature de ce vernis, il la porta instinctive-
ment à son nez, disant sur le même ton:
— C'est de la merde!
Il ne continua pas et dut descendre sous les
éclats d'un fou rire qui s'était emparé de son
auditoire.
192. Un miracle.
Un jeune curé, nouvellement arrivé dans
une paroisse, résolut, la première année, de
donner à la fête patronale le plus grand
éclat possible. Plusieurs jours à l'avance,
toutes les dévotes de la paroisse offrirent leur
concours au curé pour un nettoyage complet
de l'église, ce qui fut accepté. Afin d'épous-
seter le plus consciencieusement du monde la
statue du patron, l'une des dévotes l'inclina
trop en avant, et, manquant de forces, elle la
Kçvnx. XI. 13
194
COMTES PICABDS
laissa choir; le plâtre se brisa en mille mor-
ceaux; aussitôt, toutes les assistantes pous-
sèrent des cris de désespérées et daubèrent
la maladroite, qui ne savait à quel saint se
recommander. La bonne du curé, qui était
la plus furieuse, courut au presbytère prévenir
son maître de l'accident qui venait de se
produire.
— Qu'avez-vous fait, malheureuse? s'écria
le prêtre en voyant à son entrée dans l'église-
les débris de la statue gisant sur les dalles.
C'est demain la fête de notre glorieux patron;,
il est trop tard pour commander une nouvelle-
statue au fabricant d'Amiens. Qu'allons-nous
donc faire?
L'une des assistantes, la mieux avisée de la
bande, suggéra cette idée:
— Ne vous tourmentez pas, monsieur le curé,
dit-elle; j'ai votre affaire. Le berger commu-
nal ressemble à notre ancienne statue comme
deux gouttes d'eau; allez le voir, et, s'il y
consent, vous l'habillerez en évêque et vous
le placerez demain dans cette même niche
pendant la durée des offices. Personne ne
s'apercevra de la substitution.
Ne voyant point d'autre parti à prendre, le
curé alla trouver le berger, qui accepta de
tenir la place du patron moyennant dix francs
CONTES PICARDS
195
et à dîner, — ce qui lui fut accordée. Le
lendemain, avant la messe, le berger, revêtu
d'habits épiscopaux était installé dans la niche
réservée à la statue du patron; il reçut pour
consigne de ne pas bouger.
En entrant dans l'église, les dévotes- des
villages environnants, qui n'étaient point dans
le secret, jetèrent un regard à la dérobée sur
la nouvelle statue du patron, et, tout en mar-
mottant leurs prières, se signalèrent les unes
aux autres la brillante statue tout flambant
neuf qu'elles voyaient pour la première fois.
À l'issue de la messe, après que tous les
fidèles eurent quitté l'église, on aida le berger
à descendre de la niche; il fut vivement féli-
cité pour la parfaite immobilité qu'il avait
observée durant l'office. Il suivit le curé et
tous les invités au presbytère; à .table, il
mangea bien et but mieux ; jamais il ne s'était
vu à pareil festin.
Replacé dans la niche avant la sonnerie des
cloches pour annoncer les vêpres, le berger
reçut les instructions du curé, qui lui répéta
de se tenir immobile jusqu'au moment où il
entendra le prédicateur s'écrier: „Glorieux
patron, bénis tes fidèles!" En cet instant, il
devra étendre le bras droit et faire le geste
que fait le prêtre à l'aspersion de l'eau bénite.
13*
196
CONTES PICARDS
Tout alla pour le mieux pendant la première
partie du sermon; mais le berger ne tarda pas
à être incommodé par le soleil, qui vint
luire sur sa figure; les mouches, attirées par
les sucreries du dessert restées collées sur la
barbe du faux patron furent pour ce dernier
un second supplice ; il enfreignit plusieurs fois
la consigne en faisant de petits gestes furtifs
et rapides pour chasser les insectes incom-
modes. Enfin, un troisième supplice vint
s'ajouter aux deux autres: il éprouva un
irrésistible besoin de pisser; ma foi, il ne se
contint pas; il se mit en devoir de le satis-
faire sous ses longs vêtements épiscopaux, se
disant que personne ne s'en apercevrait; il
pissa juste au moment où le prédicateur
s'écriait: ^Glorieux saint, bénis tes fidèles!"
Cela ne pouvait mieux tomber. Toute l'as-
sistance, qui croyait recevoir une véritable
aspersion d'eau bénite, s'écria: „Miracle!
Miracle !" Content de son stratagème, le prédi-
cateur criait encore plus fort que ses audi-
teurs. Mais le berger, ne pouvant résister
plus longtemps à un second besoin tout aussi
impérieux que l'autre, riposta ainsi:
U n'y a ni miracle ni miracula:
Si voue ne me descende! pas,
Je chierai là.
197
Comme on ne le descendit point, il chia.
Les dévotes se précipitèrent aux pieds du
saint et recueillirent chacune une parcelle du
cas du bienheureux qu'elles gardèrent comme
relique.
193. Le dindon de la farce.
Un bon curé de campagne disait sa messe
un jour de la semaine. Un artiste peintre, de
passage dans le pays, voyant la porte de
l'église ouverte, pénétra à l'intérieur sans
faire de bruit. Remarquant le prêtre à l'autel,
il attendit en silence que la messe fût dite
pour visiter l'église. Le curé ne l'avait ni vu
ni entendu; il savait que, suivant l'habitude,
aucun de ses paroissiens n'assistait aux messes
de la semaine, surtout pendant la moisson,
aussi ne prit-il point la peine de se retourner
avant que de donner la liberté a un vent qu'il
retenait prisonnier depuis un instant. Stupéfié
d'un pareil sans-gêne, le voyageur partit d'un
immense éclat de rire et riposta par un pet
non moins éclatant. Le curé ne broncha pas;
il acheva de dire sa messe et se rendit ensuite
dans la sacristie; après qu'il eut retiré sa
chasuble et son surplis, il congédia l'enfant
198 CONTES PICABDS
de chœur et il revint dans l'église; il se dirigea
vers l'étranger.
— Vous ne vous gênez point, l'ami, dit-il
avec vivacité.
— Il me semble que vous-même...
— Vous n'êtes pas chez vous, ici ; vous êtes
chez moi. Vous n'avez point la prétention,
j'espère, de m'interdire d'y faire ce qui me
convient.
La discussion, s'échauffant, le curé s'écria:
— Après tout, s'il me plaisait de chier au
milieu de l'église ce n'est pas vous qui m'en
empêcheriez.
— Ah! monsieur le curé, je crois bien que
vous vous vantez-là d'une chose que vous
n'oseriez faire.
— Voulez-vous parier?
— Volontiers. Si vous faites la chose comme
vous le dites, je vous offrirai un calice ou tel
autre objet du culte que vous préférerez.
— Va donc pour un calice.
Le curé leva sa soutane, déboutonna sa cu-
lotte et vida ses intestins sur le pavé de
l'église. Cette belle besogne achevée, il se
releva, et, désignant du doigt le produit qu'il
venait de déposer, il s'écria victorieuse-
ment:
CONTES PICAEDS
199
— Eh bien, mon brave homme, vous avez
éperdu. J'ai chié au milieu de l'église. Vous
me devez un calice.
— Un instant, monsieur le curé, je tiens à
^vérifier la chose, répondit flegmatiquement
l'artiste peintre.
— U n'y a aucun doute, j'imagine; le cas
•est visible.
— J'en conviens, mais vous avez avancé
que vous feriez la chose au milieu de l'église ;
je tiens à m'assurer que l'affaire occupe bien
la partie centrale.
Tirant aussitôt une ficelle de sa poche, le
Toyageur mesura sur la gauche, puis sur la
droite, et constata que le curé n'avait point
•déposé sa marchandise au milieu de l'église.
— Je ne vous dois rien, monsieur le curé,
.s'écria le voyageur ; vous avez souillé le saint
lieu en pure perte.
Et l'homme s'esquiva en ricanant, tout
joyeux de la mine déconfite du curé.
194. Curé qui vêle.
Le jour de l'ouverture de la chasse, un curé
qui desservait une annexe s'y rendit comme à
l'habitude pour y dire la messe ; il arriva quel-
200
CONTES PICARDS
que peu en retard, aussi, pour ne point faire
attendre plus longtemps les fidèles, revêtit-il
ses ornements en grande hâte. Il sortit de la
sacristie et monta vivement à l'autel ; la messe
commença. Les deux enfants de chœur qui
servaient la messe s'agenouillèrent au pied de
l'autel, l'un à droite, l'autre à gauche. Le
plus jeune des deux, qui remplissait ces fonc-
tions pour la première fois, eut son attention
attirée par une sorte de bosse que M. le Curé4
portait par derrière ; il ne pouvait en détacher
ses regards et il se demandait intérieurement
quelle en pouvait être la cause. Au moment
de l'élévation, le curé posa ses avant-bras sur
l'autel et s'inclina, récitant à voix basse les
prières consacrées. Tandis qu'il gardait cette
position, le plus grand des enfants de chœur
allongea la main gauche pour soulever le bas
de la chasuble du prêtre, tandis qu'avec la
main droite il agitait vivement une clochette.
L'autre enfant de chœur se baissant aussi bas-
que possible, jeta un regard sous la soutane
de M. le Curé; il aperçut deux pattes et un
museau ; se levant vivement, il courut aussitôt
vers la porte de l'église ; arrivé sous le clocher,
il aperçut le maréchal, qui assistait à la messe;
il alla le trouver à sa place, lui disant tout
haut:
CONTES PICARDS
201
— J'allais justement chez vous.
— Pourquoi faire, mon enfant?
— Vous ne voyez donc pas que M. le Curé
se trouve mal? Il se tient appuyé sur l'autel
parce qu'il souffre ; il va vêler . ..
— Que dis-tu là?
— Oni, oui, j'ai vu les deux pattes de devant
et le museau du veau.
Ce que l'enfant avait vu c'était un lièvre
que le curé avait trouvé sur son chemin en
se rendant à son annexe. Pour que l'on n'en,
sût rien, il l'avait caché sous sa soutane, et,
comme il n'avait point voulu le laisser voir
dans la sacristie aux chantres ni aux enfants
de chœur, il l'avait gardé sous sa soutane
pour dire la messe.
195. L'Anguille.
Un curé s'était rendu à la rivière le jeudi
saint dans l'après-midi avec l'espoir de prendre
quelques poissons pour son repas du lendemain ;
mais il fit chou blanc. Le soir venait rapide-
ment et l'heure du salut approchait; le saint
homme se dépitait; il se résigna enfin, mais
de fort mauvaise grâce, à regagner le village.
.202
CONTES PICARDS
Chemin faisant, il rejoignit nn pêcheur que
la chance ou son adresse avait favorisé.
Touché du désespoir manifesté par le curé,
«qui se plaignait amèrement de ce qu'il n'aurait
rien à manger le lendemain, le pêcheur en eut
pitié ; il tira de son filet une belle anguille et
l'offrit au curé; celui-ci se confondit en re-
merciements et continua son chemin hâtive-
ment parce qu'il était en retard. Aussi, dès
qu'il fut arrivé à l'église, remarqua-t-il par la
porte entr'ouverte que les fidèles n'attendaient
plus que son arrivée. Sans prendre le temps
•de se rendre au presbytère, il déposa ses in-
struments de pêche derrière un contrefort, et,
passant l'anguille sons sa soutane, il l'attacha
avec une ficelle à un bouton de sa culotte,
puis il pénétra dans l'église et rejoignit son
bas clergé dans la sacristie ; il revêtit en hâte
ses vêtements sacerdotaux et donna au suisse
le signal du départ pour se rendre dans le
chœur. L'office commença. Lorsque le mo-
ment fut venu pour le prêtre de monter en
chaire à l'effet de prononcer un sermon sur
la Passion, il quitta le chœur et suivit l'allée
principale. Tous les fidèles, le regardant
passer, ne furent pas peu surpris de voir sa
soutane se soulever par soubresauts répétés;
tout le monde sourit d'abord. Après qu'il fut
CONTES PICARDS
203
monté dans la chaire, il s'appuya un instant
sur le rebord et jeta un regard circulaire sur
43on auditoire. En cet instant, l'anguille se
mit à frétiller de plus belle, agitant la sou-
tane par coups saccadés. A cette vue, toute
l'assistance, hommes et femmes, partit d'un
immense éclat de rire.
Le curé, scandalisé, qui ne s'était jusque-là
douté de rien, baissa les regards et vit la
forme de l'anguille sur son ventre; il releva
vivement sa soutane, exhiba l'objet de l'hila-
rité générale, disant:
— Mes frères, vous faites peut-être un
jugement téméraire; comme vous le voyez,
c'est un poisson et non de la viande.
196. Un examen.
Les élèves d'un séminaire passaient un jour
leur examen trimestriel. L'examinateur de-
manda à l'un d'eux ce que doit faire l'enfant
de chœur quand le prêtre lève l'ostensoir pour
exposer le saint sacrement à l'adoration des
fidèles. Le séminariste, ne sachant que ré-
pondre, demeura bouche bée; se tournant vers
l'un de ses camarades qui avait l'habitude de
204
CONTES PICARDS
souffler ce qu'il devait répondre, il aperçut ce-
dernier agitant son bras de bas en haut dans
un mouvement répété, comme doit le faire
l'enfant de chœur avec l'encensoir en face du
saint sacrement. L'élève interrogé, dont le
père était maréchal ferrant, avait souvent re-
marqué dans la forge paternelle des étalons
ou des chevaux hongres agiter leur vit à la
vue des juments que l'on ferrait; un trait
lumineux lui traversa l'esprit aussitôt; il ré-
pondit vivement:
— On présente un vit de cheval.
197. Un souhait.
Le jour de l'an, un petit enfant de chœur
courut au presbytère avant la messe pour y
prendre les deux burettes. En pénétrant dans-
la cour, il aperçut le curé qui pissait au pied
du mur. Le gamin lui cria aussitôt:
— Je vous la souhaite bonne et heureuse,,
monsieur le curé.
Celui-ci, se tournant à demi, répondit à>
l'enfant de chœur en tenant sa pinne à pleine
main et secouant la dernière goutte:
— Et moi, mon enfant, je t'en souhaite une-
pareille.
CONTES PICAEDS 205
198. La salutation angélique.
Un petit gamin faisait paître nn troupeau
4e vaches dans la prairie. Le curé étant venu
à passer s'arrêta pour causer avec l'enfant,
qu'il réprimanda parce qu'il ne fréquentait
pas l'église et n'assistait ni au catéchisme ni
ii aucun office.
— Sais-tu lire? lui demanda-t-il.
— Non, monsieur le curé.
— Sais-tu tes prières, au moins?
— Pas davantage.
— S'il en est ainsi, je ne pourrai pas te
faire faire ta première communion.
L'enfant se mit à pleurer à chaudes larmes.
Le curé en eut pitié.
— Tiens, lui dit-il, je vais t'enseigner un
moyen pour apprendre tes prières tout seul en
gardant tes vaches; ce ne sera pas difficile,
tu vas voir. Connais-tu bien toutes tes
bêtes ?
— Pour ça, oui, monsieur le curé; celle-ci,
on l'appelle la Rouge, celle-là, Josette...
— Bien; alors, écoute. D'abord, tu devras
dire: „Je vous salue, Marie, pleine de grâces."
Une vache s'appellera „Je vousu, une autre
„salue", une troisième „Marie" et ainsi de
suite.
206
CONTES PICABDS
L'enfant retint cet enseignement à merveille.
Le curé revint le lendemain et le surlendemain ;
il constata que son élève faisait de réels pro-
grès; il laissa passer deux jours et retourna
voir le petit vacher le troisième jour.
— Eh bien, tu dois savoir ta prière sur le-
bout des doigts, aujourd'hui?
— Ah! oui, monsieur le curé.
— Récite-la.
— Je vous — salue — pleine — de grâces-
— Tu en passes.
— Non, monsieur le curé.
— Recommence.
— Je vous — salue — pleine — de grâces.
— Tu vois bien que tu en passes. De Marie,,
qu'en fais-tu?
— Je ne puis pas la nommer, monsieur le
curé, puis qu'elle n'y est pas: on l'a menée-
an taureau pour la faire saillir.
199. La • . . suite du chat.
Certain curé, qui aimait la bonne chère-
et ... le reste, avait été passer la journée
du samedi à Amiens; il revint chez lui avec
un panier chargé de victuailles. Le soir, il
CONTES PICARDS
20Г
reçut à souper quelques-uns de ses amis, qu'il
avait invités. Tandis que la servante faisait
frire ou griller boudin, saucisses, côtelettes et
andouilles, le chat, attiré par la bonne odeur,
vint faire le gros dos en se frottant aux
jambes de la cuisinière, qui, trop occupée
pour faire attention à lui, mit le pied sur
l'extrémité de sa queue; l'animal poussa des
miaulements plaintifs.
— Qu'y a-t-il, Catherine? demanda le curé
à sa domestique.
— Ce n'est rien, monsieur le curé; j'ai
marché sur la queue du chat.
— Exprimez-vous donc d'une façon plus
convenable, surtout quand il y a du monde
au presbytère. On ne dit pas la queue.
— Que faut-il dire?
— On doit dire la suite du chat.
Après un souper copieux, largement arrosé-
par des vins généreux, les invités du curé,
qui avaient fait honneur à la table de leur
hôte se retirèrent pour rentrer chez eux et
l'amphitryon se coucha. Pendant la nuit, il
se réveilla en proie à un malaise intolérable:
il éprouvait de violentes douleurs dans le bas-
ventre. Il appela sa servante et l'envoya
chercher le médecin sans retard, parce qu'il
voulait être guéri pour le lendemain, dimanche..
-208
CONTES PICARDS
L'homme de l'art arriva; il examina le ma-
lade avec beaucoup de soin.
— Diable, dit-il, votre ventre est réellement
attaqué.
Allant trouver la domestique à la cuisine,
le médecin lui dit:
— Vite, préparez un cataplasme de farine
de lin que vous appliquerez sur le ventre de
votre maître, puis, six sangsues à la suite et
tout ira bien; j'en réponds.
Cela dit, le docteur retourna chez lui.
— Singulier endroit pour poser des sangsues,
se disait la bonne en préparant le cataplasme.
Elle obéit cependant. Quand elle eut ap-
pliqué le topique sur le ventre de son maître,
elle alla prendre le bocal aux sangsues, en
ramena six qu'elle posa à l'endroit indiqué
par le docteur. Son maître voulut lui faire
observer que le siège de son mal n'était point
là; elle ne voulut rien entendre.
Le lendemain, en arrivant au presbytère, le
médecin demanda à la domestique si les sang-
sues avaient bieu fait leur office.
— Oh ! pour ça, oui ; allez voir, répondit-elle.
Et, le conduisant dans la chambre du curé,
elle leva les couvertures et le drap pour
montrer au docteur ébahi „la suite" du ma-
lade, où les sangsues avaient été posées.
N'y comprenant rien, le médecin demanda
des explications, et, quand elles lui eurent été
données, il partit d'un immense éclat de rire.
— C'est ma faute, dit le curé.
— A l'avenir, on devra dire la suite du
chat et la queue de monsieur le curé, conclut
la servante.
200. Le eouteau.
Un curé, qui se rendait à une cérémonie
religieuse dans un village voisin, se trouva
arrêté en chemin au bord d'une rivière qu'il
devait traverser. Un orage d'une violence
extrême s'était produit pendant la nuit pré-
cédente qui avait fait grossir les eaux de la
rivière; elles s'étaient élevées jusqu'au vieux
pont en bois et l'avaient emporté. Le prêtre
se demandait ce qu'il allait faire quand, en se
retournant, il aperçut une femme qui suivait
le même chemin et qui ne tarderait point à
se trouver près de lui. Dès qu'elle l'eut re-
joint, elle lui dit après avoir constaté la dis-
parition du pont:
— Suivez-moi, monsieur le curé ; je connais
un endroit où la rivière est fort large et où
l'eau est peu profonde; nous pourrons la
passer à gué.
Kqvtit. XL 14
210
CONTES PICARDS
En effet, à quelques centaines de mètres en
aval, la traversée pouvait se faire à gué sans
danger. La femme se déchaussa, enleva se»
bas et retroussa ses jupons et sa chemise.
— Nous n'en aurons que jusqu'à mi-fesses,
dit-elle au curé.
Mais celui-ci hésitait à faire de même ; il se
trouvait dans un tel état de transpiration
qu'il redoutait les suites de ce bain de pied.
Ce que voyant, la bonne femme, grosse matrone
robuste et de grande taille, lui dit:
— Ne vous tourmentez pas, monsieur le
curé; montez sur mon dos, je vous porterai
sur l'autre rive.
U accepta volontiers. Eu passant les bras
autour du cou de la grosse commère, il ap-
puya les mains sur les deux tetons rebondis
de sa porteuse; il en fut tout émotionné. La
femme étant arrivée au milieu du cours d'eau
s'écria tout à coup:
— Retirez votre couteau, monsieur le curé ;
il m'entre dans le dos.
— Ce n'est point mon couteau, ma bonne
femme, répondit-il en la serrant plus fort,
je bande.
— Ah! vous bandez? Eh bien, moi je
décharge, dit la femme en précipitant le curé
d'un coup d'épaule dans la rivière.
C0NTE8 PICARDS 211
Elle regagna en grande hâte l'autre rive
sans plus se préoccuper du fardeau dont elle
venait de se débarrasser si lestement.
201. Singulier bréviaire.
Une Parisienne, qui. depuis longtemps, avait
jeté son bonnet par-dessus le moulin, était
venue se mettre au vert à la campagne; elle
loua une très jolie maison de campagne pour
y passer toute la belle saison. Bien qu'elle
n'eût aucune pratique religieuse, elle assistait
régulièrement à tous les offices du dimanche.
Le bon curé, qui ne connaissait rien du passé
de sa nouvelle paroissienne, la donna bientôt
en exemple, d'autant qu'elle lui remettait
chaque semaine une certaine somme d'argent
pour qu'il la répartît entre les nécessiteux du
village.
Or, un jour, la dame invita le curé à dîner
chez elle le dimanche suivant. Après la messe,
la Parisienne rentra chez elle en hâte pour
jeter un coup d'oeil sur les derniers prépara-
tifs du dîner. Tout était pour le mieux.
Satisfaite, elle s'assit dans son salon pour
attendre son invité. Regardant derrière le
14*
212
rideau de la fenêtre, elle aperçut dans l'avenue
le curé qui se dirigeait vers l'entrée de la
maison ; mais, tout à coup, il obliqua à gauche,
et, du regard, il sembla chercher un endroit
solitaire pour y satisfaire un petit besoin;
Payant trouvé, il releva sa soutane, ôta un à
un les boutons de sa culotte et exhiba de la
main droite certain objet avec lequel il lança
un liquide qui vint retomber sur le mur du
salon; puis, il remit l'objet en place après
qu'il l'eut fortement secoué, boutonna sa cu-
lutte et laissa retomber sa soutane. Remet-
tant dans sa main son bréviaire qu'il avait
tenu sous le bras durant cette opération, il
se dirigea vers l'entrée de la maison. Le bon
prêtre, qui s'était arrêté en face de la fenêtre
du salon où se trouvait précisément la dame
de la maison, ne se doutait nullement que
celle-ci n'avait perdu aucun de ses gestes et
que rien ne lui était échappé de ce qu'il avait
mis à l'air. La Parisienne, à ce spectacle
inattendu, fut prise d'un tel rire fou qu'elle
dut faire attendre son invité avant de le rece-
voir auprès d'elle. Son rire s'étant enfin
calmé, elle donna l'ordre de faire entrer le
curé au salon. Un domestique vint après un in-
stant prévenir que madame était servie; celle-ci
dit au prêtre:
213
— Avant d'entrer dans la salle, vous
désireriez peut-être vous laver les mains,
monsieur l'abbé?
— Ce n'est guère urgent, répondit-il, car
j'ai pris cette précaution, en passant par mon
presbytère, et, depuis, je n'ai touché que mon
bréviaire.
— Tiens, reprit la dame en s'efforçant de
ne point éclater, on donne maintenant une
forme peu banale à vos livres de piété.
— Pourquoi donc, madame?
— Il me semble, si ma vue ne m'a point
trompée, que ce que vous teniez tout à l'heure
à la main en face de la fenêtre où je me
trouvais avait l'aspect d'une andouille ...
— Comment, madame, vous étiez là quand...
dit le curé confus sans pouvoir achever.
— Oui, et j'ai tout vu. Si j'avais un
paroissien de ce genre, je vous assure, mon-
sieur l'abbé, que, quoique douée de peu de
foi, je l'aurais souvent à la main.
202. Curé fraudeur.
A son retour d'un voyage en Belgique, où
Ц avait été passer quelques jours, un brave
curé se trouva dans la diligence avec deux
214
jeunes dames fort bien mises et de très bonne
tenue; pendant la première partie du voyage,
elles ne cessèrent de babiller entre elles en
lançant de fréquents éclats de rire. Le prêtre,
qui disait son bréviaire, n'en était nullement
incommodé et ne songeait point à s'en plaindre ;
mais, eu approchant de la frontière, il observa
que la conversation de ses compagnes tarissait ;
celles-ci devinrent même très inquiètes et fini-
rent par se parler bas à l'oreille: c'est que
l'on allait atteindre bientôt le premier relais
où la douane française faisait la visite des
voyageurs. L'une des deux dames, s'enhar-
dissant, s'adressa au cure avec une extrême
politesse et le sollicita de leur rendre un très
grand service.
— Si je puis vous être utile en quel-
que chose, madame, disposez de moi, je
vous prie.
— Voici le sujet de notre préoccupation.
Ma compagne et moi sommes porteuses de
dentelles que nous voudrions bien pouvoir
entrer en France sans payer de droits.
Mais, si Гоп nous fouille à la douane, nous
serons l'objet d'une contravention. Nous
avons pensé que, . . . peut-être, ... vu
votre caractère, ... on ne vous fouillerait
point. . .
215
— Si je comprends bien, mesdames, coupa
le prêtre, vous attendez de moi que je joue
le rôle de fraudeur?
— Ah! monsieur, vous nous rendriez un
grand service sans qu'il ne vous en coû-
tât rien.
Le prêtre opposa une vive résistance, mais
les deux dames surent s'y prendre avec tant
d'adresse et d'habileté qu'il se décida enfin à
se rendre fraudeur : elles lui remirent chacune
leur paquet de dentelles, qu'elles sortirent de
leur corsage.
— Veuillez, pour un instant, mesdames,
vous tourner de l'autre côté, je vous prie.
Relevant sa soutane, le curé ôta un
à un les boutons de sa culotte et fourra
sous sa chemise les deux paquets de den-
telles.
En arrivant au bureau de la douane, la
diligence s'arrêta et les voyageurs mirent
pied à terre.
— Qu'avez-vous à déclarer, mesdames?
demanda le douanier.
— Absolument rien.
— Passez alors. Et vous, monsieur le
curé ?
— Л'аі là quelque chose, dit le prêtre en
frappant de la main sur les deux paquets de
216
COMTES PICABDS
dentelles; c'est pour ces dames, ajouta-t-il en
clignant de l'œil.
— Vieux polisson, dit l'employé en riant;
passez, on ne paie point pour cela.
203« Pari perdu.
Certain curé se trouvant seul avec son
bedeau dans la sacristie lui dit un soir après
le salut, en lui frappant sur l'épaule:
— Tu vas venir avec moi au presbytère.
Et, ce disant, il entraîna le porte-baleine
avec lui; il lui dit:
— Quelqu'un m'attend avec qui j'ai parié
que nous avons plus de couilles à nous deux
que deux de mes paroissiens pris au hasard.
— Vous avez eu tort de faire un pari
semblable, monsieur le curé, sans m'en avoir
avisé à l'avance.
— Que crains-tu ? J'ai parié un bon dîner;
tu en auras ta part.
— Dans ces conditions, j'accepte, mais, cela
est certain, c'est vous qui le paierez.
— Comment, je perdrai?
— Assurément.
— Ce n'est point possible. Tu ne sais donc
pas que j'ai trois couilles bien formées?
CONTES PICARDS âlT
204. Curé et berger.
Certain curé dont le casuel était à peu près-
nul, tant ses paroissiens étaient pauvres,
jalousait le berger communal; celui-ci, qui
recevait de bons gages, augmentait ses revenus.
— Je ne prétends pas le contraire, mais je
n'en ai pas autant.
— Cela n'est point nécessaire pour que
je gagne.
Ce disant, ils arrivèrent au presbytère. Le
curé ouvrit la porte et fit d'abord entrer le
bedeau; il s'empara d'une assiette dans la-
quelle il exhiba ses trois testicules.
— Oui, je le vois, dit le bedeau, vous en
avez trois, c'est vrai, mais moi...
— Voyons, voyons, sors les deux tiennes
là-dedans, fit le curé en passant l'assiette au
bedeau.
— Je n'en ai qu'une, monsieur le curér
comme vous le voyez, dit l'autre en s'exécutant
de fort mauvaise grâce, et elle n'est pas bien
grosse, encore.
— Ah! le pauvre mâle, fit le curé furieux,-
fous-moi le camp tout de suite, je te chasse.
218
CONTES PICARDS
comme sorcier-rebouteur; il savait guérir les
entorses et nombre de maladies; il jetait des
sorts et désensorcelait, tout cela moyennant
de bon argent. Un jour que le curé se
plaignait d'être réduit presque à la mendicité,
le berger lui dit:
— Vous avez fait des études, il est vrai;
vous êtes ferré sur le latin ; vous savez parler
français; moi, je ne sais ni lire ni écrire, et
je ne connais que le picard ; cependant, je suis
pastenr comme vous. Eh bien, vous me con-
sidérez comme un ignorant; cependant j'en
connais plus que vous.
— Que veux-tu dire?
— Simplement ceci. Je sais, dans le cours
de l'année, combien j'ai de bêtes pleines dans
mon troupeau; en savez-vous autant pour le
vôtre, tout instruit que vous êtes?
A quelque temps de là, le cnré, à qui l'on
avait donné une jeune chèvre, alla trouver le
berger, qui avait un bouc, et lui demanda
combien il prenait pour faire couvrir une chèvre.
— Dix sous, monsieur le curé.
— C'est cher.
— Pour ce prix-là, en feriez-vous bien
autant? répartit le berger.
219
205. Sermon écourte.
Le jour d'une fête, un curé profita de ce
que son église était bondée pour prononcer
un sermon sensationnel. Il tonna violemment
contre la dissolution des mœurs et s'attacha
à montrer tout ce qu'avait de reprehensible
ie péché d'adultère. Tout pénétré de son
sujet, il se laissa emporter par le feu de son
éloquence et s'oublia jusqu'à dire:
— Pour moi, je ne vois rien de plus hideux
que ce péché; je préférerais le commettre
cent fois avec une jeune fille que de me
rendre coupable une fois avec une femme.
Un berger, qui était présent, dit à haute voix :
— Vous avez raison, monsieur le curé ; tout
le monde ici sera de votre avis. Moi aussi,
je ferais bien comme vous.
L'assistance partit d'un tel éclat de rire que
le prédicateur dut descendre précipitamment
de la chaire.
206. Curé décimateur.
Au temps où les curés avaient le droit de
dîme sur les récoltes et sur les animaux de
basse-cour de leurs paroissiens, il arriva qu'un
220 CONTES PICAEDS
laboureur, dont la truie avait mis bas dix
cochons, se préparait, deux mois plus tard, à
les aller vendre au marché. Le curé en
ayant été informé par une âme charitable se
rendit chez son paroissien et lui réclama un
de ses cochons en raison de son droit de dîme.
Le pauvre laboureur invoqua en vain sa
pauvreté; il eut beau faire valoir qu'il avait
de la peine à élever sa nombreuse famille;
c'est en pure perte qu'il supplia le curé de lui
laisser vendre ses dix cochons.
Quinze jours plus tard, la femme du la-
boureur mettait au monde son dixième enfant.
Que fit le père? Le lendemain, il emmaillota
le nouveau-né, qu'il remit à son fils aîné,,
garçon d'une quinzaine d'années, auquel il
donna ses instructions et l'envoya au presby-
tère, où il y avait grande réunion de prêtres
à l'occasion de la fête patronale. Le petit
commissionnaire arriva au moment où tous
les convives étaient à table ; il déposa sur lea
genoux du curé de la paroisse le paquet qu'il
tenait dans ses bras, disant:
— Tenez, monsieur le curé, voici ce que
mon père vous envoie.
— Que m'apportes-tu donc, mon enfant?
— C'est mon petit frère, qui est venu au.
monde hier.
321
— Que veux-tu que j'en fasse?
— Ce n'est pas mon affaire.
— Eemporte-le tout de suite, petit vaurien.
— Non, je n'en ferai rien, dit le gamin en
gagnant la porte à reculons. N'avez-vous pas
le droit de prendre la dixième partie de nos
produits? C'est le dixième enfant que vient
«d'avoir ma mère; il vous appartient.
— Je n'en suis pas le père; que celui qui
l'a fait l'élève. Je n'ai jamais couché avec
ta mère.
— Seriez-vous donc le père du dixième
•cochon que vous êtes venu chercher dernière-
ment dans notre étable ? Auriez-vous, par hasard,
-couché avec notre truie? dit le gamin en
^'esquivant au plus vite.
207. Un ménage à confesse.
Un notaire et sa femme avaient l'habitude
•de communier aux principales fêtes de l'année.
Or, la veille de l'Assomption, ils se rendirent
-ensemble à l'église pour se confesser. La
femme passa la première. Le bon vieux curé,
«qui savait que sa pénitente le retiendrait
longtemps, s'accota commodément dans son
222
CONTES PICAEDS
confessional; il se sentit bientôt envahir par
le sommeil, car la chaleur était accablante;
pour n'être point troublé, il poussa doucement
la petite cloison du guichet et s'endormit sans
contrainte au beau milieu de la confession de
la femme du notaire. Quand cette dernière
eut terminé l'aveu de ses fautes, elle attendit
que le prêtre prononçât la formule de l'abso-
lution pour se retirer, mais celui-ci ne disait
mot. Croyant l'avoir scandalisé par la dé-
claration de quelques-uns de ses péchés, elle
récita d'abord le plus fervemment du monde
une première dizaine de chapelet, puis une se-
conde dizaine. Le confesseur continuait de ne
donner aucun signe de vie; la femme priait
toujours dévotement. Mais le notaire s'im-
patienta; il se leva sans bruit et alla
s'agenouiller dans l'autre niche du confession-
nal; il frappa à coups répétés sur le guichet.
Le curé, se réveillant, fit glisser la petite
cloison dans ses rainures et dit:
— Vous confessiez donc que vous trompez
chaque jour votre mari avec son maître clerc ;
c'est mal, mon enfant...
Tête du notaire, qui, ne voulant point en
entendre davantage, s'enfuit aussitôt et court
encore.
22a
208. Les deux pénitentes.
La veille d'une fête religieuse, un curé se
trouva retenu au confessionnal plus longtemps
qu'à l'ordinaire, parce qu'il se présenta un
plus grand nombre de pénitents qu'à l'habi-
tude. Mais, comme on l'avait fait appeler
auprès d'un moribond, il expédiait vivement
sa clientèle de pécheurs.
— Je suis pressé, disait-il à chaque nouveau
venu; hâtez-vous, je vous prie.
Le bon pasteur croyait en avoir fini quand
arriva l'une de ses plus ardentes dévotes.
— Heureusement, se dit-il, elle ne me re-
tiendra pas longtemps ; cette sainte femme ne
pèche guère.
En effet, la confession de cette pénitente
était menée rapidement, quand, arrivée au
neuvième commandement, la dévote montra
quelque hésitation et finit même par s'ar-
rêter.
— Voyons, finissons-en, dit le curé; on
m'attend pour une cause urgente.
— C'est que je n'ose vraiment pas faire un
tel aveu, mon père.
— Il ne faut rien cacher, ma fille; votre
confession serait nulle et vous commettriez
un nouveau péché.
CONTES PICARDS
— Je le sais bien, mais je suis tellement
«coupable ... La chair est si faible ...
— Auriez-vous donc trompé votre mari?
— Oui.
— Comment, vous qui, avec votre voisine,
passiez jusqu'ici pour être les deux seules
femmes fidèles de la paroisse, vous avez aussi
«commis le péché d'adultère?
— Oui, et vous m'en voyez bien affligée,
•d'autant que c'est avec le mari de ma voisine
«que j'ai commis cette mauvaise action.
— Vous vous en repentez, n'est-ce pas ?
— Oh! oui.
— Vous ne recommencerez plus?
— Jamais, mon père.
— Combien de fois avez-vous ainsi péché?
— Quinze fois.
— Le tiers de quinze est cinq. Eh bien,
pour votre pénitence, dit le curé quand la
-confession fut terminée, vous direz matin et
soir pendant quinze jours cinq Pater et cinq
Ave. Allez en paix et ne péchez plus.
Cette pénitente eut à peine quitté le con-
fessionnal que sa voisine prenait sa place.
— Hâtez-vous, commença par lui dire le
prêtre.
— C'est que j'ai de bien gros péchés sur
la conscience.
CONTES PICAEDS
— Vous aussi! Faites-en vivement l'aveu
avec le ferme propos de ne pas retomber dans
les mêmes fautes et je vous donnerai l'abso-
lution.
Après un défilé de péchés plus ou moins
légers, la femme en arriva enfin à confesser
•qu'elle avait trompé son mari avec son voisin.
— Combien de fois? lui demanda le curé.
— Treize fois.
— Le tiers de treize, c'est... c'est... ;
ma foi, je ne suis pas très fort pour compter
-de tête. Je viens d'imposer pour pénitence à
une femme qui avait commis quinze fois le
péché d'adultère avec son voisin la récitation
soir et matin pendant quinze jours de cinq
Pater et de cinq Ave; trompez votre mari
-deux fois de plus et vous en serez absoute
nar la même pénitence.
209. Le pot de beurre.
Une jeune délurée, qui avait été au bois et
tu le loup, se rendit à l'église la veille d'une
fête pour se confesser. Elle s'accusa d'avoir
eu de mauvaises pensées un jour qu'elle avait
.sur ses genoux la culotte de son bon ami.
Kyvitx. XI» 15
CONTES PICABDS
Le curé loi dit que la chose était grave, et
que, pour eu avoir l'absolution, elle devra,
lui apporter un pot de beurre.
La pénitente, quittant aussitôt l'église, re-
tourna chez ses parents; elle prit un petit
pot en terre qu'elle trouva dans l'armoire de
la cuisine, le couvrit d'un morceau de papier
gris qu'elle fixa à l'aide d'une ficelle passée
autour et revint à l'église portant le pot sous-
son tablier; elle remit son présent au curé.
Celui-ci, heureux d'avoir été obéi avec tant
de hâte, récita la formule de l'absolution. Il
avait déposé le pot à côté de lui sur la ban-
quette du confessionnal, et, mouillant abon-
damment avec de la salive l'index de sa main-
droite pour trouer le papier sans bruit, il
l'enfonça dans le pot pour se rendre compte
de la quantité de beurre qu'il contenait, car
il lui avait paru léger ; son doigt arriva bien-
tôt au fond du pot, qui était absolument
vide. S'interrompant alors, il dit à sa pénitente:
— Sacrée garce ! il n'y a rien dans ton pot.
— Il n'y avait rien non plus dans la culotte
de mon amoureux, répondit la jeune fille sans
se troubler; il me l'avait jetée sur les genoux
pour que je la lui raccommodasse.
CONTES PICARDS
210. A confesse.
La veille d'une fête religieuse, une jeune
fille se rendit à l'église pour se confesser
afin de communier le lendemain. Après qu'elle
eut ouvert la porte, elle se heurta contre
Tune de ses compagnes, qui se tenait debout
devant le bénitier, la main droite plongée
dans l'eau bénite.
— Que fais-tu là? demanda la nouvelle
arrivée.
— Je vais te le dire. En me confessant,
je me suis accusée d'avoir manié le vit de
mon bon ami qu'il m'avait mis l'autre soir
dans la main lorsqu'il est venu me trouver
dans notre jardin. Comme pénitence et pour
purifier ma main, monsieur le curé m'a or-
donné de la laisser dans le bénitier pendant
le même temps que j'avais tenu la pinne de
mon amoureux.
— Dans ce cas, je me sauve, dit l'autre;
mon amoureux m'a mis le sien six fois dans
le con la semaine dernière; monsieur le curé
n'aurait qu'à m'ordonner comme pénitence
de placer mon cul dans le bénitier; je ne
veux pas de ça, Lisette; ce serait trop froid.
Adieu.
16*
CONTES PICABDS
210 a. Variante.
Enne jonne fille al s'est en allée enne fois
à Г1 église ponr ése confesser. Al s'est nus
à genoux dessus che quiot banc dé che con-
fessionnal.
— Mon pére, qu'ai o dit, j'ai granment
péché. Je mens tout plein, éje manque des
fois à le messe ...
Et pi le jonne fille al o continué comme ho
en wardant pour la fin un eute péché bien
pu grand qu'ai n'osoit point dire à sen con-
fesses A la fin, il o bien fallu qu'a' le diche.
— Mon pére, l'ente jour au soir, j'ai ren-
contré m'n amoureux à che cnin dé le plache;
os avons devisé tout plein; і m'o prins me
main pou le mette dens se bitiére. J'ai sentu
sen moigneu, jé me sut juè aveuc.
— Éme quiote, vo main al est damnée. En
sortant dé le confesse, os irez le plonquer
dens che bénitier pendant deux heures.
Éle jonne fille, tout clabeusse, al о été à
che bénitier pour y mette ése main. Il est
arrivé unne éde ses compaingnes qu'a' s'n alloi
aussi à le confesse.
— Quoi que tu fois aveuc été main dens
11 ieu bénite?
— Éne m'en parle point; ch'est le péni-
tence éque monsieur le curé і m'o donnée
CONTES PICAEDS
229
parce que m'n amoureux il o mis se broquette
dens me main.
— Jour dé Diu! Et pi mi, don? ... Que
pénitence que je m'en tos avoir que m'n
amoureux il o mis le siéne dens men cul?
(Kryptadia, П, ш-ібб.)
211. Les éorevisses et les moules.
Un curé ayant été à la ville en rapporta
des écrevisses; en les remettant à sa bonne,
il lui dit:
— Vous me les ferez cuire pour demain;
c'est vendredi; je les mangerai à mon dîner.
Le lendemain, la marchande de poissons
arriva au presbytère; elle n'avait que des
moules. La servante, qui comptait sur du
poisson pour le souper de son maître, dut se
borner à l'achat de ce mollusque, puisqu'elle
n'avait pas le choix.
La cuisson des écrevisses ne fut pas un
mince embarras pour la bonne, qui voyait
pour la première fois ce crustacé. A chaque
instant, elle allait porter la casserole sous le
nez du curé pour lui demander si les écrevisses
étaient cuites à point.
230 CONTES PICAEDS
-— Non, non, disait-il, elles ne sont pas
assez ronges.
La servante revenait cinq minutes après.
Agacé par ce manège incessant, qui l'inter-
rompait dans sa lecture, le curé retroussa sa
soutane, déboutonna sa culotte, et, faisant voir
le bout de son vit, il dit à sa bonne:
— Regardez bien ceci; lorsque les écrevisses
seront de la même couleur, vous pourrez re-
tirer la casserole du feu: elles seront cuites.
L'après-midi du même jour, la servante dut
se mettre à la fabrication de confitures de
groseilles. Comme elle en avait préparé une
grande quantité, elle n'eut point le temps de
s'occuper du souper; elle pria son maître de
lui rendre le service de faire cuire les moules.
Quoique n'y entendant rien, il se chargea
néanmoins de cette besogne. Il s'y prit abso-
lument comme sa bonne à propos de la cuis-
son des écrevisses: toutes les cinq minutes,
il allait la trouver avec la casserole, lui
demandant si les moules étaient cuites.
Prenant exemple sur son maître, la servante,
impatientée, releva ses jupons et sa chemise
et, écartant les jambes:
— Quand elles seront ouvertes comme ceci,
dit-elle, la cuisson sera complète.
CONTES PICABDS
231
211a. Yariante.
I gny o ieu un curé qu'il o acheté des
-écreviches.
— Tiens, qu'i dit en rentrant à se servante,
tu mettros cuire ches écreviches-lo pour mi
souper.
— Oui, mais, monsieur le curé, je n'ai mie
jamois foit cuire des hétes pareilles. Quement
que je serai quant jou qu'i fodro s'zé retirer
.dé l'I ieu?
— Quant і seront tout rouges. Quant
même, tu né s'z enleveros point devant m'avoir
édemandè si sont bien cuites. Né l'I oublie
point.
Éle servante al o prins ches écreviche et pi
a' s'z os mis dessur éche poêle. Pendant che
tans-lo, éche curé і s'est mis à écrire dens sen
cabinet. Au bout d'un quart d'heure, éle ser-
vante a' H о apporté le casterole.
— Vlo ches écreviches qu'i rougie-te. I sont-ti
assez cuites, monsieur le curé?
— Nan, quiote; point coire.
Éle servante al о remis ches écreviches
édeesus che poêle; al о attendu quéque tans;
comme і venoite pu rouges, al о 'tè trouver
sen moite.
— Et pi à che-t-heure, monsieur le curé?
— Point coire, point coire.
CONTES PICARDS
Al est revenue enne troisième fois.
— Éle fois-chi і sont cuites, no point?
— Nan, nan, che n'est point coire ho.
— Que le diabe il enlève vos écreviche éde
malheur? I ne seront jamois cuites.
Éche curè il о retroussé se suténe et pi, en
montrant se broquette fin roide, і dit:
— Tiens, quiote, quant і seront rongea
comme éle téte éde men moigneu, tu s'zé re-
tireros.
— Et pi vous, monsieu le curè, qu'ai dit le
servante en retroussant ses cotrons et pi en
montrant se caille, quant os érez enne gueule
aussi grande éque chéle-chi os porrez menger
vos écrevichee tout crûtes.
212. Le signe du chrétien.
Un petit garçon, qui se préparait pour faire
sa première communion, pénétra inopinément
un dimanche matin dans la chambre de sa
sœur, plus âgée que lui de deux ou trois ans-
eile venait de retirer sa chemise et allait en
passer une autre au moment de l'arrivée du
gamin.
— Veux-tu bien te sauver tout de suite,,
petit vilain, dit-elle en le chassant.
CONTES PICABDS
233
---7--
L'enfant avait pn examiner sa sœur des
pieds à la tête; il alla tronver sa mère et se
plaignit à elle de ce que sa soeur venait de-
le chasser; puis il demanda:
— Pourquoi donc Marie a-t-elle une poignée-
de poils au bas de son ventre? Dis, ma-
man, dis.
Interloquée, la mère, qui ne s'attendait
guère à une semblable question, répondit au
hasard :
— C'est parce qu'elle est chrétienne, mon-
chéri.
A l'issue de la grand'messe, le curé donna
sa leçon de catéchisme aux enfants de la
première communion. Les garçons prenaient
place d'un côté sur les bancs de la chapelle
de la Vierge, et les fillettes s'asseyaient de
l'autre côté. Le curé interrogeait alternative-
ment les garçons et les filles.
— Êtes-vous chrétien? demanda-t-il au
premier.
— Oui, je suis chrétien par la grâce de Dieu.
S'adressant à la première fille, il lui posa.
cette question:
— Quel est le signe du chrétien?
Pas de réponse. Le petit espiègle dont il
est ici question se leva, et, faisant claquer
ses doigts, il répondit:
234
CONTES PICAEDS
— Je le sais, moi, monsieur le curé.
— Dis-le.
— Ma sœur est chrétienne.
— Oui, sans doute,...
— Vous avez donc vu aussi la poignée de
poils qu'elle a an bas de son ventre? C'est
pour cela qu'elle est chrétienne, m'a dit maman.
213. Un sourd.
Le curé d'un petit village procédait un jour
-à un mariage. Le futur était abominablement
sourd, aussi prenait-on généralement le parti
de s'adresser à lui par signes. Le prêtre
ignorait ces détails. Quand, pendant la céré-
monie religieuse, le moment vint pour le
fiancé de passer l'anneau au doigt de sa
future femme, le curé lui donna connaissance
de ce qu'il devait faire, mais le „mariant"
-demeura immobile ; le prêtre répéta les termes
-de son invitation; ce fut sans plus de succès.
La future, intervenant, pria le curé d'élever
la voix parce que celui qui allait devenir son
.mari était atteint de surdité. L'officiant parla
«beaucoup plus haut, mais ce fut en vain; im-
patienté, il eut l'idée, pour se faire comprendre,
CONTES PICARDS
235
de former comme un anneau avec le pouce et
l'index de la main droite qu'il passa autour
de l'annulaire de la main gaucbe en exerçant
un mouvement répété de va-et-vient. Le marié,
voyant ce geste, et se méprenant sur la signi-
fication à lui attribuer, dit à haute voix:
— Oui, oui, monsieur le curé, ce sera pour
ce soir; nous nous en donnerons le plus que
nous pourrons, puisque nous en aurons le
droit désormais... Ah ! le farceur, va, dit-il
en riant comme se parlant à lui-même.
Puis, se tournant à demi vers la mariée, il
lui dit en désignant le curé du doigt:
— H sait ce que c'est, ce polisson-là.
214. Bonne mémoire.
Un jeune garçon d'une quinzaine d'années
avait été à confesse la veille d'une fête; il
s'accusa d'avoir causé du dommage à autrui
en pratiquant un trou dans une haie pour
pénétrer dans un jardin avec l'intention de
dénicher un nid de merles. A cet aveu, le
confesseur, qui était grand amateur d'oiseaux,
ouvrit l'oreille; il questionna longuement son
pénitent et apprit que les jeunes merles étaient
CONTES PICARDS
restés dans leur nid et qne le dénicheur ne
les enlèverait que le samedi suivant parce
qu'ils étaient encore insuffisamment plumés p
enfin, le curé put savoir où se trouvait le nid.
Tout en donnant l'absolution à l'enfant, il se
frotta les mains, se disant que la couvée serait
pour lui:. En effet, le vendredi soir, il se glis-
sait par le trou de la haie qu'avait fait son
jeune pénitent et entrait dans le jardin où se
trouvait le nid de merles ; il enleva prestement,
les jeunes et rentra au presbytère.
Le lendemain matin, le petit dénicheur arriva^
près du nid et ne fut pas peu surpris en con-
statant qu'il était vide. Le père et la mère
voletaient aux environs en poussant des cria
plain tifs.
— Les jeunes viennent d'être pris, se dit
l'enfant Qui donc aurait pu découvrir leur
nid, si bien caché?
Or, en repassant par le trou de la haie, il
aperçut un morceau d'étoffe noire accroché à
une épine; ce fut pour lui une révélation.
— Pour sûr, se dit-il, monsieur le curé m'a.
devancé; il a abusé de ma confession.
Le lendemain, il eut la preuve qu'il ne
s'était point trompé; il interrogea adroitement
un enfant de choeur qui sortait du presbytère
et apprit par lui que le curé donnait la bec-
CONTES PICABDS
237
•quée à quatre jeunes merles qu'il avait cap-
turés deux jours auparavant.
Trois ans plus tard, le jeune éphèbe se re-
trouvait au confessionnal. Il s'accusa d'avoir
une bonne amie qu'il embrassait copieusement
chaque soir, ajoutant que, parfois même, il
.s'attardait la nuit dans sa chambre.
— Ah! c'est grave cela, mon enfant. Et
vous l'embrassez seulement?
— Je serais un parfait imbécile si je ne
.savais profiter de l'heure et du lieu.
— Que faites-vous donc?
— Ce que font les personnes de sexe dif-
férent, parbleu.
— Quelle est donc votre bonne amie?
— Un instant, beau dénicheur de merles;
tous voudriez encore passer avant moi ce soir.
•Sachez qu'on ne m'attrape pas deux fois, beau
père.
Et le jeune homme quitta le confessionnal.
215. Tibi.
Un curé avait pris à son service une de ses
jeunes parentes qui n'avait pas, à beaucoup
près, l'âge canonique. La première semaine
•de son arrivée au presbytère, elle disait: «Les
238
CONTES PICARDS
ponies de M. le Curé"; la seconde semaine:
„Nos poules", et, quinze jours plus tard: „Mes
poules". A une paroissienne qui venait com-
mander une messe pour ses parents défunts
et qui voulait marchander, elle répondit:
— Nous ne disons plus de messes à trente
sous; c'est quarante sous, maintenant; mais,
aussi, elles sont de bonne qualité, vous pouvez
m'en croire, je m'y entends.
Cette fille ne souffrait pas que, dans lea
conversations, on se permît la moindre allu-
sion au chapitre de l'amour ; c'est elle qui, un
jour, imagina de vêtir un petit enfant Jésus
qui se trouvait dans une crèche à l'église,,
parce que la nudité des statues la faisait
rougir. A part cela, elle était très dévouée
à son maître, mais on avait remarqué dans le
village que cette pruderie ne devait exister
qu'en paroles, car, lorsqu'elle s'adressait à.
monsieur le curé, elle se montrait avec lui
d'une grande familiarité. En lui parlant, son
maître employait toujours un petit mot
d'amitié, auquel elle ne prit point garde tout
d'abord; il l'appelait sans cesse Tibi; ses
confrères ne tardèrent pas à ne désigner sa
servante que sous ce sobriquet. Au début, la
jeune fille ne faisait qu'en rire, mais, re-
doutant que ce surnom ne lui restât, elle
CONTES PICABDS
239*
supplia son maître de renoncer à l'emploi de
cette épithète; il n'en tint nul compte, au
contraire; pour la taquiner, il prévint ses
confrères de n'avoir à désigner sa bonne que
sous le nom de Tibi; dès lors, chaque fois-
qu'il les reçut à sa table, ce ne fut plus que
Tibi par ci, Tibi par là.
La domestique, agacée, crut remarquer que-
l'on attachait un sens malicieux à ce terme;
elle en demanda la signification à plusieurs
curés; ils ne lui répondirent que par un
bruyant éclat de rire sans autre explication^
Or, un jour, il y avait grand dîner au pres-
bytère à l'occasion de la fête patronale; la
servante eut les oreilles rebattues du mot qui
lui donnait tant sur les nerfs. Au dessert,
un jeune séminariste se leva et passa à la
cuisine sous prétexte d'allumer son cigare; il
trouva la bonne à ses fourneaux et lui fit des
compliments sur ses brillantes aptitudes de
cordon bleu; en réalité, il n'était venu la-
trouver que pour la lutiner, car l'affriolante
cuisinière était un véritable morceau de roi;
elle n'opposa qu'une faible résistance aux
privautés que se permettait l'entreprenant
séminariste; elle avait ses raisons pour cela;
quand elle le vit suffisamment excité, elle lui
demanda à brûle-pourpoint:
240
0ONTBS PICARDS
— Que signifie donc le mot Tibi, monsieur
l'abbé? Vous allez me renseigner à ce sujet,
топе, au moins.
— Б veut dire putain, répondit le facétieux
séminariste en s'esclaffant et en retournant
dans la salle sur l'appel de l'amphitryon, qui
commençait à prendre ombrage de cette trop
longue absence.
— Bon, bon, se dit la servante en préparant
le café, mon maître va en entendre de vertes
la première fois qu'il m'appellera de ce grossier
surnom.
Un instant après, le curé, frappant avec son
•eouteau sur son verre, dit:
— Tibi, sers-nous le café, ma fille.
A peine eut-il donné cet ordre que la
bonne, entrant précipitamment dans la salle
comme une furie, alla se placer derrière
son maître, et, lui frappant sur l'épaule,
elle lui dit sur le ton d'une violente
eolère:
— Tibi ton père, tibi ta mère, tibi ton
frère, tibi ta sœur, tibi toute ta famille,
tibi toi-même, si je suis tibi, c'est toi qui
m'a tibinée.
341
216. Lee baa du curé.
Un jeune prêtre, qui passait pour être ardent
à certain jeu, prit comme domestique la cui-
sinière du château dès que celle-ci eut atteint
l'âge canonique; c'était une rouée qui avait
plus d'un tour dans son sac et qui, depuis
longtemps, avait jeté son bonnet par-dessus
le moulin; ses succès étaient d'autant plus
grands auprès des coureurs de filles que le
médecin l'avait déclarée stérile.
Or, l'hiver suivant fut précoce et rigoureux;
la domestique proposa à son maître de la laisser
coucher avec lui pour avoir moins froid l'un
et l'autre, ce qui fut accepté; à cela, elle
gagnait encore de n'avoir qu'un lit à faire.
Le jour de Noël, M. le Curé se leva de très
bonne heure pour dire sa première messe;
comme le jour ne paraissait point encore, il
•chercha ses bas à tâtons; dès qu'il fut habillé,
il se rendit à l'église. Sa bonne se leva après
son départ et se mit à vaquer aux soins du
ménage.
A la grand'messe, les fidèles furent distraits
-durant tout l'office: ils avaient remarqué que
M. le Curé avait un bas noir et un bas bleu;
ils en cherchaient la raison, quand, à l'offer-
toire, ils eurent la clef de l'énigme. En se
Kqvtit. XL 16
CONTES PICARDS
rendant à l'offrande, la servante du curé re-
leva ses japes en montant sur les deux marches
qui séparaient la nef du chœur. On remarqua
qu'elle avait aussi chaussé un bas noir et un
bas bleu. Or, c'était elle qui portait des bas
bleus, tandis que son maître, on le devine,,
portait des bas noirs.
217. Au presbytère.
M. le Curé est fortement ennuyé et il y a-
vraiment de quoi Б avait une gouvernante
accorte, discrète, cuisinant dans la perfection,,
agréable de caractère, une perle, enfin, un de-
ces oiseaux rares si difficiles à dénicher. Mais
la gouvernante est retournée dans sa famille;:
elle est malade et son maître, le pauvre homme,
en est triste à mourir. Les mauvaises langues,,
qui ne cessent de jacasser sur ce départ si
prompt, prétendent que cette maladie n'a гіеш
d'inquiétant ; ce n'est autre chose qu'une péri-
tonite, un gonflement momentané du ventre
dont le dénouement, normal et peu dangereux,
doit se produire au bout de neuf mois ... On
est si méchant au village! D'ailleurs, cancaner
n'est-ce pas le plaisir des dieux à la ville
comme au village?
CONTES PICABDS
243
On sonne au presbytère. L'enfant de chœur
qui fait par intérim le menu service de la
maison, va ouvrir et introduit dans le cabinet
de M. le Curé une femme entre deux âges,
d'un extérieur convenable, qui se présente avec
l'intention de remplacer la gouvernante qui
vient de partir; elle expose sa demande au
curé, qui lui adresse les questions suivantes:
— Savez-vous faire la cuisine? Je reçois
souvent des confrères, et...
— Mon Dieu, monsieur le curé, je dois vous
l'avouer, la cuisine,... ce n'est pas là posi-
tivement où je brille.
— Tant pis, ma fille, tant pis! Savez-vous
tenir un ménage, diriger une maison, soigner
la basse-cour, faire enfin ce qui est indispen-
sable chez un célibataire?
— Franchement, je suis très peu au courant
de tout cela. Mais ...
— Mais, alors, ma fille, à quel titre solli-
citez-vous une place ou un emploi pour lequel
vous reconnaissez vous-même avoir si peu
d'aptitude?
— C'est que, à défaut des qualités qui me
manquent, je puis me flatter d'en posséder
une qui, dans la circonstance, l'emporte sur
les autres.
16*
244
CONTBS PICABDS
— Et laquelle donc? demanda le curé in-
trigué. Je suis curieux de savoir.
— Eh bien, je suis stérile.
— Ah! vraiment, marmotta le curé devenu
songeur. C'est à voir.
— Tout de suite si vous voulez ; il ne tient
qu'à vous...
— Soit, je vais vous prendre à l'essai.
Et la femme resta au presbytère.
218. Éche cochon dé one eurè.
I gny avoi enne fois un curé qu'il élevoi
un cochon pour éle féte. Quant al o 'té arrivée,
il o 'té vir éche magister pour savoir éche
qu'i porroit foire.
— Tu connoie bien, Jean, ches habitudes dé
che poys, qu'i li dit. Écheti qu'i tue sen co-
chon, і doit n'n envoyer un morcieu à tous
ses amis qu'i n'n ont foi autant pour li dens
l'énèe. Comme i gny о point personne ichi
qu'i ne mé n'n euche apporté, si je nen fois
autant, і né me restero mie pu rien de men
cochon. Portant, quement foire autermen? О
ne m'inviteroit pu à enne seule boudinée. I n'o
que ti pour éme donner un boin conseil pour ho.
245
— Est bien aisè. Foisez tuer vo habillé de
soies, et pi, au clore, ahoquez-le à vo porte
par dens ches rues. Enne heure après, sans
qu'o vous voiche, dépendez-le et pi os le mettrez
dens vo saloir. Édemain, foisez courir éle
bruit qu'os o volé vo porcheu. Os vous n'n
en plaindrez tout plein, ha foit qu'os rechuvrez
pus éde seucisses et pi de côtelettes éde cheux
qu'i tueront leu cochon.
— Éje té remercie dé t'n avis.
Éche curè il o foit tuer s'n habillé de soies
et pi il Го foit pende en dehors dé le porte
dé che prébytère.
— Que bien cochon qu'il о monsieur le curè î
qu'i se disoite tous ches gens. Édemain, tout
le monde dens che village i mengero la soupe
fraîche.
Oui, mais, che malin moîte d'école і n'o ieu
rien de pu pressé, aux vépes, éque d'aller dé-
pende éche cochon pi de l'emporter dens se
moison pour éle mette dens sen saloir. Éle
lendemain, du grand matin, éche curè il étoit
à le moison dé che magister.
— Ah! mon Diu, que vol abominabe! Que
profanation! Que sacrilege!... Éche cochon
de l'homme dé Diu!...
— Eh bien, quoi, monsieur le curè?
— O m'o vole men cochon hier au soir.
CONTES PICAEDS
— Disez toujours comme bo, monsieur le curè.
— Éje t'asseure qu'o me l'o voie.
— Soutenez-le toujours; os avez raison;
о vous croiro bien miux.
— Quant éje té dis que jé ne ris point.
— Os avez raison, os avez raison.
Comme і voyoit qu'i perdoit sen tans, che
curè і n'o pu dit un mot. Quéques jours après, il
о entendu che fiu dé che magister qu'i disoit :
— Éche cochon monsieur le curè il est ru-
demen boin aveu des choux.
Éche curè il o avanchè et pi il o dit à
che quiot:
— Porrois-tu répéter che que tu viens de
dire? T'éros vingt sous.
— Je né demande mie miux. Je disois:
„Che cochon monsieur le curè il est rudemen
boin aveu des choux."
— Si tu veux répéter che que tu viens de
dire à le messe dimenche qu'i vient, t'éros
coire vingt sous.
— Donnez-me-les d'avanche.
— Tiens, les vlo ... A dimenche !
Éche dimenche d'après, che curè il o monté
en chaire; il o quemenchè à se délamenter
dessur un de ses paroissiens qu'i n'o point
volu nommer ; i li reprochoit dé 11 avoir volé
malhonnêtement.
CONTES PICABDS
247
— Aussi, mes frères, éle bon Diu, qu'i voit
toute, і ne laiche jamois un crime impuni.
Fendant quéque tans, о croit ne point été
•éreprins; oui, maie, l'heure al arrive tout de
même, si bien que toute ése découvre. I coi-
sit même quant ha li plaît, éle bouque d'un
•éfant pour foire connoîte la vérité au grand
jour. Nen volez-vous enne preuve? Écoutez
le parole éde vérité... Pierre, dis-nous che
que tu sais.
Éche qniot dé che moîte d'école éque sen
pére i li avoit foit s'n érechon devant le messe,
і s'est levé de sen banc et pi il о dit tout heut:
— J'ai dit que l'ente fois monsieur le curé
il avoit volu boisier man mére dens ches choux.
(Kryptadia, II, ш-146.)
219. Les boîtes d'esprit.
Un curé rentra un jour chez lni, tenant à
ta main un foeau poulet dont on lui avait fait
présent.
— Tiens, dit-il à sa servante, en lui remet-
tant le volatile, tn en auras bien soin; c'est
pour Noël.
Quelques jours plus tard, un mendiant du
•dehors, qui venait au presbytère toutes les se-
248
CONTES PICAEDS
maines, où il recevait toujours un bon morceau,
de pain, arrivait à la porte et récitait le Pater
à haute voix suivant son habitude; quand il
eut fini, il tourna la poignée et entra dans
la cuisine.
— Tiens, vous voilà, père Noël? Vous arri-
vez bien; il y a là quelque chose pour vous
qui vous attend; monsieur le curé me l'a en-
core dit ce matin avant de partir en voyage.
Suivez-moi.
La servante sortit dans la cour et entra
dans une étable; elle prit un poulet qui se
trouvait dans une cage et le remit au men*
diant, lui disant:
— Tenez, père Noël; c'est pour vous; em-
portez-le. Monsieur le curé me recommandait
tous les jours d'en avoir grand soin en me
disant que c'était pour Noël. Je sais que vous
êtes son préféré, et je ne suis pas surprise
qu'il vous fasse ce cadeau; il n'ignore pas
que vous assistez pieusement chaque dimanche
à tous les offices et que vous remplissez tous
vos devoirs de chrétien.
Le mendiant n'en revenait point; il savait
que le curé était bon, mais il lui avait tou-
jours paru peu généreux. Se doutant qu'il
devait y avoir là-dessous quelque quiproquo,
il s'empressa de tordre le cou au volatile pour
CONTES PICABDS
249"
le fourrer dans son sac; il se disposait à quitter
le presbytère au plus vite dans la crainte que
le curé ne survînt et qu'il ne lui fît rendre
ce qui venait de lui être donné, lorsque la
servante le retint en lui disant:
— C'est aujourd'hui vendredi; je voudrais
faire cuire des haricots pour mon dîner ; tenez,
ils sont accrochés sur le mur au-dessous de
l'avancée du toit. Pour la générosité que vous
fait mon maître, allez chercher l'échelle dans
le bûcher et vous me décrocherez deux bottes
de haricots; vous m'obligerez beaucoup, parce
que je ne saurais monter à cette hauteur.
Le père Noël fit ce qu'on lui demandait.
La servante alla se placer au pied de l'échelle
dans la crainte qu'elle ne glissât. Relevant
la tête pour indiquer an mendiant comment il
devait s'y prendre, elle remarqua distinctement
les deux testicules du pauvre par un énorme
trou de la mauvaise culotte qu'il portait.
Quand il fut descendu sur les derniers éche-
lons, elle introduisit sa main dans cette ouver-
ture et, secouant les deux objets qui l'intri-
guaient si fort, elle demanda:
— Qu'avez-vous donc là, père Noël?
— Ce sont des boîtes d'esprit, ma fille.
— Cela tombe à merveille. Du matin au
soir, sans discontinuer, à propos de tout et de
CONTES PICABDS
тіеп, quoi que je dise ou que je fasse, monsieur
le curé me reproche que je n'ai pas d'esprit;
il n'a à la houche que ces mots: „Sans esprit
par ci, sans esprit par là." J'en ai les oreilles
rehattues. Dites-moi donc, est-ce que c'est
«her de l'esprit?
— Ah! pour vingt sous, on n'en a pas un
•gros paquet.
— Voulez-vous m'en vendre pour trente sous?
— Volontiers; je ne demande pas mieux.
Noël fit entrer la servante dans sa chambre,
la coucha sur son lit, la retroussa et se mit
en devoir de la foutre. La bonne du curé,
toute pâmée, lui remettant trois francs quand
il eut fini, dit:
— Ah! que c'est bon de l'esprit! Vendez-
.in'en encore pour trente sous.
Le mendiant enfila une seconde fois la ser-
vante ; elle prenait tellement goût à cet exer-
cice qu'elle eut volontiers continué. Noël eut
tle la peine à lui faire entendre que c'était
assez pour ce jour-là; il lui fit espérer qu'à
son retour, la semaine suivante, il pourrait
renouveler cette opération, et que ce serait
gratuitement.
Quand le curé rentra le soir au presby-
tère, il demanda des nouvelles du poulet à
-sa bonne.
CONTES PICAEDS
261
— Je vais être tranquille maintenant à son
sujet, répondit-elle, puisque je n'aurai plus à
m'en occuper.
— Que veux-tu dire? Tu Газ laissé
échapper, peut-être ?
— Non, pas du tout; j'ai fait ce que vous
m'avez ordonné tant de fois. Noël, le men-
diant, est venu ce matin, je le lui ai remis
de votre part...
— Mais que tu es bête, ma pauvre fille!
s'écria le curé en colère. Je t'ai dit bien des
fois, il est vrai, que ce poulet était pour
Noël, ce qui voulait dire qu'il devait être
mangé le jour de Noël mais non être donné
à Noël, le mendiant. Pauvre innocente, tu
n'auras jamais d'esprit!
— Je n'aurai jamais d'esprit, dites-vous?
dit la servante en relevant la tête et
en regardant fixement son maître dans
les yeux.
— Non, tu n'auras jamais d'esprit.
— Vous ne savez ce que vous dites, fit-elle
en haussant les épaules.
— C'est trop fort.
— Oui, reprit-elle en mettant ses poings sur
ees hanches, j'ai plus d'esprit dans mon cul
que vous n'en avez dans votre tête; Noël m'en
252 CONTES PICAEDS
a vendu deux portions pour un écu. Il ne tenait
qu'à vous depuis longtemps de me rendre
semblable service.
219 a. Variante.
I gny o ieu enne fois un curè qu'il o acatèV
à le ville plein un paingnier d'andouilles, éde
seuci8son8 pi de seucisses. Quant il est re-
venu à sen prébytère, il o di à se ser-
vante :
— Mettez che paingnier-lo à le cave. OhéV
sero pour Pâques.
— Bon, monsieur le curè, je m'en vos le
renger pour Pâques.
Éle servante al o déchendu che paingnier
dens le cave, et pi sen moite і s'est en allè-
al l'église pour foire catéchime. D'un cœup,
il est venu à che prébytère un pove dé dehora
qu'i sé demandoit.
— La charité s'i vous plaît! qu'i di à le
servante.
Ohéle-chi al о copè un morcieu de pain*
qu'ai о donné à che pove.
— Rien qu'ho? Os n'êtes point donnante.
— Quoi qu'os volez, je n'ai qu'ho à voua
donner. I gny о bien un paingnier d'an-
douilles pi de seucisses, seulemen, monsieur le
curè il о dit que ch'étoit pour Pâques.
CONTES PICARDS
253
— Si ch'est ho, à coease qu'os ne mé s'zé
-donnez point, pus éque ch'est nu que je
m'appéle Pâques?
— Ho étant, ch'est enter cose.
Éle servante al court tout de suite à le cave
•et pi al éremonte éche paingnier qu'ai donne
à che pove. Cheti-chi il avoit un méchant
patalon foit de piéches et de morcieux ; sen bite
i passoit par un treu dens ches enfourques.
— Disez don, Pâques, qu'ai édemande éle
servante, quoi que ch'est qu'i pend lo dens
vos gambes?
— Ho, me fille? Ch'est de l'esprit.
— De l'esprit? Qu'est-ti bien tombé!
Monsieur le curé і me dit toujours éque jé n'n
ai point. Os volez-ti mé n'n en vende pour
dix sous?
— Éje né demande foutre point miux. Cou-
• quez-vous* dessus vo lit; retroussez vos cotrons
pi vo quemise; après, laichez-me foire.
Éle servante al о foit che que che pove i li
avoit quémandé; écheti-chi і n'n і о servi
pour dix sou.
— Ah! mon Diu, qu'il est-ti boin, vo esprit!
Donnez-me m'en coire pour dix sous.
Éche pove il о don requemenchè; quant il
о ieu fini, il о prins ches vingt sous pi che
paingnier et pi і s'est en allé. Monsieur le
254
CONTES PICAEDS
curè il est revenu dé Г1 église un molet
après; ii o déchendu dens le cave pour vir si
che paingnier il avoit 'tè bien rengè. Il o>
remontè tout de suite fin méchant.
— Où qu'os avez mi ches andouilles et pi
ches seucisses?
— N'avez-vous point dit que ch'étoit pour
Pâques? Il est venu tout à l'heure. Jé s'z і
ai données.
— Dalue! J'ai bien raison de dire qn'oa
n'avez point d'esprit.
— Point d'esprit? ... Point d'esprit, mon-
sieur le curè ? ... Eh bien, apprendez que jé
n'n ai pus dens men con qu'os n'n avez dena
vo téte.
220. Pour ne pas devenir aveugle.
Un paysan, qui approchait de la trentaine,,
persistait à garder le célibat. Bien que d'une
constitution robuste et jouissant d'une trèa
riche santé, il avait vécu jusque-là dans une
continence absolue sous le rapport des plaisirs
sexuels. En avançant en âge, il éprouva les
conséquences fâcheuses de son jeûne obstiné,
si peu conforme aux lois de la nature. De-
multiples et fréquentes indispositions se pro-
CONTES PICABDS
255>
duisirent, qui semblaient devoir compromettre
son état de santé s'il n'y était apporté de
prompts remèdes. Il alla consulter un méde-
cin, qui lui donna simplement le conseil de se-
marier au plus tôt, lui assurant que ses ma-
laises disparaîtront alors comme par en-
chantement.
Le jeune homme n'avait que l'embarras du
choix: il y avait plusieurs jolies filles dans le
village qui auraient été heureuses de contri-
buer à sa guérison en unissant leur destinée
à la sienne. Il était beau garçon, grand tra-
vailleur et avait de beaux biens au soleil; en
un mot, c'était un parti excellent. Il jeta son
dévolu sur l'une de ses compatriotes et fut
agréé aussitôt; mais, pour diverses raisons
toutes particulières, le mariage ne put se faire
qu'à une époque encore éloignée. La santé du
futur, continuant de s'altérer, il s'en inquiéta
et retourna consnlter le médecin.
— Vous n'avez point suivi mon conseil?"
demanda ce dernier.
— Je ne suis pas marié, mais j'ai une-
bonne amie ...
— Cela ne suffit pas ; c'est une femme qu'il*
vous faut.
— Nous ne pourrons nous marier que dans-
quelques mois.
256
CONTES PICAEDS
— Si votre mariage doit se faire avec votre
prétendue.. .
— Oui, assurément, je n'en épouserai point
d'antre, je lui ai donné ma parole et elle m'a
engagé la sienne.
— Eh bien, dans ces conditions, il faut que
vous soyez, dès ce jour, comme mari et femme.
Ce que je vous ordonne n'est point très moral,
mais il y va pour vous d'une grave question
de vie ou de mort.
— Comment, il faut que nous con-
ditions ...
— Parfaitement, interrompit le docteur.
Il faut que vous rendiez le plus souvent
possible à votre promise les devoirs qu'un
mari doit à sa femme, sinon, vous aurez perdu
complètement la vue avant trois mois.
En quittant le médecin, le jeune homme,
heureux des explications que l'homme de l'art
venait de lui donner, alla trouver sa bonne
amie et lui fit connaître le résultat de sa
consultation. H est superflu d'ajouter qu'elle
se prêta de la meilleure grâce du monde à
participer au remède imposé par le docteur.
Or, les effets, ne tardèrent pas à s'en faire
sentir. L'heureux fiancé prenait chaque jour
une vigueur nouvelle et aucun de ses malaises
ne reparut.
CONTES PICABDS
257
A quelque temps de là, on fixa la date du
mariage des deux jeunes gens; ces derniers
ee rendirent une première fois à confesse huit
jours avant la célébration de leur noce. Le
curé demanda au futur s'il avait des rapports
sexuels avec sa bonne amie.
— Oui, dit-il, et autant que je le puis;
c'est même pour ce motif que je me marie.
— Eh bien, dès aujourd'hui, il faudra cesser
ce commerce jusqu'au jour de votre mariage,
afin que vous soyez tous les deux en état de
grâce pour recevoir ce sacrement.
Le futur ne prit aucun engagement. Huit
jours plus tard, il retourna à confesse.
— Je dois vous marier demain, dit le prêtre.
Avez-vous tenu compte de ma recomman-
dation ?
— Pour ça, non.
— Quelle en est la raison?
— Mon médecin m'a expressément ordonné
de coucher le plus possible avec ma bonne
amie.
— Votre médecin serait-il donc conseillé
par le démon?
— Je n'en sais rien, mais il m'a assuré à
maintes reprises que, si je n'observais point
ses prescriptions, je deviendrais aveugle.
Kqvtct. XI. 17
CONTBS PICAEDS
— Il est fon, votre médecin; s'il en était
ainsi, vous voyez ce mur, il est épais; eh bien,
je pourrais voir à travers; tenez-le pour cer-
tain, c'est moi qui vous le dis.
221. Lève-toi, Madelon.
L'évêque d'Amiens étant en tournée de con-
firmation traversait un soir un village quand
l'un des deux chevaux de sa calèche buta sur
un caillou et s'abattit sur le chemin. Pendant
que le cocher, aidé de quelques paysans, rele-
vait le cheval, l'évêque, jugeant qu'il lui était
impossible de se rendre au bourg voisin, alla
frapper à la porte du presbytère pour de-
mander l'hospitalité au curé. Il fat bien
accueilli, on le devine sans peine. Mais quand
vint l'heure du coucher, le curé se montra in-
quiet ; il ne disposait que de deux lits, le sien
et celui de sa servante. L'évêque s'aperçut
de son embarras.
— Où allez-vous me mettre, monsieur le
curé? demanda-t-il.
— Dans mon lit.
— Combien avez-vous de lits?
— Deux, le mien et celui de ma bonne.
CONTES PICABDS
259
— Alors, où coucherez-vous ?
— Sur un matelas dans mon fournil; pour
une nuit, je n'en mourrai pas.
— Je ne l'entends pas ainsi, dit l'évêque.
D'ailleurs, vous voulez m'en faire accroire;
vous vous proposez rejoindre votre bonne dans
son lit dès que vous m'aurez quitté, avouez-
le-moi tout simplement.
— Oh! monseigneur! . . . s'exclama le
curé en rougissant jusqu'à la racine des
cheveux.
L'évêque fut fixé en voyant son subordonné
perdre toute contenance.
Madelon, la cuisinière du presbytère, était,
en même temps qu'un cordon bleu émérite,
une forte fille entre deux âges, fraîche en-
core, potelée, appétissante, en un mot, mai-
gré ses quarante printemps bien sonnés;
c'était le type réussi du fruit dans toute sa
maturité.
Après un assaut de politesse assez prolongé
des deux parts, l'évêque dit:
— Nous coucherons tous les deux, vous et
moi, dans votre lit.
Le curé déclina cet honneur insigne, mais son
supérieur imposa sa volonté ; enfin, le premier se
soumit respectueusement. Leurs prières faites
17*
CONTES PICAEDS
en commun, ils se couchèrent, et, l'estomac bien
lesté, ils ne tardèrent pas à ronfler comme
des tuyaux d'orgue. Le lendemain, au point
du jour, la servante du fermier arriva suivant
son habitude avec une pinte de lait qu'elle
apportait au presbytère. Trouvant la porte
fermée, elle tira vigoureusement le cordon
de la sonnette; au bruit, le curé s'éveilla
brusquement; il frappa du plat de la main
sur le ventre de son camarade de lit, disant
encore à moitié endormi:
— Vite, vite, Madelon, lève-toi, ma fille;
voici la laitière.
A peine eut-il prononcé ces paroles ma-
lencontreuses, qu'il s'aperçut de son impair;
il essaya de réparer cette gaffe phénoménale
et ne réussit qu'à aggraver son cas en s'em-
brouillant dans des explications incohérentes.
L'évêque, qui faisait semblant de dormir, jouit
pendant quelques instants du trouble, de la
confusion du curé. Prenant enfin la parole,
il lui dit fort amicalement:
— Ne vous tourmentez donc pas pour si
peu, mon brave curé. Quand j'étais jeune et
simple desservant, je faisais comme vous.
CONTES PICABDS
261
222. Eche chariot dens le panche
monsieur le curè.
I gny o ieu nn curè qu'il étoit malade éde-
puis déjo longtans quant il o ieu l'idée de
consulter enne féme éde Frise. Comme éle
féme-lo al connaicboit ches maladies par éle
pichade qu'o li apportoit, no curè і n'n o foit
remplir enne bouteille éde verre; ho foit, il
о huquè se servante.
— Catherine, vlo enne bouteille éde pichade.
Tu t'en vos t'n aller aveuc moison dé le féme
éde Frise. Si a' te dit qu'i feut des drogues,
tu les prendros en passant chez che l'apothi-
caire d'Albert.
Éle servante al o prins le bouteille et pi al
s'est en allée aveuc à Frise. En passant dens
che darin village édevant arriver, al о buté
sen pied d'un cailleu; al est queute à tére en
brisant le bouteille.
— Jésus! Maria! Quoi foire? Quoi qu'i
diro monsieur le curè?
Éle servante al étoit quasimen prête à
s'arracher ses gueveu de chagrin quant i li
est venu enne idée. Al о rentré d'enne
moison; al о raconté che qu'i venoit de
li arriver à le féme dé le moison, qu'ai étoit
grosse.
0ONTB8 PICAEDS
— Os seroite bien obligeante, madame,
qu'ai dit, si os voloite éme donner enne ente
bouteille et pi picher dedens. Monsieur le
curè і n'en séro mie rien, ha foit que comme
ho і né me mettro point à le porte.
— Est bien aisè. Je m'en vos foire éche
qu'os mé demandez.
Quant о ieu 4è fini, le servante al o prins
le bouteille et pi al s'est en allée à le moison
dé le féme éde Frise.
— Monsieur le curè il est malade édepuis
quéque tans; і m'envoie vous vir pour enne
consultation. Vlo vingt lives qu'i m'o données
pour vo peine.
Éle féme al о ravisé le bouteille.
— Éche n'est mie dé le pichade d'homme ho.
— Quement? Ch'est portant chelle éde
monsieur le curè.
— Ha n'est point possibe.
— Quant éje vous dis que si est. I gny о
rien de pu vrai.
— Ho étant, monsieur le curè il о un
chariot dens se panche.
— Un chariot? Os riez.
— Point du tout; seulemen, est facile à
guérir. Os prendrez en passant chez l'I apo-
thicaire d'Albert pour deux sous dé le graisse
que je m'en vos écrire édessus un morcieu de
CONTKS PICARDS
26В
papier. En rentrant à che prébytère, os direz
à monsieur le cnrè qui frotte ése panche
aveuc un morcieu de laine et pi dé le graisse-lo
dessus; après, i sero guéri.
Éle servante al s'est rennallèe. En passant
Albert, al о acatè pour deux sous de graisse
chez che l'apothicaire. Quant al о été revenue
à che prébytère, monsieur le curè і li dit:
— Et pi, Catherine, quoi qu'ai о dit le féme
éde Frise?
— Ne m'en parlez point, monsieur le curè;
al о dit quéque cose éde si fort que je n'y
comprends point rien du tout.
— Quoi que ch'est n'n est, don?
— Qu'os avez un chariot dens vo panche.
— Ha ne peut mie été.
— Si est, si est, si est. A preuve éque j'ai
prins chez che l'apothicaire deux sous d'enne
graisse qu'ai fero sortir éche chariot. Os allez
prende un morcieu de laine et pi os frotterez
vo panche aveu le graisse-lo.
Monsieur le curè il о retroussé se suténe,
il о déboutonné se culotte pour ése mette à
foire éche que se servante al venoit de li dire.
I s'est rapensè tout de suite.
— Catherine, qu'i dit, viens frotter ti-méme
éle graisse-lo.
— Ah! monsieur le curè, os n'y pensez point?
264 CONTES PICAEDS
— Si est; і ne fent mie que tu fuchę*
génèe. Par ti, ha sero miux foit.
éle servante al s'est mis tout de même à
frotter le panche éde sen moite. D'un cœup,
le broquette monsieur le curè al s'est redréchèe:
— Ah! monsieur le curè, jé ne vous ai-ti
point dit qu'os avoite un chariot dens vo panche?
Beyez, vlo che timon qu'i sorte déjo.
(Kryptadia, П, 128-126.)
223. La planche mitoyenne.
Un doyen alla rendre visite un jour à l'un
de ses curés nouvellement installe: en entrant
au presbytère, il n'y trouva que la servante.
— Ah! monsieur le doyen, mon maître re-
grettera bien d'avoir été absent lorsque je lui
annoncerai à son retour le soir que vous êtes
venu-pour le voir.
— Comment, monsieur le curé ne rentrera
que le soir?
— Oui, monsieur le doyen. Il a été appelé
auprès de son père gravement malade, et son
pays n'est pas là.
— C'est un fâcheux contre-temps. J'étais
venu pour passer la journée ici. Je ne puis
CONTES PICABDS
retourner chez moi à pied; une voiture doit
venir me prendre l'après-midi. Que faire?
— C'est bien simple, monsieur le doyen.
Vous dînerez ici, quoique je n'aie pas tout
ce qu'il faut pour vous bien recevoir. Mon
maître me ferait des reproches, — d'ailleurs
mérités, — de ne pas vous avoir donné à
manger. J'ai des Japins; je vais tuer le plus
beau et je le ferai sauter à la casserole; c'est
un mets que je réussis bien; vous vous en
lécherez les doigts.
— C'est entendu, ma fille, dit le doyen.
Et, tandis que la bonne du curé était
occupée à lui préparer son repas, il passa une
sorte d'inspection dans le presbytère, ce qui
ne fut point de longue durée, car les apparte-
ments, fort exigus, n'étaient guère nombreux,
et, de plus, sommairement meublés; il visita
tout, de la cave au grenier. Une chose
l'étonna grandement: il n'avait vu qu'une
chambre et un seul, lit.
— Où donc mettrait-il coucher sa servante?
se demandait le doyen. Coucherait-elle ailleurs
qu'au presbytère?
C'est sous la préoccupation de cette consta-
tation qu'il se mit à table lorsqu'il fut pré-
venu que tout était prêt. Quand vint le café,
CONTES PICAEDS
il complimenta vivement le cordon-bleu du
curé; puis, il lui dit:
— Tout à l'heure, en visitant le presbytère
pour tuer le temps tout simplement, soyez-en
sûre, je n'ai vu qu'une chambre à coucher et
un lit.
— Ah ! dame, monsieur le doyen, c'est qu'on
est bien à l'étroit ici.
— C'est vrai. Mais, qui couche dans ce lit ?
— Monsieur le curé.
— Et vous, où couchez-vous donc? Dans
une maison du village?
— Je couche au presbytère.
— Vous placez un matelas sur le plancher
de la salle?
— Non, pas du tout, monsieur le doyen.
Je couche dans la chambre de mon maître.
— Vous retirez un matelas de son lit?
— Non pas; il n'en a qu'un.
— Comment faites-vous donc? demanda le
doyen qui craignait trop bien comprendre.
— Voilà, puisque vous tenez à être ren-
seigné. Monsieur le curé, qui n'est pas riche,
n'a jamais eu les moyens, jusqu'ici, d'acheter
un second lit. Chaque soir, en nous couchant,
nous plaçons une planche au milieu du lit, de
sorte que nous nous trouvons séparés par cette
espèce de cloison.
CONTES PICABDS
267
— Monsieur le curé ne retire jamais cette
planche?
— Par notre accord, c'est défendu.
— Mais s'il l'enjambait?
— U serait a Tarnende de dix sous; de
même, lorsque je passe par-dessus, j'en ai pour
la même somme ... Tenez, nous sommes
aujourd'hui jeudi, et, depuis dimanche, j'ai
gagné cent sous.
— Monsieur le curé a enjambé la planche
dix fois depuis cinq jours?
— Bien plus que cela. Comme je sais que
mon maître n'est pas riche et qu'il aurait bien
de la peine à me payer, — il est si chari-
table, — je me racquitte en passant par des-
sus la planche; c'est ainsi que nous ne dé-
boursons jamais un sou ni Tun ni l'autre.
Je ne sais ce qui se passera cette nuit, mais
il peut se faire que monsieur le curé ait re-
gagné d'ici demain matin les cent sous qu'il
me doit
223a. Variante.
Ce n'est pas toujours un curé qui est le
héros de cette aventure. On raconte aussi
qu'un vieux garçon s'était retiré à la ville, où
il vivait des subsides que lui envoyait sa mère.
Au bout de quelque temps, il prit une bonne,
parce que la solitude lui pesait. Un jour, sa
CONTES PICAEDS
mère arriva chez lui inopinément ; elle ne fut pas
peu surprise de rencontrer une domestique chez
son fils, car ce dernier n'avait pas cru devoir
Геп informer. La bonne femme visita l'apparte-
ment et se montra surprise de ne voir qu'un lit.
— Tout est sauvegardé, ma mère; le soir,
en me couchant, je mets une planche au milieu
du lit; Catherine couche du côté du mur et
moi je couche sur le devant.
La bonne, qui avait entendu, s'écria aussitôt:
— Votre fils ne vous dit pas tout, madame.
Il a été convenu que, quand il passe par-dessus-
la planche, il est à l'amende de dix sous à mon
profit. Tenez, à ce propos, il me doit trente
sous de la nuit dernière.
224. Le chien parlant.
Un éleveur de toutes sortes de volailles,
dresseur de chiens et marchand d'oiseaux comme
il s'en rencontre dans les villages, entra un
jour au presbytère; il n'y trouva que la ser-
vante du curé. A la vue d'un étranger, Azor,
le chien de la maison, se mit à japper autour
de l'homme. La bonne le rappela en lui or-
donnant de se taire, ce qu'il fit aussitôt.
C0NTE8 PICABDS
269
— Vous avez un beau chien, dit Poiseleur,
et, de plus, il est fort obéissant; d'ailleurs,
j'en ai entendu parler plusieurs fois.
— Âh! pour ça, Azor n'a point son pareil.
Tenez, je vais vous faire voir quelques-uns de
ses petits talents.
Et, en même temps, la servante commanda
•divers exercices au chien, qui les exécuta avec
une précision surprenante. L'homme ne taris-
sait point de compliments.
— Vous avez dressé merveilleusement ce
•chien, dit-il ; il est étonnant, je le vois ; il ne
lui manque que la parole. A ce propos, savez-
vous qu'il y a dans un village des environs
de Paris un dresseur de chiens qui apprend
«es animaux à parler?
— Que me dites-vous là? C'est ce qui ne
s'est jamais vu de la vie. Vous vous moquez
de moi.
— Pas du tout; je connais l'homme, puisque
c'est un de mes confrères. Je vous répète
qu'il est parvenu à faire parler les chiens;
d'ailleurs, qu'y a-t-il d'étonnant à cela? Puis-
qu'ils aboient, ils peuvent parler.
Ce dernier argument parut ébranler sa naïve
interlocutrice, qui ne brillait point par l'in-
telligence. Bref, il lui donna tant d'expli-
cations qu'il finit par la convaincre.
270
CONTES PI0AED8
— Savez-vous ce que vous devez faire?
ajouta-t-il. Vous avez beaucoup d'influence
sur l'esprit de monsieur le curé. Engagez-le
vivement à faire un sacrifice pour tenter cette
expérience, qui réussira certainement. Le dres-
seur demande cent cinquante francs; votre
maître ne serait pas ruiné par cette dépense.
S'il y consent, comme je l'espère, je me char-
gerai de conduire et de ramener le chien
moyennant le remboursement de mes frais de
voyage, qui seront de trente francs. Est-ce
que ce ne sera point glorieux pour vous de
posséder un phénomène semblable? On en
parlera à vingt lieues à la ronde.
Là-dessus, l'homme quitta le presbytère.
Quand monsieur le curé rentra, sa servante
le mit au courant de ce qui s'était passé en
son absence ; elle insista avec l'entêtement des
gens bornés. Poussé à bout, le curé, qui ne
savait rien lui refuser, pour avoir la paix, la
chargea de lui amener l'homme ; c'est ce qu'elle
fit sans perdre de temps. Le marchand
d'oiseaux revint au presbytère. Lorsqu'il se
trouva en présence du curé, ce dernier lui dit ;
— Quels mensonges avez-vous donc faits il
y a un instant à ma domestique?
— Monsieur le curé, j'ai dit la pure vérité
du bon Dieu ; jamais je ne. mens. Je voua
CONTES PICABDS
271
garantis que, pour cent cinquante francs pins
trente francs pour mes frais de voyage, je vous
ramènerai un chien merveilleux avec lequel
vous pourrez causer.
Aidé par la bonne, qui avait mordu à
l'hameçon, il parvint à vaincre la résistance
du curé auquel il soutira cent quatre-vingts
francs, qu'il emporta en même temps que le
chien. Rentré chez lui, l'homme enferma le
chien dans une étable et dit à sa femme sans
plus d'explication:
— Pour quarante-huit heures, je suis parti
aux environs de Paris; c'est ce que tu ré-
pondras à ceux qui demanderont après moi,
sans ajouter un mot de plus.
Dans la matinée du troisième jour, le mar-
chand d'oiseaux se présentait au presbytère.
— Eh bien, lui demanda le curé, et Azor?...
— Ah! monsieur le curé, il est étonnant
votre chien; quelle intelligence! C'est un
véritable prodige. Croiriez-vous que, quand
je l'ai quitté hier soir, il nommait déjà toutes
les lettres de l'alphabet depuis A jusqu'à Z?
Le dresseur m'a dit que cet animal est extra-
ordinaire et qu'il n'en a jamais vu aucun
doué d'une pareille intelligence. Pour com-
pléter l'instruction d'Azor, son professeur exige,
un supplément de deux cents francs.
272
CONTES PICARDS
Le marchand d'oiseaux s'aperçut que le curé
se montrait dur à la détente; pour enlever le
morceau, il broda un récit imaginaire avec
tant d'art que la servante, intervenant bientôt,
fit décider son maître à verser les deux cents
francs demandés, plus trente francs pour les
frais de voyage de l'intermédiaire. Celui-ci
revint chez lui et dit à sa femme:
— Cette fois, à tous ceux qui viendront pour
me voir, tu répondras que je suis aux environs
de Paris pour quatre jours.
Le cinqoième jour, l'homme, allant dans
l'étable où il avait enfermé Azor, lui trancha
la tête avec sa serpe; il fit un trou dans son
jardin pour y enterrer le corps du chien; ra-
massant ensuite la tête de l'animal, il l'entor-
tilla dans un morceau de papier très épais et
prit le chemin du presbytère; en entrant, il
trouva le curé, qui était seul.
— Ah! vous voilà revenu, s'écria-t-il tout
joyeux. Me ramenez-vous Azor?
— Ne m'en parlez pas, monsieur le curé,
répondit l'homme sur un ton très affecté. U
m'est arrivé une bien singulière aventure.
— Mon chien serait-il donc mort? Ré-
pondez.
— Tenez, voici sa tête, dit le marchand
d'oiseaux en développant le papier.
273
— Ah ! bonne sainte Vierge ! qn'est-il donc
arrivé ?
— Voilà. Je revenais dans la diligence
avec Azor, qui parlait dans l'admiration.
Arrivés à Amiens, nous descendîmes pour re-
venir ici à pied. Tant qu'il y eut du monde
avec nous, il n'y eut jamais moyen de faire
causer votre malin chien. Mais, dès que nous
noue trouvâmes seuls sur le chemin, il se
dressa contre moi et me dit avec des larmes
dans les yeux:
— Je te serai toujours reconnaissant du
service que tu m'as rendu en faisant de moi
presqu'un homme. Je n'oublierai jamais ce
que je te dois. Mais, avant de rentrer au
presbytère, chez mon maître, je dois t'avouer
qu'il y a une chose qui me chiffonne et que
je ferai connaître à tout le monde dans le
village et même au dehors si elle se renouvelle
encore.
— Que veux-tu dire, Azor? Explique-toi.
— Si monsieur le curé continue comme par
le passé à coucher avec sa servante . ..
Je n'en ai pas laissé dire davantage à
votre chien, monsieur le curé, continua le
marchand d'oiseaux; craignant pour vous les
suites de son bavardage, j'ai sorti mon couteau
de ma poche et je lui ai tranché la tête, que voici.
K(jvm. XI. 18
274
CONTES PICABD8
— Vous avez bien fait, dit le curé. Tenez,
voici pour vous.
Et il lui remit un louis en lui recommandant
la plus grande discrétion sur ce point.
225. Adam au paradis terrestre.
Il y a bien, bien longtemps, le maître d'école
de certain village allait très souvent passer
la soirée au presbytère pendant la saison
d'hiver. Or, un samedi, en entrant dans la
cour, il remarqua de la lumière dans l'arrière-
cuisine; il s'approcha doucement de la fenêtre
et regarda à l'intérieur. Monsieur le curé
tenait un chandelier à la main et passait en
revue sa batterie de cuisine en compagnie
d'une nouvelle bonne qu'il venait de prendre
à son service en remplacement d'une vieille,
servante morte la semaine précédente. C'était
aussi une sorte d'examen qu'il faisait subir à
cette fille; il lui demandait d'appeler par leur
nom tous les ustensiles accrochés au mur ou
posés sur les tablettes et la priait de lui en
faire connaître l'usage. Ici, c'était un gril,
un couperet ; là, c'était un pilon, une passoire,
un entonnoir, une broche, une lèchefrite, etc.
CONTES PICAEDS
275
Après que tons les objets eurent été ainsi
désignés, la bonne descendit de l'escabeau sur
lequel elle se trouvait; ses jupons et sa che-
mise s'étant malencontreusement accrochés à
un clou. — à moins que ce ne fût à dessein —
elle laissa voir son devant dans toute sa nudité.
— Tiens, qu'avez-vous là? demanda le curé
en portant la main sur le con de la fille.
— C'est le paradis terrestre, monsieur le curé.
— Vous n'êtes pas conformée comme moi,
voyez, dit le curé en relevant sa soutane et
en déboutonnant sa culotte, qu'il ouvrit large-
ment.
— C'est vrai, dit la servante. Qu'avez-vous
là? demanda-t-elle en empoignant à pleine
main le vit de son maître.
— C'est Adam. Voulez-vous, ma fille, que
je le mette dans le paradis terrestre?
— Volontiers; il sera à sa place.
La bonne se coucha tout de suite sans
prendre la précaution d'éteindre la chandelle,
tant il lui tardait de donner un échantillon
de son savoir-faire. Le curé se mit en devoir
de faire entrer Adam dans le paradis terrestre ;
il y pénétra sans difficulté et il s'y trouvait
depuis un instant quand le maître d'école, qui
avait tout vu sans perdre un mot du dialogue,
frappa sur le carreau de la fenêtre.
18*
276
CONTES PICAEDS
— Qui là? demanda le cnré.
— C'est moi. magister.
— Est-ce qu'il y a longtemps que vous y êtes
?
— Depuis qu'Adam est entré dans le paradis
terrestre, monsieur le curé.
225 a. Variante.
I gny avoi enne fois un curè qu'il avoit
dens sen gardon un poirier carquè de poires.
O venoit s'zé voler tous les Duits ; і s'est con-
sulté aveuc ése servante pour savoir quoi qu'o
porroit foire; vlo che conseil qu'a' li о donné.
— Monsieur le curè, i feut ahoquer des
vieilles sonnettes au bout de ches quiotés
branques; quant і se mettront à tinter, os
serez que ches voleus is y sont.
Cho été foit comme ho. Quant éle soir il
о ieu été arrivé, ches voleus il ont passé pa-
dessus le haie et pi il ont monté dens che
poirier ; tout de suite, ches tintettes і se sont
mis à carillonner; ches gardineu il ont foutu
le camp vite et bon train sans ramasser ches
poires qu'il avoite foit queir. Éche curè і s'est
réveillé; il о peu vir ches malzants qu'i se
sovoite.
— Che n'est mie le peine éde mé lever,
qu'i s'est dit à part li; édemain, je ramasserai
ches poires queutes.
0ONTE8 PICABDS 277
An matin, і s'est don en allé à che pied de
sen poirier en compaignie dé se servante;
chéle-chi, en rélevant ses cotrons ponr mette
ches poires dens sen gron, al o prins se
qnemise aveuc; monsieur le curè i li voyoit
sen con.
— Éme fille, quoi que ch'est qu'os avez lo
enter vos gambes?
— Monsieur le curè, ch'est Rome.
— Est bien, est bien.
Au bout d'un moment, éche gron dé le ser-
vante il étoit plein de poires à couplet.
Éche curè il o retroussé aussi se suténe
pour ramasser des poires; o li o vu sen
moigneu.
— Monsieur le curè, quoi que ch'est qu'i
pend lo dens vos gambes?
— Éme fille, ch'est le pape.
— Éle pape?
— Oui, quiote. Tu sais que le pape і reste
à Rome; couche-té dessus l'I herbe, os re-
mettrons le pape dens se ville.
— Ch'est enne boine idée, monsieur le
curè; vite, vite, mettons bien rade éle pape
dens Rome.
(Kryptadia, H, 128-129.)
278
226. Le panaris.
Une jeune fille souffrait d'un mal d'aven-
ture dû sans doute à une piqûre qu'elle s'était
faite au doigt. Un jour, qu'elle se trouvait
seule au logis, elle vit passer le curé ; sachant
qu'il se connaissait aux maladies, elle l'appela.
Le prêtre entra aussitôt, examina attentive-
ment l'abcès et reconnut qu'il ne tarderait
pas à crever. Une idée lui passa par la tête.
— Je connais un remède efficace, dit-il, qui
vous procurera une prompte guérison, mon
enfant, si vous voulez bien l'employer à l'instant.
— Que faut-il faire, monsieur le curé?
— Vous introduirez votre doigt malade dans
certaine cavité de votre corps, qui est cachée
sous vos vêtements; vous l'y laisserez un
certain temps, tout en lui imprimant un
mouvement de va-et-vient, et vous répéterez
cet exercice jusqu'à ce que l'abcès crève.
La naïve enfant, insuffisamment renseignée
à son gré, demanda de plus amples explications.
Le curé, la retroussant jusqu'au nombril, lui
prit ensuite le doigt malade et le fit entrer
doucement dans le con de la jeune fille en le
faisant brandiller à la grande satisfaction de
la malade. Puis, le curé sortit recommandant
bien à sa paroissienne de continuer l'opération
CONTES PICABDS
27»
jusqu'à complète guérison. Or, comme le pas-
sage était étroit, le doigt se trouvait com-
primé à tel point que l'abcès ne tarda pas à
crever. La patiente se trouva soulagée; elle
se dit:
— Monsieur le curé m'a indiqué là un ex-
cellent remède. J'irai l'en remercier.
Dès le surlendemain, se trouvant complète-
ment guérie du mal qui l'avait tant fait
souffrir, elle se rendit au presbytère. Le curé
se trouvait seul, sa servante venant de sortir
pour aller faire ses provisions.
— Je viens vous remercier, dit-elle.
Sans la laisser achever, le curé se mit à
geindre et dit:
— Je ne sais si j'ai gagné votre mal, mais,
à mon tour, je souffre horriblement d'un panaris.
La jeune fille, jetant les regards sur les
doigts des mains du curé, ne vit rien.
— Mais, dit-elle, vous connaissez le remède ;
vous avez ce qu'il faut comme moi.
— Pas du tout, mon enfant; voyez vous-même.
Et, relevant sa soutane et déboutonnant sa
culotte, il fit voir à sa visiteuse qu'il était
d'une conformation toute différente.
— Tiens, remarqua-t-elle, vous avez un
doigt à cet endroit-là, et c'est lui qui est
malade. Oh! quelle inflammation! il est tout
CONTBS PICABDS
ronge dane le haut Gomme voue devez souffrir
tout de même... Maie, j'y pense, si vous
l'introduisiez à l'endroit où j'ai mis le mien?
proposa la candide enfant
— Je ne demande pas mieux, mais je
n'osais point vous en prier.
— Faites donc, monsieur le curé, faites vite.
Le curé, retroussant la jeune fille, la ren-
versa sur son lit et l'enfila; il y mit un tel
feu qu'à un moment la fillette s'écria toute
pâmée:
— Ah! monsieur le curé, vous allez être
guéri, je sens que ça crève.
Quand le curé se fut relevé, elle lui dit en
se regardant:
— C'est crevé, en effet. Voyez donc tout
le pus que contenait votre doigt; il en est
sorti beaucoup moins du mien.
227. L'ésieu frouc-frouc.
I gny avoi enne fois enne jonne fille qu'ai
étoit malade édepuis longtans; o ne savoit
point quoi qu'ai avoit. Ches pu grands méde-
cins il étoite venus; i li avoite foit prende des
drogues éde tous les sortes qu'i n'avoite érien
CONTES PICABDS
281
foit. Éle quiote-lo al étoit bien gentie; éche
curé il éroit bien volu le boisier ; senlemen,...
qnement y arriver? Ch'étoit lo le pu difficile.
Enne fois, il o rencontré le malade qu'a' se
promenoit au bord dé che village; і s'est ap-
proché d'elle.
— Bojour, éme quiote.
— Bojour, monsieur le curè.
— Qnement qu'ha vo ? Os me semblez mini
que ches jours passés.
— Nan, monsieur le curè; éje sut toujours
si malade; éje sut à le déballation.
— Os n'allez don jamois vous promener dens
che bos? L'air і vous feroit du bien, і vous
guériroit.
— Os croyez ho?
— Je nen sut seur. Senlemen, si os y allez,,
foites attache dé ne point aller dens ches
quiots sentiers dessous che bos. Os suirez le
grande voie. Marchez tout duchemen pour éne-
point vous recrandir... Ah! j'allois oublier
quéque cose; dens che bos, i gny о un grand
ésieu qu'os appelé frouc-frouc parce qu'i
foit che cri-lo et pi qu'i cherche à désyuter
ches gens qu'i rencontre. Sitôt qu'os en-
tendrez dens ches buichons foire frouc! frouet
fermez vos yux, éle l'ésieu і se sovero tout
de suite.
282
CONTES PICAEDS
Éje vous remercie bien de tos conseils. Dret
demain matin, je m'en irai à che bos.
Éche cnrè і s'est en allé en frottant ses
mains. Le lendemain matin, le jonne fille al
s'est envoie promener dens le grande allée dé
che bos, ion qn'i gny avoit jamois personne.
— Monsieur le curè il o ieu lo enne rude
boine idée, qu'ai pensoit en part elle. I foit
rudemen boin ichi au mitan de ches abres et
pi de ches bouquets qu'i sente-té si boin. J'y
revarrai.
D'un cœup, al entend dens che fond dé che
bos foire: „Fronc! frone! frone! frone !"
— Ch'est 11 ésieu! Je n'ai qu'à prende soin
à mi... Éje sut béte; il est de trop loin;
і ne varro mie jusqu'ichi.
Al s'est don promenée.
— Frouc! frone! frone! qu'ifoisoit 11 ésieu
tout prés d'elle.
Al о volu se sover, seulemen, ches cris і
devenoite effrayants; al s'est arrêtée; al о re-
levé ses cotrons pi se quemise pour mucher
ses yux aveu. No curè — os о bien adevinè
que ch'étoit li qu'i foisoit frouc! frouc! dens
che bos, — і n'o point perdu de tans. Bien
rade, il о retroussé se suténe, il o aherd sen
moigneu à plein main et pi il l'o lanchè dens
le caille dé le fille; chéle-chi al disoit:
CONTES PICARDS
283
— Entique ten bec dens men con si tu
veux, ta ne porros toujours point le mette
dens mes yux.
(Kryptadia, її, ібо-ш.)
228. Le gamin du couvreur.
La femme d'un couvreur, jolie brunette tou-
jours disposée à jouer à la bête à deux dos,
entretenait depuis quelque temps des relations
avec le curé. Un jour, ce dernier, en sortant
de l'église, aperçut le couvreur qui travaillait
sur un toit; il fit un détour pour n'être pas
vu de lui et alla trouver sa femme ; elle était
chez elle en compagnie de son petit garçon
qui était âgé d'une dizaine d'années; pour se
débarrasser de lui, le cnré lui donna deux sous
en lui disant d'aller acheter des bonbons, non
point dans l'épicerie voisine, où ils ne valaient
rien, mais chez l'épicier qui demeurait à l'ex-
trémité dn village, parce qu'il tenait des
sucreries de qualité supérieure. L'enfant quitta
aussitôt la maison, mais il revint prendre sa
toupie, qu'il avait oubliée. Ne voyant plus
personne dans la cuisine, et entendant la voix
de sa mère dans la chambre voisine, il colla
son œil au trou de la serrure de la porte;
284
après qu'il eut vu ce qui s'y passait, il
sortit.
Dans la rue, il marchait doucement, tout en
sifflotant et regardant à droite et à gauche»
Tout à coup, il aperçut son père sur le toit
d'une maison; il lui cria bonjour et lui montra
ses deux sous.
— Qui t'a donné cela?
• — Je vais acheter des bonbons.
— Tu ne me réponds pas. Qui t'a donné
ces deux sous?
— Je vais chez Catherine parce qu'ils sont
meilleurs que chez Gertrude, m'a dit monsieur
le curé.
— Ce sont des sous que tu as volés?
— Non.
— Qui te les as donnés, encore une fois,
méchant gamin? Me le diras-tu?
— Non, je ne le dirai pas.
Et l'enfant, continuant son chemin, se remit
à siffloter. Revenant bientôt sur ses pas, il
dit, comme obéissant à un remords:
— Tiens, il faut que je te le dise, papa;
retourne tout de suite chez nous; il doit s'y
passer quelque chose qu'il faut que tu saches ;
quand je suis parti, j'ai regardé dans notre
chambre par le trou de la serrure; maman
CONTES PICARDS
285
était retroussée et monsieur le curé était dé-
boutonné; je crois qu'ils vont chier sur la
•descente de lit.
228 a. Variante.
Cette fois, il s'agit d'un cantonnier, qui,
pour la fête de son village, avait invité l'un
de ses confrères d'un pays voisin. A cette
occasion, il avait blanchi à la chaux les murs
de sa maison tant à l'intérieur qu'à l'extérieur ;
il avait lavé soigneusement le pavé et nettoyé
proprement le trottoir de la rue. Quand il eut
Dien approprié les appartements, sa femme lui dit :
— Je crains bien que tu ne te sois donné
beaucoup de mal en pure perte.
— Pourquoi donc, femme?
Celle-ci, montrant ses deux petits garçons,
répondit :
— Avec ces vauriens, qui vont chier par-
tout, dès que l'envie leur en prend, tout sera
"bientôt dans le même état de malpropreté.
Le père, se tournant vers ses enfants, prit
un air sévère, et, leur montrant le doigt, il dit :
— Le premier de vous deux qui fera encore
des saletés ici ou dans la rue sera vertement
corrigé par moi.
Le jour de la fête arrivé, le cantonnier fit
bon accueil à son invité. Après le dîner, les
CONTES PICABDS
deux hommes se rendirent sur la place publique
pour assister au jeu de balle; les deux petita
garçons avaient accompagné leur père.
Le curé, qui guettait le départ du can-
tonnier, alla trouver sa femme dès qu'il eut
vu le mari tourner le coin de la rue. En
entrant dans la maison, son premier soin fut
d'embrasser la femme, qui l'attendait: puis,
la prenant dans ses bras, il la porta dans la
chambre et voulut la jeter sur le lit.
— Oh! non, pas là, cette fois, s'écria-t-elle..
— Pourquoi donc, mon amie?
— C'est que, avant son départ, mon mart
a bien recommandé de ne rien déranger ici.
A son retour, s'il aperçoit que le lit n'est plus
dans le même état, il pourrait m'en cuire.
— Alors, où nous mettrons-nous?
— Je ne sais.
Le curé, avisant la cheminée, qui était très
vaste, se dirigea avec la femme vers l'un des
côtés pour s'y livrer à leurs ébats; il lui dit
à l'oreille, entre deux baisers, que, pour cette
fois, ils changeraient d'attitude et qu'il la
baiserait en levrette.
Pendant qu'ils étaient tout à leurs pré-
paratifs et que le curé s'attardait aux baga-
telles de la porte, le second des fils du
cantonnier, poussé par la gourmandise, revint
CONTES PICAEDS
287
à la maison pour manger du flan; il entra
sans bruit et prit dans la commode un quar-
tier de tarte. Entendant des voix dans la
chambre, il s'avança sur la pointe des pieds
et regarda par le trou de la serrure. П
courut rejoindre son père sur la place et, le
tirant par sa blouse, il lui dit:
— Papa, viens chez nous tout de suite.
— Pourquoi faire, mon petit?
— Maman est dans la chambre; elle est
retroussée et monsieur le curé est déboutonné ;
pour moi, ils vont chier dans le coin de la
cheminée. Si tu ne vas pas les en empêcher,
maman dira encore que c'est mon frère et
moi qui aurons fait ces saletés.
229. Un prêté rendu.
La veille de son mariage, une jeune fille se
rendit à l'église pour se confesser; elle s'accusa
de tous les péchés plus ou moins véniels qu'elle
avait commis.
— Par ma faute, par ma faute ...
— Un instant, dit le prêtre en l'arrêtant.
Vous n'avez donc jamais enfreint les défenses
du sixième commandement? Vous avez omis,.
CONTES PICAEDS
assurément, de me faire l'aveu de vos péchés
sur ce point.
— Je vous jure que je n'ai jamais péché en
faisant l'oeuvre de chair; ma mère me gardait
trop bien.
— C'est la première fois, se dit le curé, que
pareille confession m'est faite la veille d'un
mariage. Cela me paraît étrange. Cette en-
fant est encore vierge.
Il demanda:
— Votre bon ami ne vous a donc jamais
mise en perce?
— Non, jamais.
— Alors, vous n'aurez point d'enfants.
— Je veux être comme les autres, se récria
la pénitente, et je demanderai tout à l'heure
à mon bon ami de ne point retarder cette
besogne.
— Ce qu'il n'a point su ou voulu faire, dit
le curé, je puis l'exécuter si vous le voulez;
ce sera même préférable.
— Je ne demande pas mieux, dit la naïve
-enfant.
— Allons, dit le curé en sortant du con-
fessionnal et emmenant avec lui sa pénitente
dans la sacristie; je vous donnerai ensuite
l'absolution.
CONTES PICABDS
289
Pour la mise en perce de la future mariée,
le prêtre montra tant' d'ardeur et de brutalité
•qu'il infligea, pour ainsi dire à sa trop crédule
paroissienne un véritable supplice au lieu de
lui faire goûter la jouissance toute de suavité
-dont il lui avait parlé auparavant; aussi
refusa-t-elle de se prêter à une seconde
•épreuve du même genre, comme Геп sollicitait
son bourreau, qui lui assurait que, cette fois,
elle éprouverait un réel plaisir. La naïve en-
fant rentra chez ses parents tout ensanglantée
•et marchant péniblement. A sa mère, qui lui
-en fit la remarque, elle répondit:
— C'est monsieur le curé qui m'a blessée
-en me mettant en perce.
Et elle raconta longuement à sa mère ce
qui venait de se passer.
— Couche-toi, ma fille; ce ne sera rien,
demain, il n'y paraîtra plus. Ce sera une be-
sogne de moins pour ton mari, mais surtout
ne lui en souffle jamais mot.
— Monsieur le curé me l'avait déjà bien
recommandé.
Quand les parents de la future mariée furent
au lit, la femme ne put s'empêcher de raconter
à son mari ce que leur fille lui avait appris.
L'homme ne dit rien, mais il parut réfléchir
longuement, puis il s'endormit. Le lendemain
KyvTiz. XI. 19
CONTES PICAEDS
matin, à son réveil, il chargea sa femme d'aller
chercher le pot de nuit de leur fille; il en vida
le contenu dans une bouteille, qu'il boucha
hermétiquement.
Après la célébration du mariage à l'église,
le prêtre, pour se conformer à l'habitude, se
rendit à la maison nuptiale à l'effet de bénir
le lit des jeunes époux; cette cérémonie ac-
complie, les assistants furent invités à passer
dans la salle, où, pour se conformer à l'usage
traditionnel, un verre de vin blanc et un
morceau de gâteau devaient leur être offerts,
ainsi qu'à l'officiant. Tandis que la mariée
faisait les parts de gâteau, son père remplis-
sait les verres; personne ne remarqua que
l'un de ces verres avait été rempli à l'aide
d'une bouteille spéciale; ce fut ce verre qui
fut offert au curé. On trinqua et l'on but à
la santé et à la prospérité des nouveaux
époux. Le père de la mariée qui, depuis un
instant, observait le prêtre du coin de l'œil,
lui vit faire une grimace.
— Eh bien, monsieur le curé lui demanda-t-il
avec un air de parfaite bonhomie, comment
trouvez-vous notre vin? Que dites-vous de son
bouquet? Б ne paraît pas être de votre goût.
— A vous dire la vérité, ce n'est pas du
vin de la comète.
CONTES PICARDS 291
— Que lui reprochez-vous?
— Б a un fort goût de terroir qui ne rap-
pelle en rien le jus de raisin.
— Tout doux, tout doux, monsieur le curé ;
tous lui trouviez hier un bouquet délicieux;
c'est le vin que vous avez mis en perce vous-
même; demandez-le à ma fille.
Le curé comprit ; il se tut et prit congé sans
vouloir accepter de prendre un second verre.
230. L'œuf.
Une jeune fille se plaignait depuis quelque
temps de certains malaises qu'elle éprouvait
dans le bas-ventre. Pour économiser le prix
d'une visite de médecin, sa mère l'envoya chez
le curé, qui s'entendait aux maladies et ne
faisait rien payer.
— Bonjour, monsieur le curé, dit la fille en
entrant au presbytère.
— Bonjour, mon enfant. Comment vous
portez-vous?
— Je ne me trouve pas en bonne santé en
ce moment.
— Où ressentez-vous quelque chose?
— Dans le bas-ventre; il y a là une gros-
seur qui ne me paraît point naturelle. Voue
19*
CONTES PICAEDS
pourrez peut-être découvrir la nature de mon
mal et m'indiquer un remède pour le faire
disparaître.
— Je ne demande pas mieux, mon enfant.
En attendant que je vous visite attentivement,
voulez-vous me laisser prendre ma tasse de
café et en accepter une pour me tenir com-
pagnie? Je suis seul; ma bonne est absente
et je dois m'occuper des soins du ménage;
vous pourrez me donner un coup de main.
Quand ils eurent pris leur tasse de café, que
le curé arrosa copieusement, celui-ci invita sa
paroissienne à le suivre; il la fit entrer dans
sa chambre à coucher et lui dit :
— Pour que je puisse découvrir la cause et
le siège de votre mal, il faut vous déshabiller
complètement, mon enfant, puis vous vous
coucherez sur mon lit.
La naïve enfant éprouva quelque hésitation ;
mais, sur les vives instances du curé, elle finit
par s'exécuter et retira successivement son
caraco, son jupon, même sa chemise et s'éten-
dit sur le lit. Le curé la regarda avidement,
puis il l'ausculta, mais ne dit mot. La patiente,
fort troublée, attendait avec anxiété la fin de
cette auscultation. Le curé recommença à la tâter
sur le ventre, puis il enfonça le doigt dans
CONTES PICABDS
certaine ouverture et dit tout haut comme
s'il se parlait à lui-même:
— Comment a-t-il pu pénétrer par cet en-
droit? Le passage est cependant bien étroit.
Il me faut l'élargir pour qu'il puisse sortir.
— Bonté divine! Que dites-vous donc,
monsieur le curé?
— Je constate que vous avez un œuf dans le
ventre, et je me demande comment il a pu entrer.
— Ce n'est certainement point par le trou
où vous avez le doigt, parce que je ne m'en
suis jamais servie que pour pisser.
Le curé la crut sans peine puisqu'il consta-
tait qu'elle était vierge.
— Ne vous tourmentez pas, dit-il, il n'y a
aucune gravité ; pour obtenir une guérison cer-
taine, il suffit de casser l'œuf. Si vous le voulez
bien, je puis faire cette opération séance tenante.
Je ne demande pas mieux; faites vite, dit
la jeune fille que les attouchements du prêtre
mettaient dans des transports inconnus d'elle
jusqu'alors. Oh! je vous en prie, murmura-
t-elle, pâmée et frissonnante par tout son
être, hâtez-vous.
Le paillard, qui considérait d'un œil lubrique
ce jeune corps en proie à mille contorsions vo-
luptueuses, pratiqua enfin l'opération que l'on
devine.
COMTES PICAEDS
— Oh ! comme vous me faites du bien, arti-
culait tout bas la patiente entre deux spasmes.
Elle lui dit quand il fut descendu du lit:
— Je suis guérie, je ne sens plus rien; je
me trouve comme dans le paradis ; c'est à sou-
haiter d'avoir souvent un œuf dans le ventre.
Jetant alors un regard entre ses jambes, la jeune
fille, radieuse, complimenta l'opérateur et s'écria :
— Tiens, c'est bien vrai; l'œuf est réelle-
ment cassé, voilà le blanc.
Se précipitant à terre, elle se vêtit vivement,
remercia chaudement son sauveur et alla re-
trouver sa mère à la maison. Elle lui raconta
dans tous ses détails l'opération qu'elle venait
de subir et qui avait si bien réussi Comme
sa mère, toute saisie, faisait des gestes de
dénégation, elle riposta:
— Oui, c'est vrai puisque j'ai vu couler le blanc.
— Dans neuf mois, ma fille, tu verras sortir
le jonne, — terme picard qui désigne tout à
la fois jaune (d'oeuf) et jeune (enfant).
231. Faiseur d'oreilles.
Pour Pâques, une jeune fille se rendit à con-
fesse. Elle égrena assez rapidement la suite
des péchés qu'elle avait commis contre les huit
CONTES PICABDS
295
premiers commandements ; arrivée an neuvième,
elle montra quelque hésitation. Elle avait pour
cela des raisons graves; par suite des fréquents
rapports intimes qu'elle avait eus avec son bon
ami, elle était enceinte. A l'aveu qu'elle en
fit, le curé sursauta, car ce n'était guère en-
core qu'une enfant; il supposa qu'un libertin
avait abusé de sa naïveté.
— Quel est le père de votre enfant?
— C'est mon bon ami; nous nous fréquen-
tons pour le bon motif.
— Dans ce cas, pourquoi ne vous mariez-vous
pas au lieu de vivre dans le péché?
— Mon amoureux attend son âge pour cela.
— Jour de Dieu! quel âge a-t-il donc?
— DM manque deux mois pour avoir dix-
huit ans.
— Comment, vous vous êtes laissé faire un
enfant par un gamin qui n'a point l'âge de
mariage?... Je vous plains, ma pauvre fille,
dit le curé en faisant mine de s'apitoyer sur
le sort de sa pénitente.
— Pourquoi? demanda celle-ci en tremblant.
— Votre enfant ne sera pas complet; il lui
manquera quelque chose.
— Qu'aura-t-il donc en moins?
— Б viendra au monde sans oreilles.
— Est-ce Dieu possible?
COMTES PICARDS
— C'est l'exacte vérité. Vous avez eu affaire
à un bon ami trop pressé, qui n'est pas encore
lui-même entièrement formé.
— Quel imbécile! Je lui remonterai ses
galoches pas plus tard que ce soir.
— Mais, mon enfant, il y a moyen d'arranger
la chose. Vous tenez, sans doute, à avoir
un enfant qui soit conformé comme lea
autres ?
— Oui, pour sûr. Je ne veux pas mettre
au monde un enfant à moitié fait.
— Pour cela, il vous faudrait trouver un
homme solide, bien bâti, dans toute la force
de l'âge qui consentît à parfaire l'œuvre de
votre bon ami. Connaissez-vous un bon gara
qui vous conviendrait pour cette besogne?
— Non, monsieur le curé.
— Si quelqu'un s'offrait à vous pour cela,,
le refuseriez-vous ?
— Oh! non, je l'accepterais de grand cœur
et lui en aurais la plus sincère obligation.
— Et si c'était moi ? ...
— Comment? Vous voudriez?... Je vous
préférerais à tout autre,.. Vous avez déjà
fait de si beaux enfants !...
— Dans ce cas, dit le prêtre, vous viendrez
au presbytère tout à l'heure et je compléterai
le fruit de vos entrailles.
297
Quand le curé en eut terminé avec sa
dernière pénitente, il retourna chez lui en
compagnie de la jeune mère. Il commença
par faire une oreille à son enfant. Comme
cette besogne fut trouvée du goût de la trop
confiante fillette, celle-ci supplia son généreux
sauveur de ne point différer la fabrication de la
seconde oreille. Le curé ne demanda pas mieux.
— Êtes-vous contente maintenant? demanda-
t-il après la seconde opération.
Sans répondre directement, la rusée fille
d'Eve, qui prenait goût à ce travail, dit en
joignant les mains en signe de prière:
— Pensez-vous qu'il sera complet à présent,
qu'il ne lui manquera pas la plus petite
chose?... Si vous avez le moindre doute,
n'hésitez pas et faites qu'il soit le plus par-
fait du monde.
Le curé ne demeura point sourd à cette
invite ; il livra un troisième puis un quatrième
assaut dans le but de parachever l'œuvre. Sa
pénitente se retira en se confondant en re-
merciements, laissant entendre qu'à l'avenir
elle serait toute disposée à recourir au minis-
tère de celui qui lui avait sauvé l'honneur
et qui avait fait preuve en cette occasion de
plus de vigueur que n'en avait jamais montré
son amoureux.
CONTES PICAEDS
En rentrant chez ses parents, la jeune fille
y trouva son bon ami; le prenant à part
aussitôt, elle le mena dans la cour et lui dit,
fâchée :
— Tu m'en as fait du beau, grand propre
a rien!
— Quoi? que veux-tu dire? Explique-toi;
je ne comprends pas ce que tu as à me re-
procher.
— Tu t'es mêlé de faire ce que tu ne
.savais pas.
— Encore une fois, de quoi s'agit-il?
— Tu m'as fait un enfant qui n'aurait pas
eu d'oreilles.
— Comment le sais-tu?
— C'est monsieur le curé qui m'en a fait
part. Heureusement pour moi qu'il a été
assez bon pour réparer ton travail mal fait.
Je te prie de croire qu'il s'en est bien ac-
quitté; il y a sué.
— Tu dis que monsieur le curé a fait des
oreilles à notre enfant?
— Oui, il en a d'abord fait une, puis, un
instant après, il a fait la seconde...
— Б t'a baisée deux fois, alors?
— Quand il a eu fait les deux oreilles, il
est revenu à la charge une troisième puis une
quatrième fois pour qu'il ne manque rien, ab-
CONTES PICABDS
299
solument rien à notre enfant et qu'il soit par-
fait en tout.
— Bien, bien, dit le jeune homme en quittant
sa bonne amie et en portant les mains à son
front comme s'il sentait quelque chose lui
pousser en cet endroit, rira bien qui rira le
dernier.
Ce ne fut pas fini.
C'était le samedi saint. Le bon ami de la
trop naïve pénitente attendit que la nuit fût
venue pour mettre à exécution le projet qu'il
avait conçu. A cette époque, les curés per-
cevaient un droit de dîme sur leurs paroissiens,
aussi, la plupart d'entre eux entretenaient-ils
des animaux de basse-cour. Or, le curé qui
fabriquait des oreilles nourrissait une truie
qui avait mis bas six semaines auparavant.
Pour se venger, le jeune homme si indignement
trompé par lui s'introduisit à la faveur de
l'obscurité dans la cour du presbytère et se
dirigea à tâtons vers la porcherie. U pénétra
dans l'étable sans avoir éveillé l'attention des
habitants de la maison; il sortit de sa poche
une forte paire de ciseaux fraîchement émoulus
et il se mit en devoir de couper les oreilles
de chacun des porcelets. Cette opération ter-
minée, il détala au plus vite et rentra chez
lui sans avoir été aperçu de qui que ce soit.
300
CONTES PICAEDS
Le lendemain, à son réveil, le curé eut son
attention attirée par les cris plaintifs et in-
cessants de ses jeunes porcs ; cet état de choses
tout à fait anormal, lui fit craindre quelque
accident; il s'habilla promptement et se rendit
à l'étable. Quel ne fut pas son étonnement,
en ouvrant la porte, de voir les murs et la
litière ensanglantés; il en découvrit la cause
en voyant les porcelets essorillés et couverts
de sang. Qui pouvait être l'auteur d'un tel
méfait? Le curé cherchait en vain dans son
esprit, et c'est en pensant à cet acte de basse
méchanceté qu'il arriva à l'église et qu'il
commença la messe. Après les prières du
prône, il prononça un sermon sur la grande
fête du jour, qui avait attiré un nombreux
auditoire. En terminant, il se plaignit amère-
ment du préjudice qui lui avait été causé
pendant la nuifr précédente ; il s'éleva en termes
véhéments contre l'auteur ou les auteurs de
la mauvaise action commise dans sa porcherie;
il les menaça de la prison d'abord et des peines
de l'enfer dans l'autre monde. Animé d'une
sainte colère, le prédicateur tonnait violemment
et non sans éloquence contre les malfaiteurs
qui s'étaient rendus coupables d'un tel forfait.
Tout à coup, le délinquant se leva, et,
s'adressant au curé, il lui dit à haute voix:
CONTES PICABDS
301
— Pourquoi vous plaindre avec tant de co-
lère et si longuement d'un petit malheur si
facilement réparable ?...
— Comment réparable ? interrompit le curé.
Tu en parles bien à ton aise, mon garçon.
Pourrais-tu remettre les oreilles de mes
cochons ?
— Non, ce ne serait pas moi, monsieur le
curé; mais vous qui êtes si capable, puisque
vous faites des oreilles dans le sein de leur
mère aux enfants qui n'en ont point, faites-en
à vos cochons ; vous y verrez même plus clair.
Le prédicateur mit fin aussitôt au dialogue
et descendit promptement de la chaire, se
hâtant de se rendre à l'autel pour entonner le
Credo.
231a. Yariante.
I gny o ieu un curè qu'il o 'tè enne fois
vir unne éde ses paroissiennes qu'ai étoit
mariée depuis quéques mois; il y avoit 'tè
esprés quant é s'n homme і n'y étoit point.
Tout en devisant ensanne, éle féme a' li о
foi enténe qu'ai étoit grosse. I li dit:
— Je m'en sut bien aperchu en rentrant;
j'ai mumme vu quéque cose qu'i m'embéte bien.
— Quoi que ch'est, monsieur le curè?
— Ah! bien, si je n'étois point rentré en
passant, tout étoit perdu, perdu sans ressource.
CONTES PICAEDS
— Os me foisez peur; parlez, je vous en
supplie.
— Vlo che qu'i gny o. Vo homme il o foi
un éfant sans oreilles, qu'i fero rire éde li.
— Un éfant sans oreilles?
— Oui, oui. Par bonheur éque j'ai lo enne
graisse qu'i ne gny en fero pousser tout de
suite.
— Éje vous en prie, men boin monsieur, dé-
péquez-vous de foire éche qu'i feut pour qu'i
ne manque érien à m'n éfant.
— Ch'est qu'ha n'est point aisé. Portant, je
ferai bien ho pour vous. Couquez-vous dessus
vo panche dens vo lit; fermez bien vos yux
sans voloir beyer et pi laichez-me foire.
Éle féme al o foit tout de suite éche qu'o»
li avoit quémandé. Bon train, éche curè il o
retroussé ses cotrons et pi il o lanchè se
broquette dens se caille. Au bout d'un mo-
ment, і dit:
— Ha vo bien, quiote; éme graisse al foit
s'n effet ; vlo enne oreille éde foite. Ne bougez:
point, je m'en vos foire l'ente.
Éche curè il о remis enne deuxième fois dé
le graisse.
— A che-t-heure ch'est foit, quiote ; os povez
vous rélever. Grace au bon Diu, vo jonne L
sero comme tout le monde. Adet.
CONTES PICABDS
303
Quant éche-t-homme il o rentré au soir, ése
féme al l'o agonisé de sottises.
— Malhéreux! monstre! tu ne m'aimes
point. Tos volu me foire moquer de mi.
— Voyons, voyons. Quoi qu'i gny
o, don?
— Ah! que je sut-ti à plainde! Quementr
t'oses été montrer ichi? Foire un éfant sans
oreilles, jour dé Diu! Sans monsieur le curé,
quoi qu'os éroit pensé de mi dens che
village?
A la fin, che-t-homme і s'est foit raconter
tout du long l'I histoire éde ches oreilles»
Sans dire un mot, il о couru à che prébytère;
il о rentré dens l'I étabe et pi il о copè ches
oreilles éde tous ches cochons qu'i gny avoit
dedens. 0 s'attend bien que che curè і s'est
mis en colère quant il о vu ho le lendemain»
Éche dimenche d'après, dens sen sermon, і
s'est plaint dé che tour qu'un malzant i li
avoit juè.
— Ah ! mes frères, éje croyois que je n'avois
ichi que d's amis ; jé me sut trompe. Quéqu'un
qu'i m'en veut, il est venu par nuit coper ches
oreilles éde mes cochons ...
En entendant ho, écheti qu'il avoit foit che
cœup, і dit tout heut:
304
CONTES PICAEDS
— Éne vous cassez point le téte, monsieur
le curè. Écheti qui sait foire des oreilles à
ches éfants і ne sero mie mal prias de rende
cheux de ses cochons.
(Kryptadia, il, m-i43.)
232. Confession générale.
Il y avait autrefois un maître d'école qui
commençait à devenir vieux garçon quand il
résolut de prendre femme. La veille de son
mariage, il se rendit au village voisin pour
se confesser. Son propre curé, qui connaissait
ce détail, alla rendre visite à son confrère
deux jours à l'avance et l'entretint en ces
termes :
— J'ai des raisons toutes particulières
pour entendre la confession générale de mon
magister. Comme vous êtes son confesseur
ordinaire, il viendra vous trouver vendredi
soir parce que je dois le marier le lendemain.
Vous me rendriez le plus grand service si vous
vouliez me céder votre place en cette circon-
stance.
— Volontiers, lui répondit l'autre; nous
prendrons toutes les précautions pour que
vous ne soyez point reconnu.
CONTES PICABDS
Le vendredi suivant, le maître d'école arri-
vait au presbytère de son confesseur habituel
à la chute du jour; il n'y rencontra que la
servante, qui lui dit que son maître se trou-
vait au confessionnal. Le magister se rendit
à l'église et se dirigea vers le confessionnal,
où se trouvait en effet le curé. Le pénitent
commença l'aveu de ses fautes. Le confesseur,
qui n'était autre que le curé de son village,
lui fit observer, en contrefaisant sa voix,
qu'en raison du sacrement de mariage qu'il
allait recevoir le lendemain, il était tenu à
faire une confession générale.
Quand le maître d'école fut arrivé au neu-
vième commandement, il se borna à dire:
— J'ai péché comme à l'habitude.
— C'est une confession générale que vous
devez faire, dit sévèrement le prêtre.
— J'ai forniqué avec la servante du curé
de mon village, déclara le pénitent.
Le curé, qui n'avait eu jusque-là que des
soupçons, fit un saut sur son banc
— Après? Continuez.
— Après? J'ai fait comme à l'habitude.
— Confession générale, vous dis-je.
— J'ai forniqué avec la sœur de monsieur
le curé.
Deuxième saut de ce dernier.
Kqvtcx. XL 20
CONTBS PICARDS
— Après?
— Gomme à l'habitude.
— Confession générale, encore une fois!
— J'ai couché avec la nièce de monsieur le curé.
Cette fois, le confesseur dit brutalement au
magister:
— H ne manquerait plus que vous ayez
baisé la mère de votre curé.
— En effet, c'est elle qui a eu mon puce-
lage et qui m'a appris le métier, avoua le
maître d'école.
Le curé, n'y tenant plus cette fois, se leva
vivement, sortit du confessionnal, et, tournant
son derrière vers le magister, il lui dit bouil-
lant de colère:
— Tiens, cochon, baise mon cul, tu auras
ainsi baisé toute la famille.
233. Grossesse tardive.
Pour la fête du patron de sa paroisse, un
curé avait invité un certain nombre de ses
confrères y compris son doyen. A cette occa-
sion, on avait mis au presbytère les petits
plats dans les grands. Au déjeuner qui fut
servi après la messe, la place d'honneur à la
table était occupée par le doyen, gaillard de
CONTES PICABDS
807
bonne mine, an teint frais, d'une santé exubé-
rante et grand abatteur de bois au dire des
mauvaises langues. Pendant le service, il
lorgnait la servante du curé, qui lui parut
avoir Page cononique assurément; elle était
bien conservée et avait ce que Гоп appelle
vulgairement de beaux restes. Ce qui le fai-
sait regarder cette fille avec tant d'obstination,
c'est qu'elle lui semblait être dans un état de
grossesse avancée. Quand le café eut été servi
et que la bonne se fut retirée dans sa cuisine,
le doyen, regardant son amphitryon et clignant
de l'oeil, dit:
— Votre bonne est enceinte. Ne le saviez-
vous pas?
— C'est vrai, monsieur le doyen; mais je
vous assure que vous y auriez été pris comme
moi: cette fille a cinquante ans sonnés.
234. Mystifié à son tour.
Б y avait autrefois dans certain village que
je ne veux pas nommer un curé qui employait
un singulier procédé pour donner l'absolution
à celles de ses jeunes pénitentes qui lui avaient
tapé dans l'œil. Après qu'il avait reçu la con-
20*
306
CONTES PICARDS
fession d'une femme ou d'une fille qui lui plai-
sait, il lui disait:
— Je ne pourrai vous donner l'absolution
de vos péchés qu'au presbytère. Vous viendrez
chez moi tout à l'heure. En attendant que
j'aie fini ici, allez réciter votre chapelet dans
la chapelle de la Vierge.
Quand le curé avait expédié son dernier
pénitent, il retournait au presbytère en com-
pagnie de la jeune fille qu'il avait invitée à
le suivre. H la faisait entrer dans un cabinet
noir et l'engageait à passer sa tête dans une
sorte de guichet qui permettait de voir dans
une chambre voisine un grand Christ en croix
accroché au mur; il disait à la pénitente:
— Tenez-vous là immobile pendant un in-
stant; demandez pardon à Dieu avec un sin-
cère repentir de toutes vos fautes. Je vous
donnerai ensuite l'absolution.
Dès que la jeune fille avait passé le haut
du buste dans l'ouverture du guichet pour im-
plorer la miséricorde du Christ qui se trouvait
en face d'elle, le curé portait la main sur un
déclic qui faisait glisser dans des rainures un
panneau en bois en forme de guillotine, de
façon que la pécheresse ne pouvait se dégager
sans la volonté de son confesseur. Ce dernier,
sans perdre de temps aux bagatelles de la
CONTES PICABDS
309
porte, retroussait sa pénitente et l'enfilait par
derrière, tandis que sa victime se trémoussait
à leur commune satisfaction.
Or, un jour, il arriva qu'une jeune fille ainsi
baisée contre son gré raconta à sa sœur aînée
en rentrant à la maison la scène dont elle
venait d'être victime. Le samedi suivant,
sans avoir fait part de son dessein à qui que
ce soit, l'aînée, qui était fort délurée et avait
vu le loup, se rendit à l'église pour se con-
fesser, — ce qu'elle avait négligé de faire de-
puis plusieurs années. Le curé lui dit qu'en
raison de ses nombreux péchés, il ne pourrait
lui donner l'absolution qu'au presbytère.
— C'est bien, dit la jeune fille, j'y serai
dans une heure, car j'ai une course urgente
à faire auparavant.
Elle se dirigea vers une pâture où ses
parents, qui étaient de gros fermiers, mettaient
leurs vaches en liberté avec leurs veaux ; ceux-ci
étaient habitués à teter au pis de leur mère.
La jeune fille prit avec elle l'un des veaux
qu'elle avait dressé à la suivre comme un
mouton; il l'accompagna au presbytère; en
entrant, elle le laissa à la porte. Le curé, qui
attendait sa pénitente, la fit pénétrer dans un
cabinet noir et l'invita à passer sa tête dans
le guichet.
810
CONTES PICABDS
— Voudriez-vous me montrer comment cela
se pratique, monsieur le curé? dit-elle. Passez
vous-même votre tête d'abord dans cette
ouverture.
Le curé, sans défiance, montra à la jeune
fermière comment elle devait s'y prendre. À
peine eut-il introduit sa tête dans la guillotine
que la rasée commère fit jouer le déclic et
emprisonna le curé. Ouvrant la porte du pres-
bytère, elle fit entrer son veau, puis elle re-
leva la soutane du curé, déboutonna sa culotte,
et, prenant son veau par une poignée de peau
du cou, elle approcha son museau du derrière
du mystifié ; le veau, croyant sentir un trayon
du pis de sa mère, se mit à vouloir teter en
donnant des coups de tête dans le ventre du
curé aux grands éclats de rire de la jeune fille.
235. Singulier enterrement.
Un curé entretenait des relations intimes
avec l'une de ses paroissiennes. Le mari de
cette femme — jolie brune, ardente au jeu
d'amour, — la soupçonna de le tromper; il
voulut s'en assurer. À cet effet, il exerça une
surveillance active pendant plusieurs jours.
Enfin, il put entendre, étant caché, sa femme
CONTES PICAEDS
811
fixer un rendez-vous à son amant dans la
grange après son souper. Sans perdre de
temps, le mari, qui était bûcheron, repassa
sa serpe.
Après le repas du soir, la femme prétexta
que la vache se disposait à vêler pour aller
la veiller; le mari fit semblant de la croire
et répondit qu'il allait se mettre au lit. Un
instant après, il se rendit dans la grange en
passant par une petite porte de côté ; il arriva
à pas de loup près des deux amoureux, qui
ne le soupçonnaient point là, et qui ne se
gênaient pas pour parler à haute voix et se
moquer du mari trompé. Bientôt le curé en-
fila la femme par derrière; le mari, s'appro-
chant du couple, passa vivement sa serpe entre
eux, et, d'un coup sec, il trancha le vit du
curé; celui-ci se sauva aussitôt, perdant son
sang en abondance. Quand il arriva au pres-
bytère, il tomba raide mort. La femme quitta
la grange et retourna à l'étable à vaches tandis
que le bûcheron rentrait à la maison; il se
chauffa tranquillement au feu, faisant semblant
de dormir. Sa femme revint dans la maison
un instant après.
—- Comment, tu n'es point couché? fit-elle.
Notre vache ne vêlera pas cette nuit; allons
nous mettre au lit, ajouta-t-elle.
812
0ОМТЖ8 PICARDS
Elle n'avait rien compris à la faite préci-
pitée du curé et ne se doutait nullement que
son mari avait quitté le coin du feu, car au-
cune parole n'avait été prononcée pendant la
scène si rapide de la grange. Elle était à
cent lieues de supposer que le bûcheron avait
pu la surprendre lui faisant pousser des cornes.
Le lendemain matin, en pénétrant dans sa
grange, l'homme aperçut le vit du curé qui
gisait sur une botte de paille; il le ramassa,
l'entortilla dans un morceau de papier et le
mit dans sa poche. Un instant plus tard, on
lui apprenait la mort du curé; la nouvelle
s'en transmit dans le village comme une
traînée de poudre. L'auteur de cet homicide
en fit part en ces termes à sa femme:
— On vient de m'apprendre la mort subite
de monsieur le curé.
Et il appuyait malicieusement en paysan
narquois sur le mot subite. La femme éprouva
une vive émotion, mais elle sut se contenir et
n'en fit rien paraître. Le surlendemain avait
lieu l'enterrement du prêtre. La femme du
bûcheron s'habilla pour se rendre à l'église;
son mari, qui ne pouvait quitter son travail,
était resté à la maison pour fermer la porte;
au moment où sa femme sortait, il s'approcha
d'elle sous le prétexte de faire disparaître un
CONTES PICABDS
313
pli à son châle, mais, en réalité, pour lui
attacher avec une épingle le vit du curé au
milieu du dos. La femme partit à l'église et
le mari, au bois. Vers midi, ils revenaient â
peu près en même temps à la maison.
— Monsieur le curé est enterré? demanda
le bûcheron.
— Oui.
— Tout s'est bien passé?
— Ne m'en parle pas. Je n'ai jamais assisté
à un pareil enterrement: tout le monde riait.
— Ce n'est pas étonnant, dit l'homme en
détachant ce qu'il avait accroché au dos de
sa femme, et que les assistants s'étaient bien
gardés de signaler à celle-ci; voilà de quoi
l'on riait, sacrée putain ..., ajouta le mari
en colère; c'est moi qui l'ai coupé avant-hier
soir à ton amoureux au moment où vous me fai-
siez cocu.
235 a. Variante.
Un curé entretenait des relations avec une
jeune femme de la ville voisine, mariée à un
statuaire. Au bout de quelque temps, le mari
crut s'apercevoir qu'il était trompé; il résolut
d'en acquérir la preuve; pour cela, il eut re-
cours à un moyen qui réussit toujours eu
pareil cas; il prévint sa femme qu'il devait
s'absenter le jour même et qu'il ne rentrerait
314
C0NTB8 PICARDS
que le lendemain vers la fin de la journée.
Dès qu'il eut quitté la maison, sa femme en
informa le curé, qui accourut aussitôt, heureux
à la pensée de pouvoir passer une nuit entière
en toute tranquillité avec son amante. A la
suite d'un bon repas qu'ils firent ensemble, ils
se mirent au lit, mais ils s'y trouvaient à
peine d'un quart d'heure qu'ils entendirent
frapper violemment à la porte de la rue. La
femme se leva, et, avant que d'ouvrir, elle
demanda qui était là ; son mari se fit connaître.
— Attends, lui dit-elle, je vais aller chercher
la clef, que j'ai oubliée dans notre chambre.
La coquine avait laissé la clef dans la ser-
rure, mais ce qu'elle voulait, c'était gagner
du temps pour pouvoir prévenir le curé et lui
faciliter son évasion; celui-ci fit hâtivement
un paquet de ses habits et se sauva en toute
précipitation dans le magasin où étaient ex-
posées toutes les statues; il se proposait
d'attendre là que les hôtes de la maison
fussent couchés pour déguerpir sans laisser
soupçonner sa présence au mari trompé.
— Tu ne m'attendais pas si tôt, dit en
entrant ce dernier à sa femme dont le trouble
était fort apparent.
— En effet, tu m'avais annoncé ton retour
pour demain vers la chute du jour.
CONTES PICARDS
315
— C'est vrai; seulement, j'ai eu la bonne
chance de rencontrer en chemin le client chez
lequel je me rendais; nous avons pu ainsi
traiter l'affaire qui avait motivé mon voyage;
cette heureuse négociation me permettra de
réaliser un joli bénéfice.
Tout en causant, le marchand examinait
attentivement sa femme et remarquait son
agitation, qui ne se calmait point; pour sûr,
pensait-il, il y a anguille sous roche.
— En attendant, dit-il, j'ai faim; prépare-
moi à souper au plus vite.
Tandis que la femme se rendit à la cuisine
puis à la cave, le mari, prenant un chandelier,
«e dirigeait vers sa chambre, qu'il visita sans
remarquer rien d'insolite; il passa ensuite
dans son magasin pour en inspecter tous les
coins et les recoins; en le voyant entrer, le
curé ôta prestement sa chemise et se plaça
debout entre deux statues, observant la plus
complète immobilité; quand le statuaire fut
arrivé près de cette statue peu banale, qu'il
voyait de dos, il s'arrêta.
— Tiens, pensa-t-il, c'est la statue que j'ai
terminée hier; elle n'est point trop mal de ce
côté; voyons-là de face maintenant.
L'homme fit le tour et se trouva face à
face avec l'amant de sa femme, qui avait
Зів CONTES PICAEDS
pris la précaution bien inutile de fermer les
yeux.
Considérant attentivement cette statue, d'un
aspect si vivant, le statuaire ne fut pas peu
surpris de lui voir un vit en pleine érection.
— Pour sûr, dit-il à haute voix, j'étais soûl
hier quand j'ai fait cela. A qui pourrai-je
vendre un tel sujet?
Avisant une hachette fraîchement rémoulue
qui se trouvait à portée de sa main, il abattit
d'un coup vigoureux la pinne du curé; celui-
ci endura stoïquement, sans pousser un cri, la
mutilation atroce dont il venait d'être victime;
il attendit que le marchand fut sorti de son
magasin pour s'échapper par une fenêtre; il
eut la force de s'habiller entièrement, mais,
à peine avait-il fait une cinquantaine de pas
dans la rue, qu'il s'abattait lourdement sur le
pavé. Le lendemain, des passante le relevèrent
et constatèrent qu'il était mort; ils le trans-
portèrent chez le curé de la paroisse, qui,
ayant reconnu le défunt, le garda dans son
presbytère et lui fit faire ses funérailles le
lendemain.
En apprenant la funèbre découverte qui
avait été faite à quelques pas de sa maison,,
le marchand de statues se frotta les mains et
se garda bien de révéler le nom du meurtrier»
CONTES PICABDS
317
Un instant après, il pénétra dans son magasin;
il aperçut le vit du curé qui gisait sur le
plancher; il le ramassa et le renferma dans
une petite boîte qu'il plaça dans un tiroir.
Le jour de l'enterrement venu, il engagea sa
femme à assister aux funérailles du défunt,
qui était l'un des clients de la maison; au
moment où elle quittait son mari pour se
rendre à l'église, celui-ci lui accrocha le vit
•du curé au milieu du dos. A son arrivée à
l'église, la femme entendit des chuchotements
puis des rires étouffés, qui se continuèrent
durant tout le service religieux; à la sortie
de l'église, les rires éclatèrent et tous les
assistante avaient les regards tournés vers la
femme du marchand de statues. Celle-ci, tout
interloquée et craignant que ses relations avec
le curé n'en fussent le motif, n'osa point
accompagner le convoi jusqu'au cimetière; elle
rentra chez elle à l'issue de la messe. La
voyant revenir, son mari lui demanda des dé-
tails sur la cérémonie funèbre.
— Ne m'en parle pas, répondit-elle, je n'ai
jamais assisté à un tel enterrement: tous les
assistants riaient.
— C'était de toi, parbleu.
— Qu'auraient-il eu à rire de moi?
— Ote ton châle et pose-le sur cette commode.
CONTES PICAEDS
La femme obéit; elle ne fut pas peu surprise
d'y voir un objet, qui, ordinairement, se place
en un autre endroit. La voyant comme pétri-
fiée, son mari lui raconta alors l'opération
qu'il avait fait subir au ravisseur de son hon-
neur et dont il s'était si bien vengé.
236. Trop curieux.
Une jeune fille, qui, depuis belle lurette,
avait jeté son bonnet par-dessus tous les mou-
lins, éprouva un jour la fantaisie de se confesser
la veille d'une fête. Le curé fut heureux de
voir revenir au bercail une brebis égarée; il
lui fit bon accueil et commença à l'interroger
sur les péchés qu'elle avait commis depuis sa
dernière confession. Tout alla bien au début ;
la Madeleine repentie avoua qu'elle avait eu
des rapports avec un jeune homme du grand
monde. Mais, quand le prêtre voulut lui faire
préciser la nature de ces rapports pour juger
de la gravité de sa faute, elle se montra fort
hésitante; plus le confesseur la pressait de
tout déclarer, plus elle s'en défendait; finale-
ment, elle renonça à faire connaître ce qui
semblait lui peser sur le cœur.
CONTES PICABDS
319
— J'ai honte, dit-elle, de ce que m'a fait ce
jeune homme; jamais je n'oserai vous en faire
l'aveu dans ce saint lieu.
— Si vous me cachez quelque chose, mon
enfant, je ne pourrai vous absoudre.
— Je voudrais tout vous dire, mais je ne
puis vaincre mon hésitation.
— Si vous ne pouvez parler ici, venez me
rejoindre au presbytère ce soir. Je ne puis
faire attendre plus longtemps ici les pénitents
que vous voyez autour du confessionnal; ils
pourraient s'impatienter et retourner chez eux
sans s'être approchés du tribunal de la péni-
tence. Vous viendrez donc chez moi; je vous
attendrai.
— Je n'y manquerai pas; là, j'aurai peut-
être moins de contrainte.
Le soir, elle arriva toute tremblante au
presbytère. Le curé la fit entrer dans sa.
chambre et s'assit sur un large fauteuil; sa
pénitente s'agenouilla sur le côté et appuya sa
tête sur l'un des bras du siège. Mais, là encore»
elle montra autant d'indécision qu'à l'église.
— Je ne pourrai jamais vous avouer ce que
m'a fait mon séducteur, dit-elle en soupirant
bruyamment et à plusieurs reprises.
— Il le faut pourtant, dit le prêtre en con-
sidérant sa pénitente, qui avait fini par s'aban-
OONTBS PICAEDS
donner mollement ear see genoux en une pose
voluptueuse et en poussant des soupirs lan-
goureux.
Dans l'espoir d'arriver à lui arracher des
aveux, il introduisit la main dans son corsage
et palpa ses seins, fermes et rebondis.
— Vous a-t-il fait cela, mon enfant? lui
demanda-t-il.
— Oui,... et encore autre chose.
Il l'embrassa sur la bouche, lui demandant :
— Et cela aussi, sans doute?
— Oui,... et encore, autre chose, mur-
mura-t-elle.
H se baissa et passa la main sous ses jupes.
— A-t-il mis la main en cet endroit? fit-il.
— Oui,... et autre chose encore, dit-elle
d'une voix de plus en plus faible.
La situation devenait scabreuse. Le curé,
sans plus tarder, prit la jeune fille à bras-le-
corps et la porta sur son lit sans qu'elle oppo-
sât la moindre résistance. Après certain exer-
cice propre à la bête à deux dos, il lui demanda :
— Il vous a fait cela aussi, n'est-ce pas?
— Oh! oui,... et encore autre chose.
— Vous l'aurait-il fait aussi par derrière?
Qu'à cela ne tienne, dit le curé en retournant
sa pénitente.
— Non, non, protesta-t-elle vivement.
CONTES PICABDS
m
Le curé, qui était arrivé an bout de son
ronlean, se creusait la tête, cherchant à de-
viner quel pouvait être le gros péché dont
l'aveu tardait trop à être articulé.
— Mais enfin, que vous a-t-il fait de si
honteux?
— Il m'a communiqué la vérole.
— Sacrée gar se! s'écria-t-il en se jetant à
bas du lit, tu ne savais pas me le dire plus tôt?
237. Bénédiction singulière.
Certain curé peu docile avait de fréquents
-démêlés avec son évêque. Le prélat finit par dé-
fendre à son subordonné de prendre une ser-
vante qui n'eût pas cinquante ans au moins.
Le curé tourna la difficulté en se faisant servir
par deux bonnes âgées chacune de vingt-cinq
■ans. Mais le produit de son casuel n'était
point assez élevé pour qu'il conservât ces deux
domestiques; il en renvoya une au bout de
quelque temps; il vécut avec l'autre comme
mari et femme, et, dans la paroisse, on cria
bientôt au scandale. Le bruit en arriva à
l'évêque, qui fit appeler le curé et lui ordonna
de se séparer de sa bonne ; comme pénitence, il
lui imposa de s'abstenir de boire du vin. Rentré
Kqvtct. XI. 21
CONTES PICABDS
an presbytère, le curé informa sa servante de ce
qui s'était passé à l'évêché.
. — Et vous avez promis d'obéir? demanda
la fille.
— Hélas! oui.
— Eh bien, à partir d'aujourd'hui, vous ne
boirez plus de vin, vous le humerez; vous le
trouverez meilleur.
C'est ce qui fut fait. Mais, à quelque temps
de là, l'évêque reçut de nouvelles plaintes
contre le curé; il le fit appeler.
— Vous buvez encore du vin, malgré ma
défense ?
— Pardon, monseigneur; je le hume.
Le prélat se tourna de côté pour sourire.
Il reprit:
— Vous continuez de garder votre chambrière,
qui n'a pas cinquante ans; je veux que vous
la mettiez dehors.
— Je vous obéirai, monseigneur.
— Quel est le mets que vous préférez à.
tout autre?
— C'est l'oie, monseigneur.
— Pour vous punir de votre désobéissance»
je vous interdis à tout jamais de manger de
ce volatile.
A son retour chez lui, le prêtre dut rendre
compte à sa bonne du résultat de son audience.
CONTES PICAEDS
328
— Rien n'est pins facile d'obéir à votre supé-
rieur sans qu'il vous en coûte, dit la rusée
commère. D'abord, mettez-moi dehors.
C'est ce que fit le curé. Un instant après,
la bonne rentrait par une autre porte.
— Vous avez obéi à votre évêque, dit-elle en
éclatant de rire. Pour le second point, vous ne
mangerez plus d'oie ; dès ce soir, je vous pré-
parerai du jars.
Invité une troisième fois à comparaître de-
vant le prélat, le curé s'entendit admonester
de nouveau; il lui fut défendu de coucher sur
un matelas de plumes. Sa bonne trouva encore
le moyen dè tourner la difficulté en faisant cou-
cher son maître sur des coussins garnis de plumes.
Dans cette lutte continuelle entre le pot de
fer et le pot de terre, celui-ci devait finir par
être brisé. Mais l'évêque avait affaire à forte
partie; il avait contre lui une adversaire re-
torse dans la personne de la chambrière du
curé; celle-ci, pour mettre tous les atouts dans
son jeu, se rendit un jour à la ville épis-
copale; elle s'y livra à une enquête fort ha-
bile sur l'évêque et apprit ainsi qu'il avait
plus de dévotion pour le beau sexe que pour
l'évangile; on lui indiqua même la maison de
celle qui passait en ce moment pour être avec
lui du dernier bien. Sans hésiter, la servante
21*
824
du curé se rendit à l'adresse indiquée. Quel
ne rut point son étonnement, lorsqu'elle se
trouva en présence de la femme en question,
de reconnaître en elle l'une de ses meilleures
compagnes, qu'elle avait perdue de vue depuis
quelques années. Après qu'elles se furent
donné des marques sincères d'une effusion
réciproque, les deux jeunes filles en arrivèrent
à se faire des confidences.
— J'ai pour amant le curé que je sers,
dit l'une.
— Je suis ta supérieure, répliqua l'autre;
l'évêque couche avec moi.
— Tu vas à l'évêché?
— Non, il vient ici chaque soir sous un
vêtement déguisé.
Aussitôt, un projet se forma dans l'esprit de
la servante du curé, qui ne demeurait jamais
à court; elle en fit part à sa compagne, et,
toutes deux éclatèrent de rire comme deux
petites folles; en se séparant, la maîtresse de
l'évêque dit à l'autre:
— П sera fait ce qui est convenu; tu peux
compter sur mon concours et sur ma discrétion.
La bonne du curé revint au presbytère; elle
développa à son maître le plan qu'elle avait
conçu, et qu'il promit d'exécuter dès le lende-
main. H partit donc pour la ville le jour
326
suivant et arriva, le soir tombant, chez la
maîtresse du prélat.
— Je sais ce qui se passe entre vous et mon-
seigneur, dit-il en entrant; ma bonne, qui est
votre compagne, m'en a fait la confidence. Je
ne vous blâme ni l'un ni l'autre, et, à Dieu ne
plaise que j'en ouvre la bouche à qui que ce
soit. Mon évêque a bon goût et n'aurait jamais
su mieux choisir. Mais je ne comprends point
qu'il veuille m'empêcher de faire avec votre amie
ce qu'il fait avec vous. Laissez-moi donc,
comme il a été convenu entre vous et ma
servante, me cacher sous votre lit avant qu'il
n'arrive, et, de votre côté, exigez de lui ce que
vous avez promis de lui demander.
Le curé s'introduisit sous le lit et attendit
l'évêque, qui ne tarda pas à arriver. La maî-
tresse de ce dernier se déshabilla lentement et
se coucha; le prélat ôta ses habits et voulut
rejoindre son amante.
— Un instant, dit la belle en l'arrêtant sou-
dain. C'est demain ma fête, et, à ce sujet, je
tiens essentiellement à ce que vous donniez
votre bénédiction solennelle à mon con avant
que vous n'entriez dans mon lit.
— Qu'à cela ne tienne, répondit l'évêque;
il sera fait selon ton désir.
826
CONTES PICAEDS
Sans pins tarder, monseigneur prononça la
formule usitée en pareil cas et termina ainsi :
— Per omnia secuta seculorum.
— Amen, répondit le curé.
Surpris, le prélat demanda:
— Qui es-tu, toi qui as répondu?
— Je suis le malheureux prêtre à qui vous
avez défendu de boire du vin, de manger de
Foie, de coucher sur un matelas de plumes et
de faire avec ma bonne ce que vous allez faire
avec sa compagne.
L'évêque rit de bon cœur; il était désarmé.
— Allez vite, dit-il, buvez du vin, mangez
de l'oie, couchez sur deux matelas et baisez
votre servante à votre retour. Je vous accorde
tout ce qui vous fera le plus grand plaisir,
mais, de grâce, ne retardez pas le mien.
238. L'évoque et ses chevaux.
Un évêque étant en tournée de confirmation
fat un soir surpris par le mauvais temps. Il
s'arrêta au plus prochain village et alla de-
mander l'hospitalité au presbytère. Le curé
lui fit le meilleur accueil et se mit en quatre
pour le recevoir dignement. Il avait comme
bonne un véritable cordon-bleu, qui, en cette
CONTES PICABDS 327
occasion, mit le comble à sa réputation si
justement méritée. Le prélat ne lui marchanda
point ses compliments; il ne cessait de faire
l'éloge de la cuisinière, ajoutant qu'il n'avait
jamais été si bien traité nulle part. Prétextant
la fatigue, il demanda à se retirer dans sa
chambre aussitôt après le dîner. Il remercia
chaleureusement le curé pour la bonne chère
qu'il lui avait fait faire, et pour avoir mis à
sa disposition la plus belle chambre et le meil-
leur lit du presbytère. Avant de souhaiter le
bonsoir à son hôte, il lui dit avec beaucoup
•d'insistance :
— Ce que j'attends aussi de votre bon cœur,
mon cher curé, c'est que vous fassiez prendre
grand soin de mes deux chevaux, que vous
avez fait rentrer dans votre écurie. Je tiens
absolument à ce qu'ils soient traités comme moi.
— Vos ordres, monseigneur, seront stricte-
ment observés.
Le curé sortit un instant après et se rendit
dans son écurie pour s'assurer que rien ne
manquait aux chevaux du prélat. Quel ne fut
pas son étonnement, en passant près de la
chambre de ce dernier, d'entendre causer à
l'intérieur; il s'avança sans bruit sur la pointe
des pieds, et, regardant à travers le rideau de
la fenêtre, il aperçut une jeune femme qui se
OONTS8 PI0ABD8
déshabillait et qui rejoignit ensuite l'évêque?
dans son lit La chandelle fut éteinte aussi-
tôt Le curé se dit en se grattant le front:
— Monseigneur veut que ses deux étalons
soient traités comme lui ; ils ont eu à manger
tout leur soûl; maintenant, pour obéir à mon
supérieur, je dois leur fournir à chacun une
compagne pour la nuit
Le malin curé parcourut le village pour se
procurer deux juments en chaleur, qu'il décou-
vrit chez deux de ses paroissiens; il les fit
conduire dans son écurie et donna l'ordre de
les attacher au râtelier avec les étalons.
L'évêque, qui devait partir de bonne heure
le lendemain, se leva de grand matin ; il trouva
le curé déjà debout.
— Je n'ai pu fermer l'œil de toute la nuit,
dit le prélat en bâillant à se décrocher la
mâchoire.
— Ni moi non plus, monseigneur.
— Mes chevaux n'ont fait que battre le
pied et hennir. Allons donc voir dans l'écurie
ce qui s'y passe.
— Votre chambre, monseigneur, dit le curé
en traversant la cour avec l'évêque, n'est
séparée de l'écurie que par un mur peu épais,
et je ne suis pas surpris que vous ayes été
incommodé par le bruit A mon tour, je dois
CONTES PICAEDS
329
tous dire que, de ma chambre, qui est voisine
de la vôtre, j'entendais un hourvari incessant ches
vous; il me semblait que vous vous agitiez bruyam-
ment dans votre lit, dont les craquements se
reproduisaient à intervalles fort rapprochés.
En cet instant, ils arrivaient à l'écurie.
Quand l'évêque en eut ouvert la porte et qu'il
eut vu les deux juments aux côtés de ses
étalons, il en demanda la raison au curé.
— Voilà, monseigneur, répondit-il avec un
air qui voulait être candide; vous avez mani-
festé le désir que vos chevaux fussent traités
comme vous-même; or, j'ai vu par la fenêtre
de votre chambre que vous aviez une com-
pagne dans votre lit, j'ai cru bien faire en
donnant une jument à chacun de vos étalons...
— Chut! chut! interrompit l'évêque, n'en
dites rien à personne; je vous nommerai doyen.
239. Curé nommé doyen.
Un jeune curé desservant une chétive pa-
roisse rurale sollicita une audience de l'évêque
d'Amiens, qui la lui accorda. Le jour arrivé,
le curé se rendit à l'heure dite à l'évêché.
— Vous ne pouvez être reçu en ce moment,
lui dit un domestique; Sa Grandeur est* au
380
CONTES PICAEDS
tribunal de la pénitence pour recevoir la con-
fession d'une jeune fille.
Tardant à être introduit auprès de son
supérieur, le curé s'impatienta.
— Serait-il indiscret, demanda-t-il au domes-
tique, que j'allasse dans le jardin pour y ré-
citer mon bréviaire?
— Non, du tout, bien au contraire, répondit
le serviteur; suivez-moi, monsieur le curé; je
vais vous ouvrir la porte.
Dès qu'il fut dehors, le curé sortit son bré-
viaire de sa poche, et, marchant à petits pas,
il suivit une grande allée ombrée qui longeait
les appartements épiscopaux. Il récitait très
dévotement ses prières quand son oreille fut
frappée du son d'une voix qui lui était connue.
S'étant approché doucement d'une porte, il
entendit distinctement les paroles ; il ne s'était
pas trompé, c'était la voix de monseigneur qui
alternait avec une voix féminine. П n'y avait
aucun doute, l'évêque était au confessionnal
avec une pénitente.
Poussé par une curiosité indiscrète, le curé
appliqua un œil au trou de la serrure; il vit
le groupe dont le dialogue avait attiré son
attention. Le prélat était assis dans un large
fauteuil; la jeune fille, agenouillée à ses pieds,
était tournée presque de face vers la porte.
331
Le jeune curé ne perdait aucun détail de ce
peu banal tableau.
Voici ce qu'il vit et ce qu'il entendit.
— Qu'avez-vous là, mon enfant? dit l'évê-
que en passant la main sur la poitrine rebondie
de sa pénitente.
— Ce sont des seins, monseigneur.
— Nous, d'après le langage de l'Écriture,
nous les appelons la trompette des anges.
— Je l'ignorais, monseigneur.
— Je ne vous en fais pas un crime. Voulez-
vous, mon enfant que je trompe dans la trom-
pette des anges?
— Si cela peut vous faire plaisir, mon-
seigneur, je ne demande pus mieux.
Et, sans plus tarder, le prélat se mit en
devoir de dégrafer le corsage de la jeune
fille; deux globes d'une blancheur éclatante
s'en échappèrent, que l'évêque palpa d'abord
et qu'il couvrit ensuite de baisers fous. Puis,
descendant la main, il frappa à petits coups
sur le ventre de sa pénitente, lui demandant:
— Qu'est-ce que cela, mon enfant? De
quel nom l'eppelez-vous?
— C'est mon ventre.
— Nous, ma fille, toujours d'après le langage
de l'Écriture, nous disons que c'est le tambour
du paradis ... Permettez-vous, mon enfant,
CONTES PICAEDS
que je tambourine à l'instant sur le tambour
du paradis?
— Volontiers, monseigneur, si cela peut vous
faire plaisir.
Retroussant sa pénitente jusqu'au-dessus du
nombril, le confesseur se mit à battre une
marche avec ses doigts sur le ventre de la
trop naïve enfant. Descendant la main
plus bas et s'arrêtant entre les deux
cuisses :
— Comment appelez-vous ce que je sens là?
demanda-t-il.
— Je ne sais pas, monseigneur.
— Vous ne vous en servez donc jamais?
— Oh! si, souvent.
— Pourquoi faire?
— Pour pisser.
— Jamais pour autre chose?
— J'ignore quel autre usage on en peut faire.
L'évêque respira. Heureux de rencontrer
enfin une pucelle, il dit:
— Nous, toujours d'après le langage de
l'Écriture, nous appelons ce petit endroit si
fortement ombragé la vallée de Josaphat.
Voulez-vous, ma fille, que je m'y promène?
— Je n'ai rien à vous refuser, monseigneur.
Faites ce qui vous convient.
CONTES PICABDS
Prenant la jenne pénitente entre see bras
vigoureux, le prélat retendit sur un canapé
qui se trouvait là.
A la vue d'un tel spectacle, le curé, qui avait
toujours Гсвії au trou de la serrure, sentit sa
soutane qui se soulevait à certain endroit;
son vit se dressant soudain alla frapper sur
la porte. Craignant d'être surpris, le curieux
se remit à arpenter l'allée en disant son bré-
viaire.
La promenade de monseigneur dans la vallée
de Josaphat fut sans doute de longue durée,
car on n'appela le curé qu'au bout d'un long
moment. Dès qu'il fut introduit dans le
cabinet de l'évêque, ce dernier lui fit le meil-
leur accueil.
— J'ai appris, lui dit-il, que vous êtes un
brillant orateur.
— Auprès de Votre Grandeur, je ne suis
qu'un apprenti.
— Votre modestie me plaît; elle est l'indice
d'un grand mérite. Aussi, je ne dois pas vous
celer que je serais très désireux de vous
entendre.
— Il ne tient qu'à Votre Grandeur de
réaliser ce désir.
— Comment faire?
334
— C'est Pâques le mois prochain. Si Votre
Grandeur y consent, je donnerai un sermon ce
jour-là à la cathédrale.
— C'est une excellente idée, monsieur le
curé. J'accepte volontiers. Donc, c'est en-
tendu. Je vous retiens pour dîner à l'évêchè
après votre sermon___Dites-moi maintenant
quelle raison vous amène ici.
Le curé ayant fait connaître le mobile qui
l'avait fait venir, obtint toute satisfaction sans
aucune difficulté. En quittant le palais epis-
copal, il se disait en se frottant les mains:
— Si je n'obtiens pas un brillant avance-
ment après mon sermon du jour de Pâques,
c'est que je suis un parfait imbécile... Chose
qui n'est point, fit-il mentalement en relevant
la tête et en marchant à grands pas.
Le jour de Pâques, le prédicateur arriva à
la cathédrale à l'heure fixée. Quand le moment
fut venu de commencer son sermon, il se dirigea
vers la chaire, tandis que l'évêque et tout son
clergé venait prendre place dans la nef en
face du prédicateur.
Ce dernier devait parler sur la résurrection ;
il débuta à peu près en ces termes:
„In remrrectionem mortis nostrae. Nous
ressusciterons tous après notre mort.
CONTES PICABDS
335
„Ces paroles, mes frères, sont tirées des sainte
évangiles, qui nons enseignent qu'aussitôt après
notre mort nous comparaissons face à face de-
vant Dieu pour lui rendre compte de nos actions
pendant notre vie : c'est le jugement particulier.
Mais, plus tard, à la fin du monde, quand, de
par la volonté de Dieu, tous les êtres vivants
auront disparu ici-bas, nous ressusciterons tous
pour comparaître de nouveau devant notre
Créateur pour le jugement général.
„La résurrection de tous les corps sera an-
noncée par le son de la trompette des anges
que Dieu enverra dans les airs ...
„Et, mes frères, je suis heureux de vous le
dire pour la première fois, votre saint évêque
a déjà commencé tous les mystères de la ré-
surrection: il a trompé dans la trompette des
anges..."
A ces mots, le prélat ouvrit l'oreille et prêta
une attention soutenue.
Le prédicateur continua.
„Tons les hommes ne ressusciteront pas à ce
premier appel. Alors Dieu enverra d'autres
anges avec le tambour du paradis; cette fois,
les derniers d'entre les morts reviendront à
la vie ...
„Et, je me plais à vous le dire pour la se-
conde fois, mes frères, votre digne évêque a
0ONTB8 PICABDS
déjà commencé tons les mystères de la résur-
rection : il a trompé dans la trompette des anges,
il a tambouriné sur le tambour du paradis..
Ces paroles jetèrent quelque inquiétude dans
l'esprit de l'évêque; il pensait que, peut-être, sa
pénitente avait révélé les secrets de sa con-
fession. Il ne dit rien encore et attendit.
Le prédicateur continuait toujours.
„Quand tous les hommes seront revenus à la
vie, Dieu les rassemblera dans la vallée de Jo-
saphat. Là, il dira aux bons : Passez à ma droite,
et aux mauvais: Passez à ma gauche.
„En terminant, mes frères, je vous redirai
pour la troisième et dernière fois que votre
digne prélat, votre saint évêque, qui est ici, qui
m'écoute et qui m'entend, a commencé tous les
mystères de la résurrection: il a déjà trompé
dans la trompette des anges, il a tambouriné
sur le tambour du paradis, et, de plus, il s'est
promené dans la vallée de Josaphat!... Oui,
mes frères, j'ai vu il y a trois semaines, j'ai
vu, de mes yeux vu...
— Chut! chut ! dit l'évêque en se levant pour
retourner dans le choeur, je vous nomme doyen.
Table des matières.
IZ« Partie:
Contes scàtologiques.
103. Chez le marchand de toile .... 1
104. Fais ton choix........ 2
105. La harengère......... 8
106. Tu sortiras........ . 4
107. Chez l'apothicaire....... 6
108. Jeune fille qui empoisonne son bon
ami........... 8
109. Dans la diligence....... 9
110. Picard et Normand...... 11
110 a. Variante........ 18
110b. Variante........ 18
111. Naïveté........... 16
111a. Variante........ 17
112. Dure d'oreilles........ 17
113. Je pisse et je ne pisse pas ... 19
114. Un petit trou........ 20
114a. Variante........ 22
Kqvkt. XL 22
888 table dbs mattèbbs
page
16. L'enfant gâté........ 28
16. Avec nn pen de sauce..... 26
17. L'œil-de-bœuf . ... v ... 26
18. Contre le mal de dents..... 28
19. Heureuse réplique....... 29
20. Méprise........... 31
21. Pour faire avancer un âne rétif . . 32
121a. Variante........ 83
22. Le chauve et l'édenté..... 35
28. Bourse volée......... 85
24. Signalements......... 37
25. L'épreuve.......... 88
26. Des gens bien éduqués..... 41
27. Le coq du clocher....... 42
28. L'enfant de chœur....... 44
29. Un rêve.......... 45
80. Un pari gagné........ 46
31. Série de défis........ 48
82. Le nouveau marié....... 49
88. Le pondeur d'oeufs....... 51
188 a. Variante........ 52
84. Pour se compter....... 52
35. Trop d'empressement...... 54
36. Rivière sans eau ni poisson ... 55
87. Les deux frères........ 57
88. La blague à tabac....... 68
89. Un amateur d'antiquités..... 66
TABLE DES МАТІЙЕЕ8 389
page
140. Une épreuve......... 68
141. Le suisse......... • 71
142. Un essaim d'abeilles...... 72
143. J'ai cbié et je n'ai pas chié ... 74
144. Le pantalon de nankin..... 77
145. Les pommes......... 79
146. Quiproquo......... 82
147. Un ronfleur......... 83
148. L'ami et les deux frères .... 84
149. Pour gagner un pari..... 8$
150. Une remarque........ 87
151. Comme du miel....... 89
152. L'araignée......... 91
158. Un coquetier avisé...... 94
154. Les lampions du Paradis .... 101
155. Assez pour deux....... 104
156. Le jeu de la pure vérité .... 106
157. La tonne à la m... élasse .... 107
158. La dinde rôtie........ 109
159. Le roi des fromages...... 112
160. La cerise sans noyau..... 114
161. Victime de sa propre farce . . . 116
162. Pilules d'un effet merveilleux . . 118
168. Pharmaciens mystifiés..... 121
164. Trop gourmande....... 125
165. La peine du talion..... 129
840 tabus ВЖ8 mattere«
Ще Partie:
Personnages bibliques et Clergé.
page
166. A la porte du paradis terrestre . 182
167. La création d'Eve....... 185
168. Le plus habile........ 137
169. La première faute d'Adam ... 189
170. Le flacon d'huile merveilleuse . . 140
171. Pour entrer dans le paradis ... 148
172. Le sacrifice d'Abraham..... 145
173. Le doigt de saint Guignolet. . . 146
174. Un vieux polisson...... 148
175. Le bossu et le capucin..... 152
176. Les trois moines....... 154
177. Une guérison........ 165
178. Est-ce un péché?....... 158
179. Au couvent......... 160
180. Les deux dévotes....... 164
181. Chez le statuaire....... 166
181 a. Variante........ 168
182. La bouteille et son bouchon ... 170
183. Trompé comme les autres.... 178
184. La gloire de père Claude .... 176
185. Un petit mal élevé...... 180
186. Un crucifix femelle...... 182
187. Pris à son propre piège .... 184
187 a. Variante........ 186
TABLE DBS MATIBBBS 841
page
188. Commodités perfectionnées . . . 187
189. La patène brisée....... 190
190. L'eau bénite......... 190
191. Prédicateur resté court .... 191
192. Un miracle......... 198
198. Le dindon de la farce..... 197
194. Curé qui vêle........ 199
195. L'anguille......... 201
196. Un examen......... 203
197. Un souhait......... 204
198. La salutation angélique .... 205
199. La ... suite du chat..... 206
200. Le couteau......... 209
201. Singulier bréviaire...... 211
202. Curé fraudeur........ 218
208. Pari perdu......... 216
204. Curé et berger........ 217
205. Sermon écourté....... 219
206. Curé décimateur....... 219
207. Un ménage à confesse..... 221
208. Lee deux pénitentes...... 223
209. Le pot de beurre....... 225
210. A confesse......... 227
210a. Variante........ 228
211. Les écrevisses et les moules . . . 229
211a. Variante........ 281
212. Le signe du chrétien..... 282
848 TABLE DBS MATIEBE8
page
218. Un sourd.......... 234
214. Bonne mémoire....... 235
216. Tibi............ 237
216. Les bas da cnré....... 241
217. An presbytère........ 242
218. Ècbe cochon dé che curé .... 244
219. Les boîtes d'esprit...... 247
219 a. Variante........ 252
220. Pour ne pas devenir aveugle . . 254
221. Lève-toi. Madelon...... 258
222. Éche chariot dens le panche mon-
sieur le curè....... 261
223. La planche mitoyenne..... 264
223 a. Variante........ 267
224. Le chien parlant....... 268
225. Adam au paradis terrestre . . . ^74
225 a. Variante........ 276
226. Le panaris......... 278
227. L'ésieu frouc-frouc...... 280
228. Le gamin du couvreur..... 288
228 a. Variante........ 285
229. Un prêté rendu....... 287
230. L'œuf........... 291
231. Faiseur d'oreilles....... 294
231 a. Variante........ 301
232. Confession générale...... 304
288. Grossesse tardive....... 306
TABLE DBS MATTBEBS 848
pig*
284. Mystifié à bod tour...... 807
286. Singulier enterrement..... 810
286a. Variante........ 818
236. Trop curieux........ 318
237. Bénédiction singulière..... 821
288. L'évêque et ses chevaux .... 326
239. Curé nommé doyen...... 329
ooo
H. WELTER, Editeur à PARIS
4. Rue Bornard-Palissy.
KRYPTÀDÎA.
(CHOSES SECRÈTES.)
"Honiiy soit
qui mal y pense."
L'Editeur se permet d'attirer tout spéciale-
ment l'attentiou des Bibliothèques, de mes-
sieurs les Bibliophiles, folkloristes et curieux
sur sa collection: Kryptadia, Recueil de docu-
ments pour servir à l'étude des traditions popu-
laires, dont le XIe volume vient de paraître.
Ce Recueil, comme on sait, est consacré
aux documents d'ethnographie, de folklore
et de linguistique (usages, rites, croyances,
contes, chausons, devinettes, etc.), que leur
caractère spécial ne permet pas île publier
dans les Recueils destinés au grand public,
quoique ces documents ou ces études aient
leur intérêt et leur importance pour l'ethno-
graphie, la mythographie, l'histoire littéraire,
la linguistique et même la psychologie.
D'un caractère absolument unique, il est
de nature à intéresser vivement tous les
chercheurs et amateurs en quête de docu-
mente piquante et inédite sur l'esprit et les
coutumes populaires de tous les pays.
Tous ceux qui s'occupent de la littérature
populaire et traditionnelle, comme le dit si
bien le Comité de Direction du Recueil dont
faisait partie feu Gaston PARIS, ont eu oc-
casion de rencontrer sur leur chemin, sous
toutes les formes qu'elles affectent: contes,
chansons, dictons, proverbes et autres pro-
ductions qui mériteraient d'être conservées et
publiées, non seulement au point de vue lit-
téraire pur, les unes par la verve joyeuse et
Vesprit qui y pétillent, d'autres, plus rare-
ment ü est vrai, par leur style aimable et
leur grâce coquette, mais surtout parce qu'elles
constituent un document d'études pour les
folkoristes. Mais la crudité du sujet, la
hardiesse des expressions employées ont fait
reculer les collectionneurs qui, la plupart du
temps, ont laissé tomber dans l'oubli les ma~
têriaux qu'us avaient pu recueillir.
Il y avait là une mine curieuse à exploiter
et plus d'un trésor à mettre en lumière. Nous
avons cru faire œuvre utile à la science en
publiant un Recueil où les productions libres,
spéciales, se rapportant à la littérature popu-
laire et traditionnelle sont réunies à titré de
. documents d'étude.
Cette vaste entreprise atteint maintenant
son XIe volume. On trouvera plus loin la
table des matières de toute la collection. Le
champ reste ouvert à l'investigation de tous.
Aux chercheurs de nous apporter leurs con-
tributions d'anecdotes, de chansons gauloises,
de contes piquants, propres à prendre place
dans ce Recueil.
La nature de l'ouvrage et son tirage limité
s'opposent à toute mise en vente régulière
en Librairie et à tout envoi en communication.
Quelques rares exemplaires seulement sont
susceptibles d'être obtenus directement de
l'Editeur, qui se réserve d'ailleurs expressé-
ment d'en refuser la vente aux personnes pour
lesquelles, dans la pensée du Comité de Direc-
tion, les Kryptadia ne furent pas publiées.
Tons les volumes sont imprimés sur beau
papier de Hollande et numérotés; ils sont
reliés en toile rouge.
Votre tout dévoué,
Paris, Décembre 1906. H. WELTER
Bue Bernard-Paiisey, n* 4. Editeur.
En mit à la Librairie H. Weiter і Paris (TP).
КРГДТАДІА.
Recueil de documents pour servir à l'étude
des traditions populaires. Tomes I à IX.
In-12, toile rouge. Heilbronn, 1883-1889.
Paris, 1897-1905. Très rare . . 350 fr.
Sommaire :
— Tome I. In-12, toile . . . Net 50 fr.
Contient: Contes secrets traduits du russe. — Nor-
wegische Märchen und Schwanke. — Trois contes
picards. — Devinettes et forraulettes bretonnes.
— Tome II. In-12, toile ... Net 50 fr.
Folklore de la Haute-Bretagne. — Contes picards. —
Schwedische Schwanke und Aberglauben aus Norland.
— Literatura popular erotica de Andaluoia. — Some
erotic folk-lore from Scotland. — Dictons et formulaires
de la Basse-Bretagne. — An Erotic English dictionary.
— Trois contes alsaciens. — Le poskocnika des Ser-
bes. — Glossaire cryptologique du breton. — Welsh
iEdœology.
— Tome III. In-12, toile . . . Net 50 fr.
Contient: Le gai chansonnier français. — Welsh
Folk-Bhymes. — Spigolature Siciliane. — Volksüber-
lieferungen aus Österreich. — Contes poitevins. — Contes
de la Haute-Bretagne. — Blason érotiquo de la France.
— Vasconicœ linguœ erotici glossarii tentamen. —
Amu-
lettes antiques. — Bibliogr. des dictionnaires erotiques.
Fiosenski polski. — Contes divers et Varia.
— Tome IV. In-12, toile ... Net 50 fr.
Folklore polski — Contes polonais. — Vierteilen
aus den österr. Alpen. — Novelli populari umbre. —
Novelli populari toscane. — La tentation du Confesseur.
— The Welshman's lament. — L'étron parlant. — Con-
tes flamands de la Belgique. — Les testicules dans
le langage familier flamand. — Contes du département
d'IUe et Vilaine. — A schoolboy rhyme. — Varia.
— Tome V. In-12, toile ... Net ЗО fr.
Contient: Folklore de l'Ukraine (usages, contes et
légendes, chansons lyriques et nuptiales, blason popul.,
proverbes, devinettes, jurons). Folklore de la Grande
Buseie. (Contes, chansons, proverbes et dictons.) —
Folklore poleki. Folklore polonais. — Folklore slave
de la vallée de Besia. — Folklore de la France
(Hautes et Basses-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège,
Gere, Tarn-et-Garonne, Charente, Corrèze, Vienne,
Deux-Sèvres, Vendée, Lyon, Côte-d'Or, Jura, Doubs,
Vosges, Pas-de-Calais, Seine-Inférieure, Loiret, Seine-
et-Oise, Ille-et-Vilaine). — Paroles facétieuses mises
sur des airs de chasse.
— Tome VI. In-12, toile ... Net 30 fr.
Glossaire cryptologique du breton. — Detti a mezza
bocca raccolti nella provincia d'Alessandria. — Note
allègre. — Mélanges de Bulgarie. — Die Zeugung in
Sitte, Brauch und Glauben der Südslaven. I. — Varia.
— Tome VII. In-12, toile . . Net 30 fr.
Contes flamands de Belgique. — Mélanges polonais
et russes. — Varia: 1. Un
usage de guerre; 2. Hel-
leuica; 8. Italicum e latrina. — Die Zeugung in Sitte,
Brauch und Glauben der Südslaven. II. Lieder: erste
Fortsetzung. — Contes de la Croatie et du Monténégro.
— Chietes y desverguenzae del Bio de la Plata.
— Tome VIII. In -12, toile . . Net 30 fr.
Chez les Wallons de Belgique. — Die Zeugung in
Sitte, Brauch und Glauben der Südslaven. III. Lieder
(Schluß). — Glossaire cryptologique du breton, 8<> sup-
plément. — Folklore de l'Ukraine. Usages, contes. —
Epigraphie latrinale.
— Tome IX. In-12, toile ... Net 80 fr.
Anthologie Satyrique du XVe siècle, publiée
par M. Schwöb. — Sodom, by the Earl of Rochester.
Zum ersten Male herausgegeben nach einer Hand-
schrift in der Stadtbibliothek zu Hamburg, von Dr.
L. S. A. M. von Börner.
— Tome X. In-12, toile ... Net 30 fr.
127 Contes secrets picarde. lôre
partie. — Gaelic
Erotica.
— Tome XI. In-12, toile ... Net 30 fr.
Contes secrete picards. 2e
partie. (150 contes.)
Tirages à part ou Extraits détachés
onze volume de Kryptadia:
Cfcei les Willone de Belgique....... it-
erates flamands de Belgique....... 6~
Oontei Де 1» Croatie et du Konténégre • . • 8-—
Folklore de U Hante-Bretagne...... 10—
folklore polontii........... 4JM
aiOMftire CryptOlOgigte du breton. 3e
série . 2.50
(Lee séries I et II se trouvent dans Kryp-
tadia, vol. II et VI.)
Xraufi. Ole Zeugung in Sitte, Brauch und
Qlauben der Südslaven.
Zweite Abteilung......20.—
Dritte Abteilung.......15—
(Die erste Abteilung ist nur noch in Kryp-
tadia, vol. VI, Preis 30 fr., au haben.)
Mélangée polonais et russes.......s —
Folklore de l'Ukraine, 2 vol.......27.—
Specimen! de folklore de divert paye (environ
60 pages extraites de différents volumes) . S.—
Rochester's Sodom. Herausgegeben von
Ii. 8. A. m. von Borner.......10.—
Le Parnasse satyriqne da XV° siècle. Antho-
logie de pièces libres restées inédites jusqu'ici,
publ. par M. Marcel Schwöb......25.—
Contes Secrets de Picardie. lre série (127 con-
tes) ...............25.—
Oontei secreti picards. 2e série (160 contes) . 25
—
Gaelic Erotica............i° —
En vente a la même Librairie
La Sarabande
ou Choix d'anecdotes, bons mots, chan-
sons, gauloiseries, épigrammes, épifa-
phes, réflexions et pièces en vers des
Français depuis le XVe siècle, jusqu'à
nos jours.
Par Léon VALLÉE et un Bibliophile ami.
2 vol. in-8 de XV-461 et 537 pp. 1903.
Prix: 12 fr.
M. Léon Vallée, bibliothécaire à la Bibliothèque natio-
nale, et le bibliophile ami n'ont certes pas l'érudition
sévère ou morose. Leur livre, dirait Babelais, est fait
pour " l'esbattement des pantagruéliques ". u
Ci-inclus,"
disent plus modestement les auteurs, u de quoi faire
sou-
rire un honnête homme." C'est l'épigraphe de la pré-
face. Elle est même en latin : On a si souvent répété
que le latin peut tout se permettre! Nos pères ne pa-
raissent pas cependant avoir eu leur langue dans la
poche, à lire les bons mots ou les anecdotes de gauloi-
serie plus ou moins fine ou salée qui remplissent ce
volume. Et ce n'est qu'une première série! Il y en a
de toute provenance, pour tous les goûts, sur toute chose.
Sur la vie, nos pères ne la prenaient pas trop au sérieux.
Sur les hommes, ils semblent s'être asseï bien connus.
Sur la mort, ils savaient lui faire la nique. Sur les
femmes, le mariage, les gens et les affaires de justice,
on sait que depuis les plus lointains âges ils étaient
passés maîtres dans l'art d'en médire. Et c'est pour-
quoi vous trouverez dans ce répertoire la quintessence
de l'esprit français .... Manieurs d'argent, nobles,
courtisans, gens de guerre, religion et gens d'église,
prédicateurs et confession, médecins et malades, théâtre,
Académie, gens de lettres, histoire, etc., sont les choses
et les personnes qui fournissent la matière du deuxième
volume. On ne s'ennuiera pas à le feuilleter.
c. Fages (Bévue de bïbliogr. française).
Le titre est une trouvaille. La Sarabande, c'est la
ronde des farfadets moqueurs dont les rires éclatent
dans la nuit avec un bruit de grelot. C'est bien l'im-
pression du livre; ces épigrammes, ces bons mots,
semblent être les âmes légères de petite démons nar-
quois. Des pages roses du livre: elles vous sautent au
visage, insolentes, gouailleuses ou tristes.
(La France.)
De ces "gauloiseries", quelques-unes sans doute sont
assez connues, mais d'autres le sont infiniment moins,
et il en est beaucoup qui, enfouies jusqu'ici dans de
vieux recueils ou dans des mémoires fort peu lus, peu-
vent être considérés oomme à peu près inédites. Toutes,
d'ailleurs, sont curieuses, amusantes, égrillardes ou
spirituelles, et leur réunion constitue une lecture des
plus agréables, tout en restant fort instructive à plu-
sieurs égards, notamment au point de vue de l'histoire
de notre langue. Il y a là "de quoi faire sourire un
honnête homme ", comme on disait jadis.
(Intransigeant.)
Die Auswahl ist erstaunlich reich und dürfte selbst
Kennern solcher Faceiien viel Neues bieten. Die Be-
deutung der Anekdote für die Charakteristik hervor-
ragender Persönlichkeiten kann niemand bestreiten, und
so wohnt dem Buche doch ein beschränkter wissen-
schaftlicher Wert inue. In manchen Zeilen darf es zur
Not als eine Art Ersatz für den noch fehlenden fran-
zösischen Büchmann gelten. Es steht nicht zu zweifeln,
daß die Sammlung Leser genug findet, nur möchten es
nicht gerade Leserinnen in Töchterpensionaten sein.
Die Ausstattung ist so pikant wie der Inhalt.
(Litterarisch€8 Zentralblatt)
A comprehensive "common-place" book* containing
anecdotes, bons mot8, songs, epigrams, epitaphs, re-
flections, and occasional verses, collected from forgotten
authors and out-of-the-way books, from the fifteenth
century to our own times. The quaint and charming
result of many years' delving in a glorious library by
an ardent book-lover. A treasure of reference for
bibliophiles. Curious juxtapositions: a verse by Clé-
ment Marot, for instance, followed by a very modern
after-dinner story.
(The Academy and Littérature.)
Imprimerie polyglotte à Weimar.
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